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Nicaragua : les gens semblent mourir d'une “pneumonie” et non du COVID-19

Catégories: Amérique latine, Nicaragua, Action humanitaire, Droits humains, Gouvernance, Médias citoyens, Santé, COVID-19, The Bridge
On distingue un écran géant sur lequel est retransmis le discours inaugural du président Daniel Ortega. En premier plan, une foule de personnes se trouve devant et à coté de cet écran. Des projecteurs sont visibles et la nuit est tombée. Sur la droite de l'écran, se tient un cameraman filmant et retransmettant l'événement. Sur la gauche de l'écran, on aperçoit des arbres.

Le président Daniel Ortega lors de son discours inaugural en 2017. Licence photo CC BY 2.0   [1]

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

En plein COVID-19, le Nicaragua vit dans une autre réalité. Le président Daniel Ortega et la vice-présidente, son épouse Rosario Murillo, se sont montrés négligents vis-à-vis de la pandémie. Tandis que les autorités sanitaires mondiales et les gouvernements d'autres pays ont donné l'instruction à leurs citoyens de se mettre en quarantaine, de porter des masques et respecter les mesures de distanciation sociale, Daniel Ortega et Rosario Murillo ont agi tout à fait autrement. Selon une estimation indépendante, 980 personnes [2] présentant les symptômes du COVID-19 ont perdu la vie au Nicaragua, le chiffre le plus élevé d'Amérique centrale. D'après Monsieur Ortega, ces décès sont dus à une « pneumonie [3] » [es].

Cette situation n'est pas nouvelle. Depuis 2018, le gouvernement nicaraguayen néglige son système de santé et laisse la population mourir.

Cette négligence récente est clairement ressortie deux jours après que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a qualifié le virus COVID-19 de pandémie. Le 13 mars, des pays voisins comme le Salvador, le Costa Rica et le Honduras avaient décrété l'état d'urgence tandis que Rosario Murillo lançait une marche intitulée “Love in times of Covid-19 [4]” [es] (en français: L'amour au temps du Covid-19), proclamant que, pour combattre le virus, il fallait le faire “avec amour et foi”. Les entreprises, les écoles et les bureaux gouvernementaux sont restés ouverts. Cependant, derrière la façade de cette déclaration d'amour se dissimulent toutes les violations des droits humains perpétrées par le couple depuis le retour au pouvoir de Daniel Ortega en 2006.

Des manifestations antigouvernementales massives ont éclaté en avril 2018 à travers le Nicaragua. Des citoyens, en particulier des étudiants, furent blessés ou tués par la police et par des groupes paramilitaires. Selon la Cour interaméricaine des droits de l'homme (Inter-American Court of Human Rights), environ 317 personnes sont mortes [5] en l'espace de quatre mois. Dans ce contexte, le ministère nicaraguayen de la Santé se livrait déjà à des violations à l'encontre de la population.

Ainsi, Alvaro Conrado, 15 ans, blessé par un sniper lors d'une manifestation, a été empêché d'accéder à l'hôpital public de Cruz Azul tout proche, à Managua, la capitale. Le jeune Alvaro a été transporté à l'hôpital Bautista, où il est mort, quelques heures plus tard. À en croire le personnel médical de Bautista, Alvaro Conrado aurait pu survivre [6] si le personnel médical de Cruz Azul lui avait porté secours.

Mais pourquoi un hôpital public refuserait-il de soigner des personnes blessées ? Parce que le ministère nicaraguayen de la Santé est sous le contrôle de Daniel Ortega et de son épouse Rosario Murillo. Pendant les manifestations, le corps médical avait été menacé de licenciement s'il venait en aide aux manifestants. Le ministère de la Santé a congédié environ 135 médecins, infirmières et autres membres du corps médical [7]. La majorité d'entre eux a quitté le pays du fait des persécutions constantes exercées par les autorités gouvernementales. Deux ans plus tard, le couple Ortega-Murillo, ainsi que le ministère de la Santé, Ortega et Murillo, ainsi que le ministère de la santé, continuent de porter atteinte aux droits humains de la population en minimisant le danger de la pandémie.

