Brésil : une mortalité plus élevée pour la population noire face au coronavirus

Un homme fait son jogging et un livreur se déplace à vélo. Tous deux portent un masque facial.

Image par Pedro Conforte à Plantão Enfoco, reproduite avec autorisation.

Cet article a d'abord été publié en portugais le 6 mai 2020, et traduit en espagnol par notre partenaire brésilien Agência Publica. Il a ensuite été re-publié, édité, puis traduit par Global Voices avec leur permission.

Le nombre de personnes noires décédées de la COVID-19 au Brésil a été multiplié par cinq en deux semaines. Entre le 11 et le 26 avril, le nombre de morts officiellement confirmées est passé d'un peu plus de 180 à plus de 930 parmi les Brésiliens noirs touchés par le coronavirus. Le nombre de patients noirs hospitalisés pour un syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) engendré par le coronavirus a été multiplié par 5,5.

En revanche, chez les Brésiliens blancs, on observe une augmentation plus faible de la mortalité durant ces deux semaines : le nombre de morts a triplé, et le nombre d’hospitalisations a augmenté de manière similaire.

Au 18 juin, le Brésil atteignait un nombre total de 46 842 morts du coronavirus. Depuis le début de la pandémie, le président Jair Bolsonaro minimise [fr] la gravité du virus et tient à continuer à faire vivre l'économie. Les gouverneurs régionaux ont mis en place des consignes de confinement. À ce jour, le pays est le deuxième le plus touché au monde.

La forte augmentation du nombre de personnes noires hospitalisées ou décédées du fait de la COVID-19 met en évidence les problèmes d'inégalités raciales au Brésil. Parmi la population noire, un patient sur trois est décédé des complications causées par le virus. Ce n'est le cas que d'un sur 4,4 parmi les patients blancs.

[Les graphiques suivants utilisent les termes « branco » pour parler de personnes blanches, et « preto» et « pardo » pour parler respectivement des personnes noires et métissées noires. Dans cette traduction, nous parlerons de « personnes noires » sans distinction, ndlt.]

La mortalité due à la COVID-19 au Brésil augmente plus parmi la population noire. On constate une augmentation d'un facteur de 3,1 pour la population blanche entre le 11 et le 26 avril, tandis que sur la même période la mortalité au sein de la population noire a été multipliée par 5. Graphique utilisé avec autorisation.

Le pourcentage de morts parmi la population blanche a diminué, alors qu'il a augmenté chez la population noire, entre le 11 et le 26 avril. Une note indique que les statistiques du ministère de la Santé ne prennent pas en compte les rapports où la race / couleur de peau n'est pas renseignée. Graphique utilisé avec autorisation.

Morts dues au syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) chez les patients hospitalisés pour la COVID-19. On observe 1 mort sur 3,1 hospitalisations parmi la population noire contre 1 mort pour 4,4 hospitalisations pour la population blanche. Données tirées des rapports épidémiologiques du ministère brésilien de la Santé. Graphique utilisé avec autorisation.

Ces données sont issues d'une étude d’Agência Pública utilisant les rapports épidémiologiques du ministère de la Santé brésilien, qui comportent des informations sur la couleur de peau des patients hospitalisés et décédés du fait du coronavirus. Le gouvernement fédéral a publié ces chiffres le 26 avril.

Tombes creusées au cimetière de Vila Nova Cachoeirinha, qui relève de Brasilândia, un quartier de São Paulo dont la population est composée pour moitié de personnes noires et qui détient le nombre le plus important de morts de la COVID-19. Photo utilisée avec la permission de l'auteur.

Pour chaque décès à Moema, quatre meurent à Brasilândia

São Paulo, la plus grande ville du pays et celle avec le nombre le plus important de décès dus à la COVID-19, a enregistré un taux de mortalité plus élevé dans les quartiers dotés d'une forte population noire. Selon Agência Pública, parmi les dix quartiers les plus touchés par des décès liés au coronavirus, huit ont un nombre d'habitants noirs plus élevé que la moyenne de la ville.

