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Viktor Tsoï : l'icône éternelle du rock dissident soviétique

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Biélorussie, Kazakhstan, Russie, Ukraine, Arts et Culture, Film, Histoire, Jeunesse, Médias citoyens, Musique, RuNet Echo
L'image représente un mur sur lequel est rendu un hommage à Viktor Tsoi. On peut y voir deux portraits du chanteur. L'un avec une cigarette à la main, les yeux fermés et, sur le second, il est assis. Il y a, tout autour, des inscriptions et graffiti en russe, de plusieurs couleurs bleu, blanc et noir. Deux petits dessins figurent en haut sur la droite de l'image.

Le mur, à la mémoire de Viktor Tsoï dans le centre de Minsk, sur lequel le caractère chinois “崔” désigne son nom de famille coréen. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en français, ndlt]

21 juin 1962, date de naissance de Viktor Tsoï [1], rock star russo-coréenne des dernières années de l'Union soviétique, qui connaît un statut culte dans tous les pays russophones, 30 ans après sa disparition tragique.

Rocker, acteur, dissident

Viktor Tsoï est né à Leningrad d'une mère d'origine russe, Valentina Gousseva, et d'un père d'origine coréenne, Robert Tsoï Les origines du père de Tsoï remontent à l'actuelle Corée du Nord via le Kazakhstan, sa famille ayant été déportée [2] [en] en Asie centrale soviétique sous le régime de Staline.

Après des études artistiques, Viktor Tsoï a très vite abandonné l'école et s'est mis à jouer du rock dans les années 1970. Durant cette période, le rock était essentiellement banni [3] par les autorités soviétiques car il symbolisait la “décadence occidentale”, incompatible avec l'idéologie communiste.

En 1980, Viktor Tsoï rencontre [4] [ru] l'un des musiciens soviétiques alternatifs les plus influents de l'époque, Boris Grebenchtchikov [5], ce qui va révolutionner sa carrière. En 1982, il créait son propre groupe, Kino [6], qui lui permit de connaître une notoriété immédiate dans toute l'Union soviétique. Le premier album de Kino intitulé “45”, a été enregistré en 1982 avec le groupe de Grebenshchikov, Akvarium [7]. Un autre album, “Notch [8]“, a été enregistré en 1986 et est sorti aux États-Unis sur un double album intitulé “Red Wave” : 4 Underground Bands from the USSR [9].”

Sur un mur d'hommage, en gros plan, on distingue le portrait du chanteur, sous la forme d'une photo, intégrée au mur. La photo est en noir et blanc, encadrée d'un large trait noir sur le mur blanc.

Portrait de Viktor Tsoï sur un mur du souvenir à Minsk en Biélorussie. Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission.

Viktor Tsoï a composé et enregistré plus de 90 titres devenus des succès immédiats par le biais de circuits non officiels, notamment des concerts clandestins et des enregistrements pirates, et cela à une époque où, censure oblige, les magnétophones étaient difficilement accessibles.

Néanmoins, les paroles de ses chansons se sont popularisées grâce au bouche à oreille, séduisant ainsi un public clandestin par leurs messages sur l'émancipation des jeunes, leur indépendance d'esprit et leur absence d'éloge à l'égard du parti communiste. La chanson “And from now on we are the ones in charge/Дальше действовать будем мы” ( en français : Et dorénavant, nous sommes aux commandes), par exemple, comporte une strophe éloquente : “So we came here to claim our rights: yes!/И вот мы пришли заявить о своих правах: “Да!”” (en français : “Nous sommes donc venus ici pour revendiquer nos droits : oui !”)

Suite à la perestroïka [10], qui a octroyé plus d'espace et de tolérance vis-à-vis des idées alternatives, en particulier dans le domaine des arts, Viktor Tsoï et son groupe Kino, seront autorisés à se produire officiellement sur scène pour être interviewés par la télévision soviétique.