Les hôpitaux débordent. Les inhumations nocturnes clandestines tardives [8] révèlent une situation hors de contrôle. Une vidéo de l'agence de presse AFP a fait état d'un salon funéraire où 200 personnes ont été enterrées [9] en une nuit. La ville de Chinandega, dans l'ouest du pays, a retenu l'attention internationale quand des vidéos « d'enterrements express » ont circulé sur les médias sociaux. La vice-présidente Rosario Murillo a estimé que ces enterrements étaient des « informations mensongères » [10].

Selon une annonce du ministère de la Santé du 19 mai, le Nicaragua accomplirait un excellent travail, en dépit du fait que le nombre de cas officiels de COVID-19 est passé de 25 à 254 [11] [es] en une semaine. Ces chiffres contredisaient également ceux relevés par le projet de collaboration interdisciplinaire El Observatorio Ciudadano [12] [es] COVID-19 (L'Observatoire des Citoyens COVID-19) qui, au moment où nous écrivons ces lignes, signale 3 458 cas « suspects » de contamination.

Les médecins, quant à eux, connaissent leur pire cauchemar. Selon un médecin de l'Hospital España de Chinandega, les autorités hospitalières refusent toujours de prendre des mesures de sécurité et de fournir des équipements de protection médicale.« Ils nous conduisent directement à l’abattoir [13] » [es], a-t-il déclaré.

Ces médecins redoutent un « génocide viral [14] » [es] dans le pays en raison des actions du gouvernement et ont réclamé une
« quarantaine nationale volontaire » immédiate de quatre semaines. Ainsi, plus de 500 médecins se sont engagés à prendre les mesures nécessaires pour éviter qu'il ne soit trop tard. Une fois de plus, la vice-présidente a réagi en déclarant que les médecins
« répandaient des mensonges »
, ce qui amène à se demander pour quelle raison les corps ont été enterrés dans le plus grand secret s'ils sont morts d'une « banale pneumonie ». Le Nicaragua, dont les infrastructures sanitaires étaient déjà mal équipées pour endiguer un afflux de patients [15] [pdf], doit maintenant gérer les cadavres devant ses hôpitaux.

Accès à la morgue de l'hôpital Alemán. Cette situation ne fait qu'empirer : le nombre moyen de décès par jour se chiffre à 10. Les autorités ont aménagé une chambre pour les patients atteints de #Covid19 [19] ainsi qu'une autre salle nommée « Pre Covid». Les professionnels de santé se montrent préoccupés alors que le régime conteste la gravité de la situation.

[image] Deux photos montrent l'entrée d'une morgue dont les portes sont ouvertes. On distingue des corps, recouverts d'un drap blanc, reposant sur des brancards.

Les négligences du président Daniel Ortega et de la vice-présidente Rosario Murillo vis-à-vis de la pandémie ne surprennent pas puisque le couple au pouvoir a coutume de se livrer à des abus concernant les droits humains.

Comme en 2018, les médecins se retrouvent aujourd'hui dans une situation de crise. Ils ont le choix entre, dénoncer le ministère de la Santé et risquer d'être licenciés puis, contraints de fuir le pays en raison des persécutions dont ils feront l'objet, ou celui de décider de rester et de travailler sans équipement médical approprié avec le risque de contracter le virus.

Les députés de l'opposition indiquent également être susceptibles de se voir refuser des soins médicaux dans les hôpitaux publics. Wendy Juarez [20], ex-prisonnière politique et membre de Construimos Nicaragua [21] [es] (en français: Nous bâtissons le Nicaragua), a ainsi décrit la situation :

By going to public hospitals as an opposition member you run the risk of not getting tested, because the medical staff decide who gets tested and who doesn't.

En vous rendant dans les hôpitaux publics, en tant que membre de l'opposition, vous risquez de ne pas vous faire dépister, dans la mesure où c'est le personnel médical décide les personnes qui se font dépister et celles qui ne le seront pas.

Elle a ajouté que pour recevoir des soins médicaux immédiats, elle devra utiliser un service d'assistance téléphonique médicale, l’Unité médicale du Nicaragua [22] [es] (Nicaragua's Medical Unity).

En attendant, les Nicaraguayens se débrouillent pour survivre en prenant soin d'eux-mêmes, dans un climat de mécontentement croissant. Nul ne sait ce qui va se passer, toutefois, compte tenu des inhumations expresses et du manque de volonté de la part du gouvernement de suivre les avis scientifiques, le Nicaragua a peut-être déjà abandonné sa lutte contre la pandémie dans son autre réalité.