Le Sri Lanka se prépare aux élections déjà différées deux fois sur fond de réponse militarisée au COVID-19

Un tuktuk surmonté de hauts-parleurs diffuse des messages électoraux au Sri Lanka.

Un véhicule de propagande électorale à Dharga Town au Sri Lanka. Image de Hafiz Issadeen via Flickr, sous licence CC BY-ND 2.0.

L’article d'origine a été publié en anglais le 21 juin 2020. Certaines données ont été mises à jour afin de refléter l'évolution de la situation.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient à des pages en anglais, ndt.]

Le Sri Lanka organisera le 5 août ses élections parlementaires, qui ont été prorogées pendant de plus de trois mois en raison de la crise du coronavirus.

Les élections [fr] étaient programmées initialement pour le 25 avril, mais ont été reportées au 20 juin puis à nouveau au 5 août, à cause des préoccupations d'ordre sanitaire relatives au COVID-19. Ce scutin a été annoncée après l'assouplissement des conditions de confinement mises en place par le Sri Lanka.

Le Sri Lanka fait preuve d'une meilleure maîtrise de la propagation du COVID-19, comparé aux pays limitrophes d'Asie du Sud. Au moment de la rédaction de cet article, le Sri Lanka a enregistré 1 950 infections au COVID-19  et 11 morts [2 010 infections et 11 morts au 26 juin, ndt.] avec un nombre de cas actifs en baisse et un nombre de décès qui se stabilise depuis deux semaines.

#COVID19 en Asie du Sud : de nouveaux cas ont été signalés en Afghanistan, au Bangladesh, en Inde, aux Maldives, au Népal, au Myanmar, au Pakistan et au Sri Lanka. Il y a au total 693 586 cas et 17 827 décès en Asie du Sud au 19 juin 2020 à 13h00 GMT.  #Coronavirus #AsieduSud

Élections éclair

Lire aussi : Your guide to the 2019 Sri Lankan presidential election

Le président Gotabaya Rajapaksa, qui a été élu aux élections présidentielles de novembre 2019, a exercé son pouvoir constitutionnel pour dissoudre le parlement le 2 mars, six mois plus tôt que la date prévue. Selon lui, cette action était nécessaire dans la mesure où le parlement dominé par l'opposition avait affaibli son autorité. L'un des objectifs du parti de Gotabaya Rajapaksa, Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), est de regagner sa majorité au parlement, qui se compose de 225 membres. Gotabaya Rajapaksa a appelé à des élections éclair au 25 avril. Beaucoup de critiques ont jugé le moment inopportun, étant donné que le pays fait actuellement face à la pandémie.

Le juriste en droits humains Bhavani Fonseka a posté un tweet au sujet de l'appel au report des élections :

Le Centre pour le contrôle de la violence des élections (CMEV) a poussé la Commission électorale à reporter les élections générales programmées au 25 avril 2020, compte tenu de la propagation de la pandémie du COVID-19 @cmev #COVID19 #coronavirus #SriLanka #lka

Au milieu des appels de l'opposition et de la société civile au report des élections, le commissaire aux élections Mahinda Deshapriya a annoncé l'ajournement indéfini des élections du 19 mars, invoquant la menace du COVID-19.

Harim Peiris écrit sur Groundviews à propos de cette déclaration :

Given that the electoral process requires a mass domestic human migration or movement of people and that campaigning makes social distancing impossible, the decision of the Elections Commission was inevitable. Perhaps in hindsight, the hasty dissolution of parliament when Covid-19 was known as a global pandemic was unwise.

Étant donné que le processus électoral exige une migration humaine nationale en masse ou un déplacement de personnes, et que la campagne rend la distanciation sociale impossible, la décision de la Commission électorale était inévitable. Peut-être avec le recul, la dissolution précipitée du parlement, alors que le COVID-19 était reconnu comme une pandémie mondiale, s'avère-t-elle peu judicieuse.

Le 22 mars, le Sri Lanka a imposé un confinement strict d'une durée de sept semaines pour empêcher l'augmentation des cas de COVID-19.

Le 20 avril, la Commission électorale a annoncé que les élections parlementaires auraient lieu le 20 juin.

Une crise constitutionnelle ?

Les analystes ont immédiatement indiqué que la nouvelle date des élections allait à l'encontre d'une disposition [pdf] constitutionnelle, qui exige que les élections se tiennent dans un délai de trois mois après la dissolution du parlement. Asanga Welikala écrit à ce sujet sur Groundviews :

The Constitution requires even a dissolved Parliament to be recalled in an emergency to fulfil the requirements of legislative oversight of the executive (including the exercise of any emergency powers), and to approve appropriations of public funds for government expenditure. The President, however, has steadfastly refused to do so. Coupled with this refusal, the practical inability to hold an election during the pandemic has resulted in the Election Commission having to set 20 June as the new date for the election. This is a date that is prima facie in breach of the constitutional stipulation that an election must be held, and a new Parliament must meet, within three months of the date of the dissolution of the old Parliament.

