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Caraïbes : Des appels à déboulonner les statues symbolisant l'oppression se multiplient dans le cadre du mouvement Black Lives Matter

Catégories: Caraïbe, Bahamas, Barbade, Trinité-et-Tobago, Cyber-activisme, Ethnicité et racisme, Histoire, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens
La photographie représente la tête et le torse de la statue du vice-amiral Horatio Nelson [1]

Statue du vice-amiral Horatio Nelson située à l'entrée de Bridgetown, la capitale de la Barbade. Photo de Nick Kocharhook [1] sur Flickr, sous licence CC BY-NC 2.0 [2].

L’article d'origine [3] a été publié en anglais le 11 juin 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Les manifestations du mouvement Black Lives Matter [4] (BLM) ont connu une résurgence mondiale à la suite du décès de George Floyd [5], un Afro-Américain tué par un policier blanc à Minneapolis, dans l'État du Minnesota, aux États-Unis.

À la suite de ces mobilisations, divers emblèmes représentant l'oppression envers les personnes noires ont été critiqués et vandalisés. Les résident·e·s des Caraïbes, face à l'ampleur de l'histoire coloniale, sont appelé·e·s à se questionner sur le devenir de tout ce qui symbolise cette oppression.

Le 2 juin, à Richmond, dans l'État de Virginie, des centaines de manifestant·e·s rassemblé·e·s [6] devant la statue du général Robert E. Lee, un général ayant officié au cours de la guerre de Sécession, scandaient : «Détruisez-la!». Bien que le gouverneur de l'État, Ralph Northam, ait annoncé [7] le retrait imminent de la statue de Robert E. Lee, cette opération a été interdite [7] suite à une décision judiciaire.

Le 7 juin dernier, au Royaume-Uni, des manifestant·e·s ont arraché la statue [8] du marchand d'esclaves [9] Edward Colston de son socle à Bristol, l'ont piétinée, puis jetée dans le port de la ville. [Par mesure de précaution], la statue du marchand d'esclaves Robert Milligan a été retirée [10] du quai West India Docks [11] à Londres.

Tandis que certain·e·s ont salué [12] un geste symbolique dénonçant le racisme avéré des personnalités ciblées et permettant de recouvrer une certaine dignité, d'autres ont fermement condamné ce type de méthodes.

Bien que les appels à renommer certains endroits dans les Caraïbes aient considérablement augmenté, la plupart des statues, dont celles situées dans le parc du roi George V [13] à Port-d’Espagne, à Trinité, rebaptisé également parc Nelson Mandela, demeurent en place.

De nombreuses régions célèbrent la lutte contre l'esclavage à travers des monuments tels que les statues de Bussa [14], initiateur de la plus grande rébellion d'esclaves de l'histoire de la Barbade, de Cuffy [15], dirigeant d'une révolte de 2 500 hommes en Guyane, ou encore « Redemption Song [16] » au parc de l'Émancipation en Jamaïque. Toutefois, de nombreuses statues perpétuent une vision romanesque et partiale de la découverte et de la possession d'êtres humains.

La remise en cause de la présence de ce type de statue dans l'espace public se fait sentir dans plusieurs îles des Caraïbes, comme l'a souligné l'universitaire féministe Gab Hosein dans une publication sur Facebook [17] : 

I don’t think there has been a global uprising of this geographical scope and diversity since the 1970s. […] Sparked by the BLM movement in the US and now expanded into decolonial struggle and dismantling racism more broadly, it does seem like — for almost the first time in 50 years — we are listening to another world breathing.

Je ne me souviens pas avoir observé un soulèvement mondial d'une telle envergure depuis les années 1970. Ce phénomène, notable par son ampleur géographique et sa diversité, […] a ravivé la lutte pour la décolonisation et contre le racisme en général, porté par le mouvement BLM aux États-Unis. C'est la première fois ou presque en près de 50 ans qu'émerge le sentiment de voir éclore un monde nouveau.

Deux jeunes femmes ayant participé à la destruction de la statue de l’abolitionniste français Victor Schoelcher, en Martinique, ont expliqué [18] leur geste dans une vidéo YouTube :

We, the young people of Martinique, are sick and tired of being surrounded by symbols that insult us. We were not the first to attack these symbols. Many before us have tried in vain to get rid of them […]

What is a statue? It is stating this is someone we admire for the impact he or she has had in the course of our history. […] Schoelcher was in favour of the compensation of the plantation owners; there are many transcripts proving that claim. If he had not, maybe it would have been different.

Nous, les jeunes martiniquais·es, en avons assez d'être entouré·e·s par tous ces symboles qui nous offensent. Nous ne sommes pas les premières à nous y attaquer. Beaucoup avant nous ont tenté, en vain, de s'en débarrasser […]

Qu'est-ce qu'une statue? C'est un signe de respect envers un personnage admiré pour ses contributions historiques. […] Cependant, comme de nombreuses transcriptions l'indiquent, Schoelcher était en faveur de l'indemnisation des propriétaires de plantations, et l'absence de cette initiative aurait potentiellement modifié le cours de l'Histoire.

Cette polémique n’est pas récente, souligne le binôme.

Les Barbadien·ne·s réclament effectivement depuis plusieurs décennies [19] le retrait d'une statue du vice-amiral Horatio Nelson  [20][fr]. En 2017, Sir Hilary Beckles, vice-chancelier de l'Université des Antilles et président de la Commission des réparations [21] régionales de la Communauté caribéenne (CARICOM), a qualifié Horatio Nelson [22] d'individu « vil, raciste et suprémaciste blanc, ayant sacrifié des Noir·e·s et consacré sa carrière à la protection du système colonialiste britannique, responsable de la traite de 800 000 Africains ».

