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Papouasie-Nouvelle-Guinée : le Premier ministre crée la surprise en refusant de renouveler le bail d'une importante mine aurifère

Catégories: Océanie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Droit, Economie et entreprises, Gouvernance, Médias citoyens, Politique
Mine d'or de Porgera située dans un paysage semi-montagneux. [1]

La mine d'or de Porgera. Photo [2] de Richard Farbelo, partagée sur Wikipedia et appartenant au domaine public.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Le 24 avril dernier, le Premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée, James Marape, a annoncé [3] à la surprise générale que le bail de l'une des plus importantes mines d'or du pays ne sera pas renouvelé. Cette décision a déclenché de vifs débats sur l'avenir de l'industrie minière qui est considérée comme un pilier de l'économie papouane-néo-guinéene [4] [fr].

Une déclaration inattendue

La décision de James Marape a provoqué des échanges houleux [5] en Papouasie-Nouvelle-Guinée. En effet, la mine de Porgera, dont le permis d'exploitation arrive à expiration, est un investissement international d'une grande importance dans le pays. Ce site minier est géré par la société Barrick Niugini Limited, une joint-venture entre l'entreprise canadienne Barrick Gold, la société chinoise Zijin Mining, les autorités de la province d'Enga et les propriétaires de Porgera.

L'exploitation du site de Porgera a démarré en 1990. Cette mine, à la fois souterraine et à ciel ouvert, emploie plus de 5 000 personnes et sa production annuelle s'élève à un million d'onces d'or (environ 28 350 kg). L'activité minière a permis d'augmenter les revenus locaux mais elle est toutefois à l'origine de tensions au sein de la population avoisinante en raison de son impact néfaste sur l'environnement. Des violations des droits humains ont également été signalées [6] dans des localités situées aux alentours de la mine. James Marape a justifié sa fermeture en rappelant que cette exploitation générait des impacts environnementaux négatifs et des problèmes de déplacement de populations.

Le bail de la société Barrick Niugini Limited a expiré le 18 août 2019. À l'issue des négociations, le Premier ministre a décidé de rejeter la demande de renouvellement pour vingt années supplémentaires. Cette décision a créé la surprise chez les principaux acteurs de l'industrie minière. En effet, lors de la campagne électorale de 2019, qui avait comme slogan « Reprenons la Papouasie-Nouvelle-Guinée », James Marape avait annoncé qu'il s'efforcerait de prélever une plus grande partie des recettes issues de l'activité des entreprises multinationales de l'industrie extractive, s'il était élu [7].

Le 27 avril dernier, James Marape a publié un post [8] sur Facebook pour rassurer ses concitoyen·ne·s que « le monde ne s'arrêtera pas de tourner si la Porgera devait fermer ». Il a également demandé à Barrick Niugini Limited de travailler avec le gouvernement à la mise en œuvre d'une période de transition et d'un plan de sortie :

Now that your lease has expired, the legal process is there for Barrick to comply so you can maintain your operation until an agreed exit time we both secure at negotiations when mutual obligations are retired.

My letter will ask Barrick to continue operating the mine when we go through this phase, but if you sabotage or close the mine, you leave me no choice but to invoke orders to take over the mine for the sake of land owners and provincial government who should be getting bigger equities, plus the employees and contractors who are presently working with the mine.

Maintenant, votre bail est arrivé à expiration. La procédure légale veut que Barrick respecte ce choix. Ainsi, vous pourrez maintenir l'activité jusqu'à ce que les négociations aboutissent à une date de retrait qui sera fixée lorsque nous nous serons acquittés de nos obligations mutuelles.

Mon courrier demandera à Barrick de continuer à exploiter la mine au cours de la période de transition. Mais si vous sabotez ou fermez la mine, vous ne me laisserez pas d'autre choix que de faire appel aux forces de l'ordre pour reprendre le site. Il convient de préserver à la fois les intérêts des propriétaires terriens et des autorités provinciales, qui doivent pouvoir acquérir davantage de parts dans l'activité, mais aussi ceux du personnel et des prestataires qui y travaillent actuellement.

Dans un autre post publié sur Facebook le 29 avril dernier, le Premier ministre a rappelé [9] que le gouvernement avait élaboré un plan pour les acteurs locaux :

To all staff at Porgera that is laid off at this time, we are working to restore you all back to work at the earliest. Hang in there!

Your loss of income will be compensated and none of you will lose your job and you will be back working when the mine is opened.

To all contractors of Porgera, you will still be required.

To all land owners of Porgera, this is your moment! You will sit on the table as greater free equity owners.

À vous, le personnel de Porgera sur le point d'être licencié, nous travaillons actuellement pour que tout le monde puisse retourner au travail le plus tôt possible. Tenez bon !

Vous recevrez une indemnité pour compenser votre perte de revenus. Personne ne perdra son emploi et vous reviendrez travailler dès que la mine rouvrira.

À vous, les prestataires de Porgera, nous aurons encore besoin de vous.

