Caraïbes : Des appels à déboulonner les statues symbolisant l'oppression traversent le mouvement Black Lives Matter

La photographie représente la tête et le torse de la statue du vice-amiral Horatio Nelson

Statue du vice-amiral Horatio Nelson située à l'entrée de Bridgetown, la capitale de la Barbade. Photo de Nick Kocharhook sur Flickr, sous licence CC BY-NC 2.0.

L’article d'origine a été publié en anglais le 11 juin 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Les manifestations de Black Lives Matter (BLM) ont connu une résurgence mondiale à la suite de la mort George Floyd, un Afro-américain tué par un policier blanc à Minneapolis, une ville de l'État du Minnesota aux États-Unis. 

Ces manifestations se sont suivies d'une vague de désapprobation et de dégradations visant les symboles de l'oppression des personnes noires. L’histoire de la colonisation aux Caraïbes est particulièrement longue. Les habitant·e·s vont devoir s'interroger sur le sort réservé à tout ce qui symbolise cette oppression.

Le 2 juin, à Richmond, dans l'État de Virginie, des centaines de manifestant·e·s rassemblé·e·s devant la statue du général Robert E. Lee, un général ayant officié au cours de la guerre de Sécession, scandaient : «Détruisez-la!». Ralph Northam, le gouverneur de l'État, avait annoncé que la statue de Robert E. Lee serait déboulonnée mais l'opération a été interdite à la suite d'une décision judiciaire.

Le 7 juin dernier, des manifestant·e·s au Royaume-Uni ont arraché de son socle et piétiné la statue du marchand d'esclaves de Bristol Edward Colston, avant de la jeter à l'eau dans le port de la ville. La statue du marchand d'esclaves Robert Milligan a été enlevée [par mesure de précaution] du quai des West India Docks à Londres.

Certain·e·s ont salué un geste symbolique qui dénonce le racisme avéré des personnalités visées et qui permet de recouvrer une certaine dignité, d'autres ont fermement condamné ce type de méthodes. 

Dans les Caraïbes, les appels à rebaptiser certains lieux ont considérablement augmenté. Le parc du roi George V situé à Port-d’Espagne, à Trinité, par exemple, porte aussi le nom de parc Nelson Mandela. Malgré cela, la plupart des statues n'ont pas bougé.

Nombreuses sont les régions qui possèdent des monuments érigés à la mémoire de la lutte contre l'esclavage. Des hommages sont rendus grâce aux statues de Bussa, qui a dirigé la plus grande rébellion d'esclaves de l'histoire de la Barbade de Cuffy, le chef d'une révolte d'esclaves de 2 500 hommes en Guyane, de « Redemption Song » au parc de l'Émancipation de Jamaïque, mais il existe également pléthore d'exemples de statues renforçant la vision romanesque et biaisée de découverte et de possession d'êtres humains.

La présence de ce genre de statuaire dans l'espace public est remise en cause dans de nombreuses îles des Caraïbes. L’universitaire féministe Gab Hosein a déclaré dans une publication Facebook :

I don’t think there has been a global uprising of this geographical scope and diversity since the 1970s. […] Sparked by the BLM movement in the US and now expanded into decolonial struggle and dismantling racism more broadly, it does seem like — for almost the first time in 50 years — we are listening to another world breathing.

Je ne me souviens pas avoir vu un soulèvement mondial d’une telle ampleur depuis les années 1970. Cet élan est frappant tant par son amplitude géographique que par sa mixité. […] La lutte pour la décolonisation et contre le racisme en général a été ravivée par le mouvement BLM aux États-Unis. Pour la première fois ou presque en 50 ans, nous avons le sentiment de voir éclore un monde nouveau. 

Deux jeunes femmes impliquées dans la destruction de la statue de l’abolitionniste français Victor Schoelcher, en Martinique, ont expliqué leur geste dans une vidéo YouTube :

We, the young people of Martinique, are sick and tired of being surrounded by symbols that insult us. We were not the first to attack these symbols. Many before us have tried in vain to get rid of them […]

What is a statue? It is stating this is someone we admire for the impact he or she has had in the course of our history. […] Schoelcher was in favour of the compensation of the plantation owners; there are many transcripts proving that claim. If he had not, maybe it would have been different.

Nous, les jeunes martiniquais·es, en avons assez d'être entouré·e·s par tous ces symboles qui nous offensent. Nous ne sommes pas les premières à nous y attaquer. Beaucoup avant nous ont tenté, en vain, de s'en débarrasser […]

Qu’est-ce qu'une statue ? C’est un hommage rendu à un personnage que nous admirons pour l'impact historique qu’il a eu. […] Comme de nombreuses transcriptions l’attestent, Schoelcher était en faveur de l'indemnisation des propriétaires de plantations. S’il ne l'avait pas fait, cela aurait peut-être changé le cours de l’Histoire.

Cette polémique n’est pas récente, souligne le binôme.

Les Barbadien·ne·s réclament effectivement depuis plusieurs décennies le retrait d'une statue du vice-amiral Horatio Nelson [fr]. En 2017, Sir Hilary Beckles, vice-chancelier de l'Université des Antilles et président de la Commission des réparations régionales de la Communauté caribéenne (CARICOM), a qualifié Horatio Nelson d’individu « vil, raciste, suprémaciste blanc [qui] a sacrifié des Noir·e·s, et qui a consacré sa vie politique et militaire à la protection du système colonialiste britannique coupable de la traite de 800 000 Africain·e·s de son vivant ».