L'assassinat brutal de George Floyd a ravivé [23] la controverse entourant ces monuments.

Appuyées par l'initiative barbadienne visant à éliminer la présence [24] du vice-amiral Nelson de la capitale, plusieurs pétitions circulent actuellement en ligne.

L’artiste Annalee Davis, qui a partagé la pétition [sur Facebook], observe [25] :

[…] while I don't think to destroy the statue of Nelson is useful, I do think that relocating it to the museum or somewhere outside of National Heroes Square is viable and worth a national discussion. It is no longer called Trafalgar Square and he is not a hero. Wherever his statue is relocated to, it should include complete signage to clearly demonstrate who he was, what he did and his role in the colonial machinery that oppressed people.

[…] En dépit de mes réserves quant à la destruction de la statue d'Horatio Nelson, je pense qu'une réinstallation dans un musée ou dans un lieu autre que la Place des Héros est une option envisageable, justifiant ainsi la nécessité d'un débat approfondi. Ce lieu ne porte plus le nom de Trafalgar Square et Horatio Nelson n’est certainement pas un héros. Quelle que soit la destination finale de la statue, l'ajout d'une plaque commémorative décrivant sa personne, ses actions et son rôle dans le régime colonial oppressif devrait être envisagé.

Face aux objections exprimant des doutes quant à la nécessité de déboulonner ces monuments, sous prétexte du « jusqu'où cela ira-t-il ? », Annalee Davis répond [26] :

I don't believe that our tourism product should only tell the story from the perspective of those who enslaved people. There is a term being used around the world called ‘dark tourism’ and this is used in places like Auschwitz for example, to speak about concentration camps and tell the uncomfortable narratives that we want to turn away from.

J’estime que nos sites touristiques ne devraient pas refléter une vision partiale de l'histoire, particulièrement si elle émane de ceux ayant réduit d'autres en esclavage. L'essor mondial du « tourisme morbide », avec, par exemple, les visites du camp d'Auschwitz, met en lumière la volonté de traiter des sujets difficiles que l'on pourrait être tenté d'ignorer.

Statue de Christophe Colomb située sur les marches menant au bâtiment abritant le siège du gouvernement de Nassau. [27]

La statue de Christophe Colomb située devant le siège du gouvernement de Nassau. Photo [27] de Robert Karma sur Flickr, sous licence CC BY-NC-ND 2.0 [28].

Parallèlement, la demande de démantèlement de la statue de Christophe Colomb devant le siège du gouvernement de Nassau prend de l'ampleur aux Bahamas, avec une pétition recueillant [29] plus de 3 000 signatures.

Sur la pétition réclamant le retrait [30] de deux statues de Christophe Colomb à Trinité-et-Tobago, il est indiqué [31] :

We must face the fact […] that we continue to publicly glorify the murderous colonizer who initiated two of the greatest crimes in human history: the genocide of the Indigenous people of the Caribbean and the Trans-Atlantic slave trade, both of which are at the root of the racial injustice that our generation is protesting today.

Nous devons reconnaître […] que nous continuons à rendre hommage à un colonisateur meurtrier qui a commis deux des plus grands crimes de l'histoire de l’humanité : le génocide des populations autochtones des Caraïbes et la traite négrière transatlantique. Ces fléaux continuent de gangrener notre société, accentuant les injustices raciales que notre génération dénonce aujourd’hui.

S'interrogeant [32] sur la pétition qu'il a relayée sur sa page Facebook, Nickolai Salcedo, musicien et acteur, soulève des questions importantes :

Hey wouldn’t it be a cool bit of foresight if instead of waiting for a mob to tear down the statue of Columbus in [Port of Spain], the government was to preemptively remove it followed by removing any homages to our colonial past? […]

Our society […] still has monuments […] that literally litter and stain our landscape. Time for these monuments to the bloodthirsty to meet their blind dates; the sledgehammer of justice.

Plutôt que d'attendre que la statue de Christophe Colomb [de Port-d’Espagne] soit arrachée par les manifestant·e·s, peut-être le gouvernement devrait-il anticiper en la déplaçant. Une réflexion sérieuse pourrait également être envisagée concernant l'abandon de tous les symboles glorifiant notre passé colonial. […]

Notre société actuelle […] expose toujours des monuments […] qui souillent et dégradent l'espace public. Il est urgent que ces statues, symbolisant la cruauté, soient jugées et reçoivent la sanction qu'elles méritent.

Polly Rawlings fait part de son désaccord [33] à ce sujet :

We can't pick and choose history, this is a significant part of history — Keep it, not glorify it — attach the correct story to it — hostile takeovers must always be remembered for the damage they are responsible for.

Il est impossible de réécrire l'histoire, cette période représente d'ailleurs une part importante de notre passé. Conservons-la sans pour autant la magnifier, et expliquons les événements tels qu'ils se sont réellement déroulés. Il est crucial que dans la mémoire collective, ces violentes conquêtes soient assimilées aux ravages qu'elles ont provoqués.

Les propos de la journaliste Judy Raymond offrent un éclairage précieux [34] sur la controverse entourant le retrait de la statue de Robert Milligan : 

[People] see a statue & assume that must be a great man. A plaque on an empty plinth might be more appropriate & useful. This is a discussion about visual memory.

La déduction spontanée selon laquelle une statue représente un grand homme est courante. Afin de rectifier de telles interprétations hâtives, l'ajout d'une plaque explicative sur le piédestal apparaît comme une mesure judicieuse. Cette approche pourrait engager une réflexion intéressante surtout si l'on considère la question à travers le prisme de la mémoire visuelle.