Brasilândia est le quartier avec le plus grand nombre de morts [pt] : 103 patients y sont morts du coronavirus. Près de 50 % des habitants de ce quartier se déclarent noirs (alors que la moyenne est de 37 % à São Paulo), ce qui contraste avec le secteur de Moema, le quartier avec le moins d'habitants noirs (moins de 6 %), qui n'a constaté que 26 décès.

Même en analysant les chiffres proportionnellement, la différence nette entre les deux quartiers persiste : en comparaison avec le nombre d'habitants à Moema, Brasilândia subit 25 % de décès en plus. Agência Pública a utilisé les données du dernier recensement, en 2010, pour déterminer la taille de la population et l'appartenance raciale ou la couleur de peau des habitants.

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L'impact de la COVID-19 sur les habitants noirs à Brasilândia et à Moema. À Brasilândia, qui compte 50,60 % de résidents noirs, le taux de mortalité est de 38,8 pour 100 000, alors qu'à Moema, où la population noire représente 5,82 % des résidents, ce chiffre s'élève à 31,1 pour 100 000. Graphique utilisé avec autorisation.

À Jardim Ângela, le quartier de la ville avec le plus important pourcentage de personnes noires, le nombre de morts du coronavirus a presque triplé en deux semaines. Dans d'autres quartiers dont la population est en majorité noire, comme Grajaú, Parelheiros, Itaim Paulista, Jardim Helena, Capão Redondo et Pedreira, le nombre de morts dû à la COVID-19 a plus que triplé pendant cette même période.

La propagation du coronavirus dans les banlieues de São Paulo ralentit dans les quartiers les plus aisés, où les premiers cas étaient apparus. Au 17 avril, les quartiers avec moins d'habitants noirs que la moyenne comptaient 13 % de morts en plus, par rapport aux endroits plus habités par la population noire. Deux semaines plus tard, cette différence n'est plus que de 3 %. Si cette tendance se confirme, le nombre de morts de la COVID-19 dans les quartiers à majorité noire dépassera celui des quartiers où les personnes noires sont moins présentes.

Les zones où résident le plus de personnes noires sont les zones à l'Indice de Développement Humain Municipal (IDHM) le plus bas [l'IDHM évalue l'espérance de vie, l'éducation et le niveau de revenu]. Les dix quartiers de São Paulo à l'IDHM le plus bas sont ceux avec une population noire plus importante que la moyenne de la ville. À l'inverse, les dix quartiers ayant obtenu les plus hauts scores d'IDMH sont ceux où les personnes noires sont moins présentes. Parmi les dix quartiers où on constate les nombres de morts les plus importants, huit ont un IDHM inférieur à 0,8 en moyenne. Le pourcentage d'habitants noirs dans ces huit quartiers est plus élevé que la moyenne de São Paulo.

À Rio, plus de décès dans les quartiers à plus forte population noire

Une femme portant un masque se lave les mains à une station de lavage à Rio, sous les yeux d'un agent de la municipalité.

À Rio, l'accroissement du nombre de cas de COVID-19 dans les quartiers habités par plus de personnes noires que la moyenne de la ville entraîne la constatation de plus en plus de décès. Photo utilisée avec autorisation.

Les quartiers de Rio où réside une plus forte population noire que la moyenne de la ville ont déjà subi un nombre absolu de morts plus important que dans les quartiers dans lesquels cette population est moins nombreuse.

Campo Grande, qui a plus de 50 % d'habitants noirs, est actuellement le quartier le plus touché, dépassant Copacabana, qui détenait précédemment le record du nombre de morts de la COVID-19. Suivent ensuite Bangu et Realengo, deux quartiers à majorité noire, les troisième et quatrième quartiers les plus affectés.

Quartiers de Rio de Janeiro comptant le plus de décès dus à la COVID-19. Graphique utilisé avec autorisation.

Au moment de cette enquête, les chiffres officiels déclaraient neuf morts à Rocinha, le plus gros quartier pauvre de la ville. Les médecins [pt] locaux questionnent ce chiffre, et pointent qu'il y a déjà eu 22 décès dans la favela.