Suite au meurtre atroce de Georges Floyd, le débat autour de ces monuments s’est fait plus pressant.

Sous l'impulsion barbadienne qui vise à gommer la présence du vice-amiral Nelson de la capitale, de nombreuses pétitions en ligne circulent actuellement dans cette région.

L’artiste Annalee Davis, qui a partagé la pétition [sur Facebook], observe :

[…] while I don't think to destroy the statue of Nelson is useful, I do think that relocating it to the museum or somewhere outside of National Heroes Square is viable and worth a national discussion. It is no longer called Trafalgar Square and he is not a hero. Wherever his statue is relocated to, it should include complete signage to clearly demonstrate who he was, what he did and his role in the colonial machinery that oppressed people.

[…] Même si je ne pense pas que la destruction de la statue d’Horatio Nelson soit un acte constructif, je pense que sa réinstallation dans un musée ou un lieu autre que la Place des Héros est envisageable et que c’est un sujet qui mérite une véritable discussion. Ce lieu ne porte plus le nom de Trafalgar Square et Horatio Nelson n’est certainement pas un héros. Quelle que soit la destination de la statue, une plaque commémorative décrivant quelle personne il était, ce qu’il a fait et son rôle dans le régime colonial oppressif devrait y être apposée.

Face aux voix réprobatrices qui réfutent l’idée selon laquelle il faudrait déboulonner ces monuments en argumentant par un « Mais où cela se terminera-t-il ? », Annalee Davis répond :

I don't believe that our tourism product should only tell the story from the perspective of those who enslaved people. There is a term being used around the world called ‘dark tourism’ and this is used in places like Auschwitz for example, to speak about concentration camps and tell the uncomfortable narratives that we want to turn away from.

J’estime que nos sites touristiques ne devraient pas témoigner d’une vision unilatérale de l’Histoire, en particulier si elle émane des personnes en ayant asservi d’autres. Le « tourisme morbide » connaît un essor mondial avec, par exemple, la visite de lieux tels que le camp d’Auschwitz, afin d'évoquer les camps de concentration et de raconter les événements difficiles à aborder, dont nous souhaiterions nous détourner.

Statue de Christophe Colomb située sur les marches menant au bâtiment abritant le siège du gouvernement de Nassau.

La statue de Christophe Colomb située devant le siège du gouvernement de Nassau. Photo de Robert Karma sur Flickr, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Au même moment, aux Bahamas, plus de 3 000 personnes signaient une pétition réclamant le retrait de la statue de Christophe Colomb qui trône devant le siège du gouvernement de Nassau.

Dans la pétition demandant le retrait de deux statues de Christophe Colomb à Trinité-et-Tobago, il est indiqué :

We must face the fact […] that we continue to publicly glorify the murderous colonizer who initiated two of the greatest crimes in human history: the genocide of the Indigenous people of the Caribbean and the Trans-Atlantic slave trade, both of which are at the root of the racial injustice that our generation is protesting today.

Nous devons prendre conscience du fait […] que nous continuons à honorer le colonisateur meurtrier qui a commis deux des plus grands crimes de l'histoire de l’humanité : le génocide des populations autochtones des Caraïbes et la traite négrière transatlantique, des maux qui gangrènent notre société sur fond d’injustices raciales que notre génération dénonce aujourd’hui.

Nickolai Salcedo, un musicien et acteur qui a relayé la pétition sur sa page Facebook, s’interroge :

Hey wouldn’t it be a cool bit of foresight if instead of waiting for a mob to tear down the statue of Columbus in [Port of Spain], the government was to preemptively remove it followed by removing any homages to our colonial past? […]

Our society […] still has monuments […] that literally litter and stain our landscape. Time for these monuments to the bloodthirsty to meet their blind dates; the sledgehammer of justice.

Et si le gouvernement anticipait un peu les choses en déplaçant la statue de Christophe Colomb [de Port-d’Espagne] au lieu d’attendre qu’elle soit arrachée par les manifestant·e·s ? L’abandon de tous les symboles glorifiant notre passé colonial pourrait aussi être envisagé. […]

Cette société qui est la nôtre[…] expose toujours des monuments […] qui salissent et entachent l’espace public. Il est temps que ces statuaires prônant la cruauté reçoivent leurs dû, à savoir, le sceau de la justice.

Polly Rawlings exprime là son désaccord :

We can't pick and choose history, this is a significant part of history — Keep it, not glorify it — attach the correct story to it — hostile takeovers must always be remembered for the damage they are responsible for.

Nous ne pouvons pas refaire l'histoire, il s’agit d’une part importante de notre passé. Gardons-la mais ne la glorifions pas, expliquons ce qui s'est réellement passé. Les conquêtes violentes doivent être attachées dans la mémoire collective aux ravages qu'elles ont provoqués.

La journaliste Judy Raymond a commenté le retrait de la statue de Robert Milligan. Elle répond très justement à la polémique :

[People] see a statue & assume that must be a great man. A plaque on an empty plinth might be more appropriate & useful. This is a discussion about visual memory.

[Les gens] voient une statue et en déduisent naturellement que c’est celle d’un grand homme. Il serait judicieux d’apposer une plaque explicative sur le piédestal pour corriger toute méprise. Il s'agit d'une discussion à envisager à travers le prisme de la mémoire visuelle.

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