À vous les propriétaires terriens, votre moment est venu ! Vous allez pouvoir vous asseoir autour de la table en tant que propriétaires libres et plus influents.

Barrick Niugini Limited a qualifié [10] la décision de James Marape comme étant « assimilable à une nationalisation sans procédure régulière ». La société a ajouté que les autorités n'avaient pas consulté les propriétaires fonciers locaux avant de prendre leur décision :

The Government has also ignored the wishes of the Porgera landowners, who overwhelmingly support the extension of BNL’s lease, and the Prime Minister has refused to consult them or even hear their views.

L'État n'a pas tenu compte des souhaits des propriétaires fonciers de Porgera, qui ont pour la plupart demandé la prolongation du bail de Barrick Niugini Limited. Le Premier ministre a refusé de les consulter, ou même de les écouter.

Un groupe de propriétaires fonciers a condamné [11] le non-renouvellement du bail tout en avertissant des risques que ce choix faisait peser sur l'économie locale :

The ill-conceived decision not to extend the Porgera Mining Lease, and the resulting economic chaos that has brought to our people is causing us much pain, but the Government has never come to us to ask our views or to explain why they are making these decisions that affect us so much.

We already suffer from an uncertain future as our peoples’ livelihoods are impacted by the Covid-19 pandemic and the suspension of mining operations at Porgera after an ill-conceived decision by the government over the refusal of SML [Special Mining Lease] extension without consulting the landowners.

Le non-renouvellement du bail de la mine de Porgera est une décision inconsciente qui engendrera de graves difficultés économiques pour la population. Tout cela nous cause une grande tristesse. Les autorités ne nous ont jamais consultés. Elles ne nous ont pas expliqué pourquoi elles ont pris ces décisions qui nous touchent autant.

Nous faisons déjà face à un avenir incertain. Les conditions de vie des personnes sont impactées par la pandémie de Covid-19. Elles sont également touchées par la suspension des opérations de la mine de Porgera. C'est une décision inconsciente par la part des autorités car elles ont refusé de prolonger le bail minier spécial sans s'être préalablement concertées avec les propriétaires terriens.

Les propriétaires fonciers contestent également cette décision. Ils ont déjà entamé des négociations avec Barrick et veulent que l'entreprise maintienne ses activités. Sont-ils en train d'affirmer qu'ils ne sont même pas écoutés par les autorités papouane-néo-guinéennes ?

Une possible transition vers le développement durable ?

La question sous-jacente est de savoir si la Papouasie-Nouvelle-Guinée a le pouvoir de choisir son modèle de développement économique. L'opinion publique reste toutefois divisée sur cette question : certains propriétaires fonciers reconnaissent [16] la clairvoyance de l'action de James Marape et la possibilité de mettre en place un meilleur modèle de développement pour le pays. Un article publié dans le quotidien Post-Courier incite les autorités à gérer correctement les ressources du pays et à mener des programmes pour développer une économie indépendante.

Toutefois, les opinions divergent : un commentateur a recommandé [17] au Premier ministre de ne pas se comporter comme un dictateur dans un pays démocratique où l'État de droit est censé être respecté. L'entreprise Barrick Niugini Limited a depuis déposé une requête auprès du tribunal pour enquêter sur l'action des autorités de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Un journaliste du pays a lancé un appel au dialogue [18] pour résoudre la question du bail. Toutefois, il n'est pas sûr que les deux parties soient prêtes à négocier : le 29 mai dernier, Barrick Niugini Limited a annoncé que la société était prête à accroître [19] les parts détenues par les propriétaires fonciers locaux dans le bail de Porgera. Cependant, le 5 juin, l'Autorité des ressources minérales de Papouasie-Nouvelle-Guinée a accusé [20] Barrick Niugini Limited de chercher à exporter illégalement de l'or en Australie. La société a nié cette accusation. Au cours de la même semaine, Barrick Niugini Limited a reçu une convocation annonçant que la décision de ne pas renouveler le bail devait être examinée [21] ce 20 juillet par le tribunal.

Enfin, le 10 juin dernier, le Parlement a adopté [22] des amendements législatifs permettant d'accroître la participation de l'État dans les industries extractives du pays, à savoir les secteurs pétrolier, gazier et minier. James Marape a salué les parlementaires pour avoir approuvé le texte. Par ailleurs, il a rédigé un message à destination [23] des investisseurs sur sa page Facebook :

I can assure our investors that we know they must make money for their shareholders too so we will not be greedy but we just asking for a fair share, if they want to harvest our resources.

Je peux rassurer nos investisseurs. Nous comprenons qu'ils doivent également générer du profit pour leurs actionnaires. Nous ne serons donc pas gourmands. Toutefois, nous demandons simplement une répartition équitable pour pouvoir exploiter nos ressources.

Le débat autour du bail de la mine de Porgera a relancé les discussions sur le caractère équitable des accords qui autorisent des compagnies privées à extraire les ressources non-renouvelables du pays. Cette question restera un sujet à controverse, cependant toutes les mesures mises en place par les autorités auront un impact durable sur l'avenir économique de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.