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Après le décès soudain du président burundais Pierre Nkurunziza, son parti politique se maintient

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Burundi, Dernière Heure, Droits humains, Élections, Gouvernance, Médias citoyens, Politique, Santé, COVID-19
Portrait de Pierre Nkurunziza devant le logo du Forum économique mondial, avec un pins du drapeau burundais sur le revers de la veste.

Pierre Nkurunziza, alors président du Burundi, immortalisé lors de la séance d'ouverture du Forum économique mondial [1] sur l'Afrique en 2008 à Cape Town en Afrique du Sud, le 4 juin 2008. Photo du Forum économique mondial via Flickr, sous licence CC BY-NC-SA 2.0 [2].

Le gouvernement du Burundi a annoncé le mardi 9 juin que le président Pierre Nkurunziza était décédé la veille après 15 ans au pouvoir et une élection confirmant son successeur.

Il était tombé malade, le samedi 6 juin, après avoir assisté à un match de volley et son état de santé s'était amélioré dans la journée du dimanche, avant de se dégrader étrangement le lundi 8 juin alors qu'il se trouvait à l'hôpital du Cinquantenaire à Karusi. Un deuil national de sept jours a été décrété.

Né en 1964, Pierre Nkurunziza a perdu son père [5] [en] alors qu'il était jeune dans les violences anti-Hutu. ll a ensuite suivi des études d'éducation physique [6] et est devenu enseignant. En 1995, il rejoint la rébellion [7] [en ; pdf] avec le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie  (CNDD-FDD), après avoir lui-même échappé à une attaque. Il continue à gravir les échelons, jusqu'à devenir président en 2005, avec la fin de la guerre et la constitution du CNDD-FDD en parti politique.

Il était très religieux et affirmait souvent qu'il avait été choisi par Dieu [8] [en] pour ce rôle.

Le Burundi a connu une période de paix et des avancées en termes de stabilité politique et économique, avec des mesures telles que les soins de santé gratuits pour les enfants [9]. Le CNDD-FDD, ex-groupe rebelle devenu un parti, a cependant progressivement dirigé le pouvoir dans une voie autoritaire. Ce processus s'est particulièrement intensifié après l'élection controversée de M. Nkurunziza en 2015 [10] [en] pour un troisième mandat.

Le CNDD-FDD a violemment exclu [11] [en ; pdf] l'opposition et les voix des médias [12], il a également coupé les liens avec les gouvernements étrangers et les organisations internationales. Beaucoup d'opposant·e·s et de membres modéré·e·s du CNDD-FDD ont quitté le pays [13]

Le Imbonerakure — la section jeunesse du parti — est monté en puissance et a souvent été accusé de violence armée [14] et de coercition.

Une enquête de la Cour pénale internationale [15] est en cours pour crimes présumés contre l'humanité commis au Burundi. Avec les changements constitutionnels entamés en 2018, qui ont renforcé les pouvoirs présidentiels, les critiques ont soutenu que son gouvernement délaissait les accords d'Arusha ayant ouvert la voie à la fin de la guerre.

Les rumeurs du COVID-19

Le gouvernement [16] a annoncé [17] que le décès de Pierre Nkurunziza était survenu suite à des complications liées à une attaque cardiaque, mais beaucoup soupçonnent [13] qu'il était malade du COVID-19. Sa femme atteinte du virus a été hospitalisée, et RFI a rapporté que les docteurs ont évoqué les symptômes du COVID-19 lors de sa première hospitalisation — et qu'un respirateur avait été transporté à l'hôpital. 

Sa femme, Denise Bucumi Nkurunziza, aurait été évacuée vers un hôpital de Nairobi [18] au Kenya le 27 mai en fin de journée, alors qu'elle présentaire des symptômes du COVID-19. Il y a eu très peu de communication officielle sur la situation, bien qu'elle ait envoyé [19] un message audio à son église le 5 juin dans lequel elle affirmait se sentir bien. Elle est ensuite rentrée au Burundi [20] le 9 juin.

Le personnel médical a récemment exprimé son inquiétude [21] concernant l'augmentation des cas [22] de patients présentant des symptômes de COVID-19. Le manque de capacité de dépistage, cependant, signifie que la situation pourrait être pire que celle signalée [23] [en] — seulement 83 cas enregistrés — étant donné la sous-estimation de la pandémie par les autorités et même l'expulsion des agents de l'Organisation mondiale de la santé, probablement en vue d'éviter d'admettre le manque de capacité de soins de santé et de reporter les dernières élections [24]

L'Olucome [25] (l'Observatoire de la lutte contre la corruption et les malversations économiques), une organisation non-gouvernementale, a appelé à davantage de vigilance, faisant référence aux grandes foules lors des meetings pendant les campagnes électorales. Dans le même temps, le gouvernement a affirmé [26] que le Burundi était protégé par Dieu. Des cas de patients avec des symptômes se rapprochant de ceux du COVID-19 ont été signalés à l'intérieur de la prison de Ngozi début juin.