La Constitution exige que même un parlement dissous soit rappelé en urgence pour accomplir les obligations d'un contrôle législatif de l'exécutif (notamment l'exercice de tous pouvoirs exceptionnels), et pour approuver les affectations de fonds publics pour les dépenses du gouvernement. Le président a cependant refusé catégoriquement d'agir dans ce sens. En plus de ce refus, l'incapacité pratique à tenir des élections pendant la pandémie a eu pour conséquence d'obliger la Commission électorale à fixer la nouvelle date des élections au 20 juin. Il s'agit, de prime abord, d'une date portant atteinte à une stipulation constitutionnelle selon laquelle des élections doivent avoir lieu, et un nouveau parlement doit être constitué, dans un délai de trois mois après la date de la dissolution de l'ancien parlement.

Beaucoup ont remis en cause l'utilité de l'organisation d'élections pendant la pandémie. Le gouvernement a également été accusé de mobiliser les militaires [pdf] pour consolider le pouvoir. Tisaranee Gunasekara a alerté sur les dangers de la militarisation de la réponse au COVID-19 :

The danger of holding an election in such an atmosphere is obvious. The government will not hesitate to arrest opposition activists and voters for violating this or that anti-virus rule while giving a free pass to its own supporters. But postponing the election repeatedly carries its own dangers. It will habituate the president into acting outside the constitution and strengthen those who are advocating Gotabaya rule.

Le danger d'organiser des élections dans une telle atmosphère est évident. Le gouvernement n'hésitera pas à arrêter des militant·e·s et des électeur·rice·s de l'opposition pour violation de telle ou telle règle de lutte contre le virus, tout en laissant librement circuler ses partisans. Mais reporter les élections de manière répétée comporte ses propres dangers. Cela pourrait habituer le président à agir en dehors des limites de la constitution et à renforcer ceux qui défendent le régime de Gotabaya Rajapakshe.

Le 2 juin, la Cour suprême du Sri Lanka a rejeté un certain nombre de requêtes contestant la décision de la Commission électorale en faveur de l'organisation des élections au 20 juin. De nombreuses personnes ont considéré cette décision comme une justification des actions de Gotabaya Rajapakshe, à savoir la dissolution du parlement et le refus de convoquer le parlement.

[image] Caricature de Gotabaya Rajapakshe, qui est agenouillé sur une femme représentant la Constitution. Elle est allongée par terre, sur le dos, agonisante, alors qu'il l'étrangle avec un genou au niveau de sa gorge (référence à l'affaire George Floyd ?) Un sabre est placé à côté des personnages.

Cependant, Dr Asanga Welikala, maître de conférence en droit, est en désaccord avec la décision de la cour :

Le Sri Lanka entre en opposition avec les dispositions constitutionnelles aujourd'hui 2 juin 2020.

Aucun parlement élu et aucune assemblée. Aucune date légalement prévue pour des élections ou pour la constitution d'un autre parlement.

Lorsque la Constitution est mise de côté, la formation d'un autre parlement est à la discrétion d'un seul homme.

Le 10 juin, le président de la Commission électorale a annoncé que la date des élections serait reportée pour la seconde fois, au 5 août.

Les conseils de santé pendant les élections

En même temps que l'annonce des élections pour le 5 août, la Commission électorale a également publié ses directives sanitaires pour le déroulement du scrutin pendant la pandémie du COVID-19. Les principales recommandations sont les suivantes :

  • Port du masque obligatoire dans l'isoloir
  • Maintien de la distance d'un mètre dans les files d'attente pour les élections
  • Les personnes n'ayant pas terminé leur quarantaine ne sont pas admises
  • Le nombre de personnes aux réunions de campagne pour les élections est limité à 100
  • Interdiction des manifestations
  • La distribution de prospectus est déconseillée

Pour l'instant, la Commission électorale a organisé deux élections fictives pour tester l'état de préparation de la population pendant la pandémie.

REGARDEZ : le Réseau asiatique pour les élections libres (@Anfrel) se trouve dans l'école primaire de Menerigama dans le district de Kalutara aujourd'hui 14 juin pour observer les élections fictives organisées par la Commission électorale du #SriLanka.

[images] Déroulement des élections fictives : les assesseurs portent des masques de protection faciale et des gants. L'exercice se déroule sous l'observation d'agents de l'Anfrel.

Beaucoup de candidat·e·s aux élections utilisent la publicité payante sur les réseaux sociaux pour leurs campagnes politiques. Selon certaines sources, Facebook publiera les informations concernant les dépenses publicitaires des candidats politiques du Sri Lanka.

La Commission européenne, a décidé de ne pas envoyer de mission d'observation complète pour les élections du 5 août, invoquant le COVID-19.

Vraiment inquiétant. Au milieu de la militarisation + la répression de la dissidence galopantes au Sri Lanka, et juste 9 mois après les élections qui ont mis en évidence de larges atteintes au processus électoral, y compris l'intimidation des électeur·ice·s – des élections parlementaires sans surveillance externe significative comportent des risques considérables.

Alors que le Sri Lanka s'apprête à ouvrir à nouveau ses frontières au tourisme au 1er août, une étape vers le retour à la normale, il reste à savoir dans quelle mesure les élections vont être libres et équitables.

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