Brésil : en pleine pandémie, des mères Yanomami se battent pour récupérer les corps de leurs bébés

Cet homme indique l'endroit où sont enterrés les bébés indigènes. Pour les mères, leurs enfants avaient disparu. Photo: Emily Costa/Amazônia Real

Cet article a été publié à l'origine sur le site Amazônia Real par Emily Costa et Kátia Brasil. Il est ici publié par Global Voices dans le cadre d'un partenariat de contenu.

Le 1° juillet [2020], le corps d'une petite fille a été rendu à sa mère, une indigène Sanöma (un sous-groupe de l'ethnie Yanomami), à Onkopiu, dans l'état du Roraima, avec deux mois d'attente. Le bébé, qui souffrait d'une hydranencéphalie et d'une septicémie, était décédé le 1° mai à l'hôpital public de Boa Vista, la capitale de l'état. Selon l'institut médico légal (IML), son corps a été conservé en chambre réfrigérée pendant tout ce temps.

La raison de ce délai, d'après un document du Secrétariat spécial de la santé indigène (Sesai) auquel les auteurs de ce reportage ont eu accès, est dû au fait que sa mère a contracté la COVID-19 et a été hospitalisée. La mère s'est remise de la maladie. Quant à l'enfant, elle n'avait pas été contaminée et son corps aurait dû être transporté dans son village pour le rituel funéraire.

L'assistante sociale signataire du document signale que la Sesai n'a pas pu faire le transfert car “aucun vol n'était prévu pour la région où habitait la famille”.

Cette situation n'est pas un cas isolé : d'autres mères Yanomami réclament le droit d'inhumer leurs enfants selon leurs traditions malgré les restrictions funéraires au coeur de la pandémie du nouveau coronavirus.

Trois autres bébés Yanomami, morts de la COVID-19 entre avril et mai, ont eux aussi été enterrés dans un cimetière privé de Boa Vista sans que les mères en aient été informées. Pour elles, les corps de leurs enfants avaient disparu. Ils ont été retrouvés au cours de l'enquête de Amazônia Real.

Júnior Hekurari Yanomami, président du Conseil du district de santé Yanomami (Condisi-Y), un organisme rattaché au Sesai, affirme que la mère savait que le corps de sa fille se trouvait à l'IML et qu'elle réclamait qu'il lui soit rendu pour pratiquer le rituel funéraire au village.

“Les communautés elles-mêmes s'interrogent, appellent, nous demandent d'envoyer [le corps] dès que possible”, a-t-il déclaré à Amazônia Real, la veille du transport du corps du bébé dans son village.

Les reporters ont retrouvé le corps du bébé Sanöma à l'Institut médico légal de Roraima. Photo: Emily Costa/Amazônia Real

Amazônia Real a demandé des explications au Sesai sur les raisons pour lesquelles le corps de l'enfant était resté deux mois à l'IML, sans obtenir de réponses.

Le responsable du Sesai, Robson Silva, s'est rendu sur place le 1° juillet, en compagnie du général Fernando de Azevedo Silva, ministre de la Défense du gouvernement de Jair Bolsonaro, et de représentants de la Fondation nationale de l'indien [fr] (Funai). À bord des avions de l'armée de l'air brésilienne (FAB), ils ont apporté aux communautés Yanomami une assistance médicale d'urgence, des médicaments et des fournitures, mais aussi des journalistes de diverses agences de presse internationales.

Le même jour à 11h, le corps de l'enfant a été ramené dans son village en avion (le trajet n'a même pas duré 2 heures). Le Conseil de santé a expliqué que ce transfert n'a pu avoir lieu que parce que l'enfant n'avait pas été contaminé par la COVID-19.

Interrogé sur la réaction de la communauté au retour du corps du bébé Sanöma, Júnior Yanomami explique que malgré ce réconfort, toute la communauté est en deuil.

Les autres cas 

Ce n'est pas la première fois que les autorités sanitaires n'informent pas les parents Yanomami de l'enterrement de leurs enfants dans les cimetières de Boa Vista.

Le premier cas du nouveau coronavirus chez les Yanomami a été enregistré chez un jeune homme de 15 ans dans la municipalité d’Alto Alegre, une région à forte présence d’orpailleurs sur la rivière Uraricoera, dans l’Est de Roraima. Bien qu'il ait ressenti les premiers symptômes de la maladie le 18 mars, ce n’est que le 6 avril qu’il a été testé positif au Covid-19. Il est décédé trois jours plus tard dans un hôpital de la capitale.

