Le Pakistan bloque Twitter, Zoom et Periscope en vue de maîtriser les voix critiques

Une main tient un téléphone portant le logo de Twitter sur fond de carte du monde avec des nodes connectés.

Image de edar extraite de Pixabay, utilisée sous une licence Pixabay.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndt.

Après la panne qui a affecté Twitter dans tout le Pakistan, du 17 mai à 22h au 18 mai 2020 à 1h30 (heure standard du Pakistan), la masse de signalements provenant du pays reçue par l'observatoire des coupures d'internet Netblocks, a mis en évidence une perte d'accès aux services concernés. L'organisme pakistanais Media Matters for Democracy a publié des informations sur les perturbations et appelé le gouvernement à communiquer officiellement sur le problème, en faisant la lumière sur la question de savoir si Twitter a été bloqué, et si c'est le cas d'en expliquer les raisons.

“This incident merits clarity on part of the authorities, and we demand transparency from PTA (Pakistan Telecommunication Authority) on whether inaccessibility of Twitter in Pakistan was by design and done on orders of the government.”

Ces incidents méritent des explications de la part des autorités, et nous exigeons la transparence de la part de l'Autorité des télécommunications (PTA) au Pakistan sur la question de savoir si l'inaccessibilité à Twitter au Pakistan a été orchestrée et effectuée sur ordre du gouvernement.

Les données de Netblocks indiquent que les serveurs principaux d'images et de vidéo, en particulier, étaient inaccessibles pendant la période de perturbation, corroborant ces comptes-rendus. Un test préliminaire de OONI Probe suggère que le site web a pu faire l'objet d'un blocage dans le pays. Cependant, le motif de la panne, qui a duré au moins trois heures, n'est pas clair.

En collaboration avec la Fondation des droits numériques du Pakistan, Netblocks a analysé les données du réseau et a confirmé qu'il n'y avait pas eu de panne au niveau international au moment de la perturbation :

Rapport : Preuve de la perturbation à l'échelle nationale de Twitter, Periscope et Zoom à travers le Pakistan le 17 mai 2020.

L'analyse des données du réseau avec @DigitalRightsPK confirme qu'il n'y a eu aucune panne de niveau international au moment de l'interruption et établit une chronologie des événements.

En parallèle, au Pakistan, le hashtag #TwitterDown (Twitter en panne) est devenu viral sur la plateforme de microblogging, tandis que les gens utilisaient les réseaux privés virtuels (VPN) [fr] pour exprimer leurs inquiétudes. Un VPN est une technologie prévue essentiellement pour aider les gens à accéder aux sites web bloqués dans la juridiction dont ils dépendent.

Merci à @ForumSaath pour l'organisation d'une si belle réussite que représente #SAATHVirtualConf2020 [South Asians Against Terrorism For Human Rights Conference, ndt] pour discuter des questions les plus urgentes au Pakistan. On attend les vidéos de l'événement puisque Twitter était en panne à ce moment-là. Que la force soit avec #SAATH @AWGoraya

Twitter a confirmé que l'entreprise n'était à l'origine d'aucune perturbation, et qu'il n'y a pas eu non plus d'indications de panne sur son serveur.

Qu'est-ce qui a déclenché le blocage ?

Le même jour, la plateforme de visio-conférence Zoom a connu des difficultés techniques, mais avant le blocage au Pakistan, l'entreprise a publié une mise à jour spécifiant que le problème avait été résolu.

Aucune panne locale n'a été déclarée et Netblocks a confirmé que l'interruption était localisée :

NetBlocks performance metrics from around the world show that Sunday’s disruption was localized to Pakistan.

Les indicateurs de performance de Netblocks venant du monde entier montrent que l'interruption de dimanche était localisée au Pakistan.

Beaucoup ont tiré leurs propres conclusions quant à la cause. L'homme politique Farhat Ullah Babar, par exemple, a suggéré que Twitter avait été bloqué pour cibler une conférence virtuelle organisée par le collectif « Sud-asiatiques contre le terrorisme pour les droits humains » (SAATH, acronyme anglais) :

Le blocage n'était pas universel, il visait spécifiquement le Pakistan. Fait le plus étrange, il est apparu juste à l'heure à laquelle la conférence virtuelle de SAATH de 2020 (#SAATHVirtualConf2020) devait se tenir pour discuter de l'état des droits humains au Pakistan. L'Autorité des télécommunications du Pakistan (PTA) doit s'expliquer clairement. Au comité parlementaire sur l'informatique : prenez note, je vous prie.

La conférence Zoom du groupe, qui avait été programmée pour débuter le dimanche 17 mai à 22 heures — le moment précis où les pannes de Twitter et de Zoom sont apparues — avait pour objectif de se concentrer sur les questions des disparitions forcées, des meurtres cautionnés par le gouvernement et d'une démocratie en perte de vitesse au Pakistan.

Gul Bukhari, une journaliste pakistanaise vivant en exil au Royaume-Uni, est une membre active du Forum de SAATH. En 2018, elle a été enlevée par une agence d'espionnage notoire en raison de ses points de vue critiques. Lors d'un appel avec Global Voices, elle a déclaré  :

[The] SAATH Conference was planned as a virtual conference [to be] attended by prominent Pakistani human rights defenders, public intellectuals, journalists, scholars living in Pakistan, as well as those living in exile in different countries. When the conference began, people started looking for the link and that is when they noticed that Twitter, Periscope and Zoom were not working in Pakistan.