L'écart entre le nombre de cas confirmés et le nombre de décès diffère également entre les quartiers riches et les quartiers pauvres de Rio, ce qui pourrait indiquer une difficulté d'accès aux tests pour les habitants des favelas et des banlieues.

Dans l’État de l'Amazonas, les personnes blanches et noires n'ont pas les mêmes chances de survie

Dans l’État de l'Amazonas, où les structures de santé publique sont dépassées [fr], parmi les patients les plus sévèrement atteints par la COVID-19, les personnes noires meurent en plus grand nombre que les personnes blanches. Selon Agência Pública, chez les malades noirs, on retrouve un mort pour 2,4 patients dans un état grave, tandis que chez les personnes blanches, on constate un mort pour 3,2 patients gravement malades.

La COVID-19 dans l’État d'Amazonas. Parmi les cas graves, on trouve 850 personnes noires et 81 personnes blanches. Concernant les morts dues à la COVID-19, 343 étaient des personnes noires, contre 25 personnes blanches. Données datant du 29 avril, issues du secrétariat à la Santé de l’État d'Amazonas. Graphique utilisé avec autorisation.

L’État de l'Amazonas, premier État brésilien à atteindre sa capacité maximum en soins intensifs pour les malades du coronavirus, a enregistré une augmentation significative des cas de COVID-19 sévères que chez les personnes noires, plus que chez les Brésiliens blancs. Le nombre de patients noirs gravement atteints a doublé fin avril.

Dans l'Amazonas, pour chaque décès d'un malade blanc, 13 malades noirs meurent. Les autorités de santé ont rapporté 850 personnes noires gravement atteintes par le coronavirus, et plus de 340 décès. Parmi les habitants blancs, 81 cas graves et 25 décès ont été constatés. Les données sur l'origine ethnique des malades ont été mises à jour le 29 avril.

Un cimetière à Manaus, au Brésil. Des croix blanches et bleues s'étendent à perte de vue.

À Manaus, la première ville brésilienne victime de l'effondrement de son système de santé public, on observe 13 décès de patients noirs pour chaque décès d'un patient blanc. Photo utilisée avec autorisation.

Malgré les chiffres indiquant une importante augmentation du nombre de décès parmi la population noire, et un nombre plus important de morts parmi les patients hospitalisés, le gouvernement fédéral n'a pas publié d'informations détaillées à ce propos. Par exemple, aucune information sur le nombre de cas confirmés par origine ethnique, ni sur le nombre de tests réalisés par catégorie de population, n'est disponible.

L'avocat Daniel Teixeira, directeur du Ceert, le Centre d'étude du monde du travail et des inégalités, explique que le manque de données officielles sur les origines ethniques est un problème de longue date. D'après lui :

Há vários fatores que podem explicar essa alta letalidade [da Covid-19 entre a população negra]. Justamente, ter informações melhores significa a gente, inclusive, confirmar ou até excluir a importância ou relevância de cada um desses fatores, conforme o caso. Porque aí está a riqueza que os dados podem fazer.

Différents facteurs pourraient expliquer cette forte mortalité [due à la COVID-19 dans la population noire]. Avoir plus d'informations permettrait justement d'exclure ou de confirmer, le cas échéant, l'importance ou la pertinence de chacun de ces facteurs. C'est la raison pour laquelle ces données sont importantes.

Daniel Teixeira estime que ce type d'écart n'est pas seulement présent dans le domaine de la santé, mais qu'il est très répandu dans le pays.

A falta desse tipo de recorte pode ser um impeditivo para que a gente tenha políticas públicas que deem conta dessa situação que, historicamente, desconsidera as dimensões de desigualdades estruturais no Brasil.

L'absence de ce genre de données empêche de mettre en place des politiques publiques qui prennent en compte cette situation particulière. Historiquement, les inégalités structurelles ont été ignorées au Brésil.

Cette enquête a été initialement publiée par Agência Pública

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