Cameroun : le prix du poisson s'envole tandis que les mangroves s'épuisent

Un homme marche sur un pont en bois qui traverse la mangrove.

Un homme traverse la mangrove à pied dans une réserve de faune à Manoka, une ville située dans la région du Littoral au Cameroun. Photo issue de Pisqel et appartenant au domaine public.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Au Cameroun, les vastes territoires de mangroves offrent des ressources abondantes aux communautés environnantes. Depuis des années, les habitant·e·s dépendent des mangroves, appelées localement mantada, pour satisfaire leurs besoins aussi bien en bois de chauffage qu'en poissons.

Ces arbustes qui composent la mangrove se développent dans les zones côtières de faible élévation. Ils résistent aux marées et poussent dans l'eau salée. Ekwadi Songe, délégué de la région Sud-Ouest en charge de l'environnement, de la protection de la nature et du développement durable, estime que les mangroves couvrent 60 % de cette région. Elles s'étendent en tout sur trois zones : le Rio del Ray, l’estuaire du Wouri [fr] et l'estuaire du Ntem.

Au cours des dernières années, ces écosystèmes se sont appauvris à cause de la surpêche et de l'exploitation excessive de la forêt. Ils sont également menacés par la hausse du niveau de la mer, liée au changement climatique. Aujourd'hui, en pleine pandémie de Covid-19, on assiste à une flambée du prix du poisson. Elle est largement attribuée à la dégradation des mangroves.

Jocien Siyir Kinyuy, une étudiante qui vit à Buea, la capitale de la région Sud-Ouest, explique à Global Voices que le prix du poisson a indéniablement augmenté sur le marché à cause de la pandémie. Elle poursuit ainsi : « Avant, je payais 650 francs le kilogramme de poisson, soit 1,11 dollar américain. Maintenant, il coûte 750 francs, soit 1,28 dollar. Le prix monte parfois à 800 francs, soit 1,37 dollar. »

Jocien Siyir Kinyuy estime que les poissons commercialisés aujourd'hui sur le marché sont généralement importés, accentuant ainsi l'augmentation des tarifs : « J'ai constaté que les prix pratiqués par les petits commerçants de la plage de Limbe, qui s'approvisionnent auprès des pêcheurs étaient même supérieurs ». Elle précise également que les entreprises étrangères qui dominent le marché sont soumises à des impôts élevés. Malgré ce contexte, le Cameroun a décidé en février dernier d'interdire l'importation de poissons provenant de Chine en raison de l'épidémie de coronavirus.

Le site Internet de l'agence de presse Andalou Agency rapporte qu'en 2010, les mangroves camerounaises s'étaient appauvries de 75 %. Les chiffres doivent être dorénavant plus élevés.

Ekwadi Songe, le délégué de la région Sud-Ouest, spécifie que « si les mangroves disparaissent, il n'y aura plus de poisson au Cameroun ».

L'offre et la demande de poisson

Chechua Manzo réalise un master en gestion des ressources naturelles au Cameroun et explique que les communautés environnantes bénéficient des richesses fournies par les mangroves. Ces écosystèmes offrent des conditions de reproduction favorables à de nombreuses espèces de poissons et de crustacés, y compris les crabes. Elles sont également un habitat pour les oiseaux migrateurs.

Par ailleurs, les racines des arbres de la mangrove atténuent la puissance des vagues, offrant ainsi des eaux calmes aux poissons juvéniles et un environnement propice où les crabes peuvent déposer leurs œufs. Les résultats d'une étude publiée dans le magazine BusinessCameroon révèlent qu'en 2009, plus de 5 000 tonnes de poissons ont été prélevées dans les mangroves. « Le bossu, le bar, le mulet et le mâchoiron sont quelques exemples d'espèces pêchées dans les mangroves. Ce sont également celles les plus recherchées par les consommatrices et les consommateurs. »

Cette année, le ministère de l'Élevage, des Pêches et des Industries animales a annoncé que 200 000 tonnes de poissons sont importées annuellement pour compenser une production nationale insuffisante et pour répondre à la demande évaluée à environ 400 000 tonnes de poissons par an.

Depuis des années, les mangroves subissent une pression considérable de la part des communautés de pêcheurs où plus de 80 % des habitant·e·s dépendent du bois des mangroves pour le fumage et la conservation du poisson.