La conférence de SAATH a été programmée comme une conférence virtuelle [pour être] suivie par d'éminents défenseurs des droits humains pakistanais, des intellectuel·le·s reconnu·e·s par le public, des journalistes, des universitaires vivant au Pakistan, ainsi que celles et ceux qui vivent en exil dans différents pays. Lorsque la conférence a débuté, les gens ont commencé à rechercher le lien et c'est là qu'ils et elles ont constaté que Twitter, Periscope et Zoom ne fonctionnaient pas au Pakistan.

Gul Bukhari a déclaré que de nombreuses personnes ne savaient même pas que SAATH donnait une conférence ; le blocage a, en réalité, retenu encore plus d'attention :

It is time that the establishment understands that such tactics are counterproductive, especially in today's time when people can gain access to social media through VPNs and proxy websites to exercise their right to freedom of speech and get information.

Il est temps que les pouvoirs en place comprennent que de telles stratégies sont contre-productives, particulièrement à l'époque actuelle, où les gens peuvent accéder aux réseaux sociaux à travers les VPN et les services de proxy pour exercer leur droit à la liberté d'expression et obtenir des informations.

La pratique de la censure numérique n'est pas nouvelle au Pakistan

Ce n'est pas la première fois qu'une telle panne se produit dans le pays. Précédemment, les autorités ont eu recours à la fermeture d'internet pour limiter la portée des rassemblements publics organisés par le Mouvement Pashtun Tahafuz (PTM). PTM réclame des droits fondamentaux pour la communauté minoritaire pashtoune, notamment le « droit de vivre sans crainte » d'exécutions sommaires. Ils et elles se sont rassemblé·e·s dans différentes villes du Pakistan et ont fait face à des coupures internet fréquentes. Ce n'est qu'après la fin des rassemblements que les vidéos et les images de ces manifestations en faveur des droits humains ont été diffusées en ligne.

Selon Gul Bukhari :

These attempts to muffle voices are not doing any good to the country; rather [they make] a laughing stock out of us on the international canvas.

Ces tentatives pour étouffer les voix ne font aucun bien au pays ; elles contribuent plutôt à faire de nous la risée de la Toile internationale.

Naya Daur, un site internet d'informations alternatif et bilingue fondé par le journaliste pakistanais Raza Rumi, avait également programmé une conférence Zoom à 22 heures le 18 mai. Avec des interlocuteurs et interlocutrices comme Ammar Ali Jan, militant et universitaire, la journaliste Benazir Shah, et le Dr Shah Jahan, le webinaire avait pour objectif d'explorer les solutions possibles concernant le système de santé et les services publics, et de discuter de l'impact de la politique d'austérité menée par le Fond monétaire international (FMI) et des privatisations du passé.

Raza Rumi a cependant affirmé que les coupures de Twitter et Zoom n'avaient pas affecté la conférence de la manière escomptée par les autorités :

Naya Daur’s webinar was aimed to raise awareness and involve expatriate doctors. Thankfully, it continued despite the problems. But imagine if there were students online, using digital platforms or patients seeking medical advice, or others engaged in critical services. Such disruptions are troubling and counterproductive.

Le webinaire de Naya Daur visait à alerter l'opinion publique et à mobiliser les médecins expatrié·e·s. Heureusement, il s'est poursuivi malgré les difficultés. Mais, imaginez qu'il y ait des étudiant·e·s en ligne, utilisant les plateformes numériques ou des patient·e·s recherchant des conseils médicaux, ou d'autres engagé·e·s dans des services critiques. De telles pannes sont troublantes et contre-productives.

Raza Rumi pense aussi que la censure et les blocages sont contre-productifs :

The members of [the] SAATH conference and their followers created a Twitter storm claiming that the outage was designed to block their engagement with the Pakistani audiences. If this is true, it does not serve Pakistan’s public interest to muzzle dissenting opinions nor does it ‘improve’ Pakistan’s image abroad. The lesson from the unfortunate episode is clear: Instead of becoming invisible, the small digital conference and its proceedings were amplified.

Les membres de la conférence de SAATH et leurs followers ont pris d'assaut Twitter, en proclamant que les pannes étaient destinées à bloquer leur engagement avec les auditrices et auditeurs pakistanais·e·s. Si c'est vrai, ce n'est pas dans l'intérêt public du Pakistan de museler les opinions dissidentes, et cela ne contribue pas non plus à « améliorer » l'image du Pakistan à l'étranger. La leçon que l'on peut tirer de cet incident fâcheux est claire : au lieu de devenir invisible, la petite conférence numérique et ses débats ont pris de l'ampleur.

L'Autorité des télécommunications du Pakistan (PTA) est une entreprise d”État responsable de la régulation de l'implantation, des opérations et de la maintenance des télécommunications au Pakistan. Pour l'instant, les représentant·e·s du gouvernement n'ont fait aucune déclaration sur ce sujet.

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