À cette occasion, le directeur de l'association Yanomami Hutukara, Dario Kopenawa Yanomami, a déclaré que les autorités manquaient de respect et de connaissances des cérémonies traditionnelles de la culture indigène. L'affaire a été signalée au Ministère public fédéral.

“Les parents, [alors qu'ils étaient à Boa Vista], n’ont pas été informés de l’enterrement. C’est regrettable et nous demandons des explications”, a-t-il déclaré.

Pour l'anthropologue français Bruce Albert, enterrer une victime Yanomami sans le consentement de sa famille révèle le manque d'éthique et l'absence d'empathie des autorités. “De plus, pour les Yanomami comme pour tout autre peuple, prendre des dispositions concernant un défunt sans respecter les rites funéraires traditionnels est un acte infâme et inhumain”.

Le MPF (Ministère public fédéral) a engagé une procédure pour garantir l'identification des corps des Yanomami et leur rapatriement ultérieur sur les territoires indigènes lorsque les mesures de sécurité sanitaires le permettent et si la communauté d'origine le souhaite. Des réunions ont été organisées avec des leaders indigènes et des responsables sanitaires pour discuter des inhumations des autochtones victimes de la COVID-19. Leur objectif est “de mettre au point des protocoles dans le but d'établir une meilleure communication, une meilleure information et une plus grande surveillance des autochtones, tout en respectant la santé des communautés pour limiter les risques”.

Le 30 juin, Dário Kopenawa Yanomami déclarait que les mères n'ont été informées de l'endroit où se trouvaient les corps des bébés qu'”après de nombreuses critiques” et “bien trop tardivement”. Le 2 juillet, il s'est rendu à Brasília où il a rencontré le vice-président de la République, le général Hamilton Mourão, et la députée fédérale indigène Joênia Wapichana [fr]. Parmi les sujets abordés, outre celui de la confrontation du peuple Yanomami à la pandémie, ils ont parlé de l'invasion des territoires [autochtones] par 20 000 garimpeiros.

Trois mères attendent toujours

 

Les reporters ont enquêté pendant trois jours au cimetière privé de Boa Vista. Photo: Emily Costa/Amazônia Real

En plus du bébé qui se trouvait à l'Institut médico légal, les reporters ont retrouvé les sépultures de trois autres enfants Yanomami recherchés par leurs mères. Les corps se trouvent dans le cimetière privé Campo da Saudade, à Boa Vista.

Les trois femmes Yanomami attendent toujours des réponses sur la date à laquelle elles pourront récupérer les corps de leurs bébés pour effectuer les rituels funéraires dans leurs villages. Les nouveau-nés sont morts et déclarés suspects d'infection par le nouveau coronavirus.

Le Sesai confirme la cause des décès. Un des bébés, un garçon, est mort le 29 avril à l'hôpital du Roraima. La mère avait été testée positive au coronavirus. Le corps du nouveau-né a été enterré trois semaines après sa mort, le 20 mai, selon les documents auxquels les reporters ont eu accès..

Les deux autres bébés, deux garçons Sanöma, sont morts le 25 mai et ont été enterrés côte à côte. Le premier avait deux mois et est décédé d'une insuffisance rénale aigüe avec suspicion de COVID-19 à l'hôpital municipal de Boa Vista. Le second avait trois jours et est décédé après avoir contracté une infection.

Le risque de contagion dû à la pandémie empêche le transfert des corps actuellement. “Il n'est possible d'exhumer les corps enterrés que par voie judiciaire ou en attendant le délai minimum pour une exhumation, qui est de trois ans pour les adultes et de deux ans pour les enfants et les nouveau-nés”, explique Anselmo Martinez, administrateur du cimetière où se trouvent les enfants.

Depuis le premier cas de COVID-19 chez les Yanomami enregistré en avril, plus de 200 personnes de cette ethnie ont été contaminées sur le territoire qui se situe dans les états de Roraima et Amazonas. Le dernier bulletin épidémiologique du Sesai, daté du 15  juillet, rapporte que 262 Yanomami sont contaminés par le virus. Quatre décès sont confirmés : les trois bébés et le jeune homme de 15 ans.

 

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