En 1988, Viktor Tsoï a participé au tournage d'un film intitulé “The Needle/Игла” (en français: “L'aiguille” ) réalisé par le cinéaste Rachid Nougmanov et tourné dans l'actuel Kazakhstan. Ce film a fait sensation en raison de sa représentation de la toxicomanie, sujet tabou sous l'idéologie soviétique et, considéré comme un phénomène exclusivement “occidental”, même s'il a touché nombre de jeunes Soviétiques, notamment après la guerre soviétique en Afghanistan [11].

Le film, qui contient aussi des morceaux de Kino, est disponible sur YouTube :

[description video] Vidéo non disponible mais accessible sur YouTube car elle inclut du contenu de Starmedia.

Le 15 août 1990, Viktor Tsoï a perdu la vie dans la Lettonie contemporaine à l'âge de 28 ans, après une collision [12] [ru] entre sa voiture et un bus. Sa disparition prématurée a suscité de nombreux mythes, notamment celui du suicide ou de son assassinat par les services secrets soviétiques [13] [ru].

L'icône Viktor Tsoï

30 ans après sa mort, Viktor Tsoï compte toujours d'innombrables fans dans les pays et communautés russophones et inspire un large public, des musiciens aux astronomes.

Certaines vidéos de ses compositions ont été visionnées plus de 37 millions de fois sur YouTube. Certains de ses succès ont également été repris par des stars contemporaines de la scène rock et pop russe, telle que la chanteuse Tatar-Bachkir Zemfira [14] dans son reprise de la chanson “Cuckoo” (Кукушка [15]) :

Ses titres sont aussi remixés et diffusés par des DJs dans les pays et communautés russophones. Global Voices s'est entretenu avec DJ Hem, originaire de Tachkent et résidant à Helsinki et, animateur de sessions de DJ de musique soviétique en direct sur YouTube. Il a notamment initié une soirée spéciale anniversaire dédiée à Viktor Tsoï le 21 juin. Voici son regard sur le phénomène Viktor Tsoï :

Группа Кино была второй питерской группой, которую я когда-то услышал, это была песня Алюминиевые огурцы. [16] Она, эта песня – как в смысле содержания, текста – каким-то, пожалуй, даже кардинальным образом скорректировала моё отношение как к року вообще, так к русскому року в частности.

Думаю, популярность Кино объясняется прежде всего общей «героической» аурой Цоя – его манера держаться на сцене, манера исполнения, голос, весь его образ… Всего этого не хватало не только на сцене. Всего этого не хватало в жизни.

Тогда это было проблемой всей страны, только что сменившей полностью курс. И вот эти поколения и поколения людей, выросших на героизации подвига – у всех этих людей с перестройкой образовалась где-то внутри пустота. Опыта жизни без героя не было. Значит, герой должен был появиться, и это произошло с Виктором Цоем.

Его лирические тексты вряд ли когда-нибудь устареют. А его песни с гражданским пафосом в какие-то моменты и нынешней российской жизни оказываются актуальными, и уместными как никогда. Что удивительно, российская рок и поп-сцены ведь так и не породили ни одной группы, ни одного исполнителя, который бы умудрился своими условными тремя аккордами зацепить «струны души» такого большого количества людей!

Kino est le deuxième groupe de Leningrad que je connaisse, grâce au morceau “Aluminium Cucumbers [16]“, ( en français “Concombres en aluminium”) qui, de par son contenu et ses paroles, a radicalement modifié ma perception du rock et du rock soviétique.

La popularité de Kino tient surtout à l'aura héroïque de Viktor Tsoï – son aisance sur scène, son style artistique, sa voix, sa personnalité… Tout cela manquait à la scène [soviétique] et même dans la vie quotidienne.

À cette époque, c'était un enjeu pour le pays tout entier dont les orientations avaient complètement changé. Les générations précédentes, nourries d'images de héros [communistes], ont soudainement ressenti un grand vide intérieur lié à la perestroïka. Les gens n'imaginaient pas une vie sans héros. Il était donc vital qu'un héros entre en scène, et cela s'est produit avec Viktor Tsoï .

Les textes de ses chansons ne risquent pas de se démoder. De plus, les morceaux aux résonances citoyennes sonnent très contemporains dans le contexte de la vie russe actuelle, et toujours pertinents. Le plus extraordinaire est que la scène rock et pop russe n'a produit à ce jour aucun groupe ou chanteur capable de toucher l'âme d'un si grand nombre de personnes avec seulement trois accords !