Selon certaines sources [27], le ministre de la Santé aurait été hospitalisé avec les symptômes du COVID-19 après les élections, et aurait séjourné quelques jours dans un hôpital kényan [28], avant son retour.

L'impact politique

La récente élection a été marquée [24] par le harcèlement des opposants [29] et le manque d'observateurs. L'opposition a fait appel [30], affirmant l'existence d'irrégularités [31]. Étonnamment, le président de la Commission électorale indépendante nationale, Pierre Claver Kasihize, a annoncé le retrait des résultats rendus publics [32], affirmant qu'il s'agissait juste d'une ébauche n'ayant pas vocation à être publiée.

Cependant, les résultats de l'élection ont été plus tard confirmés [33] de manière officielle, par la Cour constitutionnelle. Le parti dirigeant et son candidat, Évariste Ndayishimiye, ont remporté les élections présidentielles et législatives avec respectivement 68,7 % et 68 % des voix.

La mort inattendue de Pierre Nkurunziza a changé la donne en ce qui concerne le mandat du nouveau président. On avait prédit que Pierre Nkurunziza exercerait une forte emprise sur lui —  le titre de guide suprême du patriotisme a été décerné au président sortant  — contrebalancé par l'influence du puissant conseil des généraux à l'intérieur du parti.

Cela n'a maintenant plus lieu d'être, étant donné que l'influence de Pierre Nkurunziza ne pèsera plus dans la balance politique. Cependant, le conseil des généraux, lié à un passé militaire rebelle [34] [en], est toujours présent : c'est ce même conseil qui a soutenu la candidature d'Évariste Ndayishimiye.

L'analyste Thierry Vircoulon a affirmé [13] que le parti du gouvernement CNDD-FDD et son système de patronage restaient en place, avec le puissant conseil des généraux, et que par conséquent, il fallait s'attendre globalement à peu de changement structurel.

Le nouveau président, qui entame un nouveau mandat de sept ans, est confronté à des défis tels que la hausse de la pauvreté [38] et la pandémie, ainsi que des relations diplomatiques tendues et plusieurs centaines de milliers de Burundais·es vivant sous un statut de réfugié [39] [en].

Pierre Nkurunziza aurait dû rester en fonction jusqu'au 20 août [40], date de l'investiture du nouveau président.

RFI a déclaré que conformément à la constitution, c'est Pascal Nyabenda, le président de l'Assemblée nationale, qui aurait dû être le président intérimaire. Celui-ci aurait eu la préférence du président sortant pour la succession [41], avant qu'Évariste Ndayishimiye ne soit désigné.

L'investiture d'Évariste Ndayishimiye pourrait être anticipée pour diminuer l'incertitude. 

Dans ce moment particulier, SOS Médias Burundi a déclaré [42] que les rues étaient calmes dans l'ancienne capitale Bujumbura. À Gitega [43], la capitale politique [44] [en] établie en 2019 par le gouvernement de Pierre Nkurunziza, les choses étaient encore plus calmes que de coutume, la population étant dans l'attente des événements à venir. 

Des émissions en son hommage [45] ont été diffusées à la télévision.

Les condoléances [46] ont afflué de différents gouvernements, notamment ceux de la République Démocratique du Congo [47] et du Rwanda [48], une nation considérée comme un « ennemi » par l'administration de Pierre Nkurunziza en raison des relations tendues. 

Le premier vice-président de la République et candidat à la présidentielle pour l'Union pour le Parti du progrès national (UPRONA), Gaston Sindimwo, a communiqué ses condoléances [49] à l'instar du parti de l'opposition du Conseil national pour la liberté, ou CNL [50].

Au même moment, les réactions des Burundais·es reflètent les divisions soulevées par la présidence Nkurunziza :

En apprenant le décès de Pierre Nkurunziza, je pense aux milliers de vies enlevées par son régime. Les familles qui ne verront pas la justice.
Je pense également à sa femme hospitalisée au Kenya. Sa mère a été hospitalisée à Ngozi. Sa soeur, les autres membres de sa famille…tou·te·s malades.

Antoine Kaburahe, fondateur du journal Iwacu, qui a subi le harcèlement des autorités ces dernières années, a écrit que la mort de Pierre Nkurunziza marquait un « temps de réflexion en ubuntu », en référence à une philosophie sud-africaine qui met l'accent sur l'interconnexion de l'humanité. M. Kaburahe vit actuellement en exil. Récemment, quatre journalistes de Iwacu ont été emprisonné·e·s [56] et leur appel a été rejeté [57].

Dans le sillage de la mort du président, d'élections contestées, et des problèmes d'exclusion économique, de violence politique et d'exil qui se profilent à long terme… de nombreux sujets méritent réflexion.