Chechua Manzo explique qu'« on voit des souches de mangroves récoltées en passant dans les rues de Yoyo, un village littoral situé dans le département de la Sanaga-Maritime. Les gens trouvent pratique d'utiliser ce bois comme combustible pour fumer le poisson ».

Regina Fonjia Leka témoigne sur Twitter de la façon dont la crise a impacté la ville de Mouanko dans le département de la Sanaga-Maritime :

2 500 mètres cubes de mangrove disparaissent chaque jour à Mouanko au Cameroun. Le bois est ramassé pour le fumage du poisson. Cette pression a entraîné une baisse très importante de cette ressource vitale. L'organisation non gouvernementale locale CWCS [Cameroon Wildlife Conservation Society, en français : Société camerounaise de préservation de la faune], essaye d'inverser la tendance. Regardez comment !

Chechua Manzo indique à Global Voices que « le palmier Nipa est la principale menace des mangroves ». Il ajoute également que l'extension de l'urbanisation en zone littorale contribue grandement à la disparition des mangroves dans cette région.

L'agence de presse Andalou Agency rapporte que, de son côté, le ministère camerounais des Forêts et de la Faune vend le bois des mangroves qui ont été détruites pour moins d'un dollar. Ce bois est utilisé pour la construction.

La préservation de la mangrove

Les autorités ont adopté différentes mesures pour sauvergarder les écosystèmes de mangrove camerounais. En 2016, le Cameroun a signé la Convention de Ramsar qui est la seule réglementation internationale spécifiquement dédiée à la conservation des zones humides. En mars 2007, l'État camerounais a créé son Comité national Ramsar pour les zones humides.

À cette époque, le ministère de l'Environnement avait décrété que 30 % du territoire camerounais, y compris les mangroves, devrait être protégé pour préserver les ressources naturelles du pays. Ekwadi Songe, délégué de la région Sud-Ouest confirme que « ces 30 % sont répartis entre cinq zones agroécologiques ».

En 2006, les autorités ont travaillé en partenariat avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) afin d’encourager les communautés locales [fr] à trouver de nouveaux procédés de fumage du poisson qui remplaceraient ainsi la coupe du bois de mangrove pour cette activité.

Cette démarche s'est poursuivie sous différentes formes :

Venez visiter l'île de Manoka avec @CIFOR. L'équipe du Cameroun a mis en place un projet collaboratif avec une association locale de femmes. L'objectif est de développer des techniques plus efficaces pour fumer le poisson tout en utilisant moins de bois et contribuer ainsi à protéger les mangroves.

La pêche, pour les hommes, et le fumage du poisson, pour les femmes, sont les seuls moyens de subsistance sur l'île. C'est pourquoi @CIFOR et ses partenaires aident la communauté à mieux gérer les ressources naturelles.

En 2011, les autorités ont lancé une campagne de reboisement des mangroves. Le bilan de cette initiative est toutefois à nuancer comme en témoigne Langmi Moses, directeur d'un organisme de protection des mangroves, lors d'un échange avec l'agence de presse Andalou Agency : « Les arbres sont souvent coupés moins de trois ans après leur plantation, avec l'autorisation des pouvoirs publics. » Il poursuit ainsi :

By cutting down mangrove trees that have been planted in less than three years and with the government's permission, operators are destroying the mangroves and preventing their regeneration. … We can't reforest all the time when our work is destroyed after two years.

Avec l’accord des autorités, les exploitants abattent des arbres qui ont été plantés il y a moins de trois ans. Ils détruisent les mangroves et empêchent leur régénération.… Nous ne pouvons pas reboiser en permanence et voir notre travail anéanti deux ans plus tard.

En 2013, le Cameroun a dépensé 3 milliards de francs CFA, soit 5 123 043 dollars américains pour préserver les mangroves. Plus de 195 000 hectares ont ainsi pu être sauvés.

Jean Marie Tchouala Wabo, un gestionnaire forestier camerounais, souligne que la surexploitation reste aujourd’hui la principale menace pesant sur cet écosystème.

« Ces mangroves sont vandalisées sous l’œil complice des autorités », affirme-t-il à l’agence de presse Andaolu Agency.

L'internaute Magalene Ngeve déplore « la disparition prochaine des mangroves du Cameroun, si rien n'est fait ».

Quelle tristesse de voir l'état des mangroves de mon pays ! J'étudie ces mangroves depuis des années. Il est urgent de mettre en place des actions pour renverser la tendance. Les mangroves pourraient disparaître si rien n'est fait.

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