Voici la bande-annonce de la soirée d'anniversaire consacrée à Viktor Tsoï par DJ Hem :

Le cinéaste russe, Kirill Serebrennikov [17], a réalisé en 2018 un film intitulé “Leto [18]” (en français: L'été) qui retrace la vie de Viktor Tsoi et l'enregistrement du premier album de Kino, au début des années 1980. Le film a été sélectionné pour la Palme d'Or [19] au festival de Cannes en 2018.

Au-delà du monde de la musique et du cinéma, Viktor Tsoï est une source d'inspiration: c'est une icône du paysage urbain contemporain dans plusieurs villes post-soviétiques qui affichent des peintures murales, des statues et des graffitis, rendant hommage à son répertoire. Un graffiti populaire, associé à Viktor Tsoi, s'intitule “Viktor Tsoi is alive”/Цой жив !  ( en français : “Viktor Tsoï est vivant” ).

Dans un parc du centre ville de Minsk, capitale de la Biélorussie, un mur commémoratif est dédié à Viktor Tsoï :

Il s'agit d'un mur rendant hommage a Viktor Tsoi. Il y a plusieurs photos et dessins du chanteur ainsi que de nombreuses inscriptions en russe, certaines dans les tons orangés et, la plupart en noir. Quelques inscriptions sont visibles en gros caractères.

Le mur à la mémoire de Viktor Tsoï à Minsk. Photo de Filip Noubel, utilisée avec autorisation.

Une statue [20] [ru] de Viktor Tsoï a été érigée le 21 juin 2018 à Almaty, ancienne capitale du Kazakhstan, pour honorer ses nombreuses attaches avec le pays. Dans ce tweet publié en mai 2019, alors que le pays connaissait des manifestations anti-gouvernementales, la statue de Viktor Tsoï y trône comme une icône dissidente :

” Et il n'y a rien d'autre
Tout est en nous”, “”And there is nothing else
All is within us.””. [Paroles de la chanson “Changes” de Viktor Tsoi (Перемен [23])]

Viktor Tsoi a manifesté à Almaty en brandissant une affiche sur laquelle on pouvait lire “Changements”, pic.twitter.com/tWCSiOfvlD [24].

Kiev, capitale de l'Ukraine, abrite également son propre mur de souvenirs, en hommage à Viktor Tsoï [25], comme vous pouvez le voir dans cette vidéo :

Il a même inspiré les astronomes de l’Observatoire d'astrophysique de Crimée [26] à Nauchnij, lesquels ont baptisé l’astéroïde 2740 Tsoj [27] [en] en son honneur.

Il ne fait aucun doute que les textes de ses chansons, encore appris par cœur, cités et référencés au quotidien par les russophones du monde entier, resteront une source d'inspiration pour de nouvelles générations de fans. Citons, parmi ses meilleurs textes, l'extrait de la chanson “A pack of cigarettes”/ Пачка сигарет [28] [ru] ( En français : “Un paquet de cigarettes” ) :

Я сижу и смотрю в чужое небо из чужого окна
И не вижу ни одной знакомой звезды.
Я ходил по всем дорогам и туда, и сюда,
Обернулся – и не смог разглядеть следы.

Но если есть в кармане пачка сигарет,
Значит все не так уж плохо на сегодняшний день.
И билет на самолет с серебристым крылом,
Что, взлетая, оставляет земле лишь тень.

S'asseoir et observer un ciel inconnu depuis une fenêtre insolite
Je ne distingue pas la moindre étoile connue,
J'ai parcouru toutes les routes, ici et là,
Je me suis retourné – et je ne retrouvais pas mon chemin.

Mais si vous possédez un paquet de cigarettes dans votre poche,
Alors les choses ne vont pas si mal aujourd'hui.
Et un billet d'avion pour prendre place sur un vol aux ailes d'argent,
Qui, en décollant, ne laisse rien d'autre qu'une ombre sur la terre.