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Pride de Manille : une manifestante révèle son calvaire en détention policière

Catégories: Asie de l'Est, Philippines, Droits humains, Femmes et genre, Gouvernance, Jeunesse, LGBTQI+, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Jeunes hommes et femmes masqué·e·s et debout, le poing levé au bout d'un couloir. Une femme porte un drapeau arc-en-ciel autour de la taille. [1]

Les manifestant·e·s de la marche des fiertés restent insoumis·es à l'intérieur d'un poste de police de Manille. Photo de la page Facebook d'Altermidya – People's Alternative Media Network, utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndt.]

Le 26 juin, pour la Pride 2020, a été organisée à Manille, aux Philippines, une manifestation contre l'adoption d'un projet de loi anti-terroriste et la réponse du gouvernement [2] à la crise de COVID-19. La police a arrêté 20 personnes [3], les accusant d’avoir résisté et désobéi à l'autorité, d'avoir tenu un rassemblement illégal et d’avoir enfreint la loi sur le signalement des maladies transmissibles (loi de la République no. 11332). Les manifestant·e·s ont été libéré·e·s [4] [fr] le 30 juin en attendant un complément d’enquête.

Carla Nicoyco, poétesse et membre de Bahaghari, un groupe de défense des droits LGBTQ+ , a fait part à Global Voices de son expérience de la manifestation, de son arrestation et de sa détention, via Facebook Messenger. Tout d'abord, elle explique pourquoi le groupe Bahaghari avait organisé une manifestation à Mendiola, non loin du palais présidentiel, pour l'édition 2020 de la marche des fiertés :

We believe that at its very core, Pride is, and will always be a protest; Pride means fighting back. And so we marched to Mendiola bringing the demands of the people for the right to health, economic aid, and democracy.

Nous croyons que, intrinsèquement, la Pride est et sera toujours une manifestation ; La Pride, c’est se battre. Et nous avons donc défilé vers Mendiola, y portant les revendications du peuple pour le droit à la santé, à l'assistance économique et à la démocratie.

Des images de la manifestation sont visibles sur ce tweet :

Actualité : La police disperse une manifestation lors de la marche des fiertés et arrête des militants LGBTQ+ à Mendiola, Manille, le vendredi 26 juin 2020.

Plus de 10 activistes sont actuellement en détention au quartier général de la police de Manille. Photos partagées avec l'aimable autorisation de Bayan Muna. #MoisDesFiertés #MoisDesFiertés2020

[images] Des manifestant·e·s de la marche des fiertés à Manille défilent avec des drapeaux arc-en-ciel derrière un cordon de police. Chaque personne porte des équipements de protection faciale et une femme brandit une pancarte qui proclame : « Cessez le harcèlement des enfants LGBT ». Près d'elle, l'un des manifestants semble avoir une altercation avec un policier en uniforme kaki.

La décision d'organiser le rassemblement à Mendiola a été largement applaudie, car pour la première fois depuis les restrictions sanitaires dues à la COVID-19 imposées en mars, un groupe osait manifester près du palais présidentiel.

Au cas où vous l’auriez manqué : malgré notre respect des règles de distanciation physique et l'expiration de la loi Bayanihan Heal As One, des agents de police ont épinglé 20 des membres et allié·e·s du groupe LGBTQ+ @Bahaghari_Natl lors d'une manifestation de la #Marche des fiertés à Mendiola plus tôt dans la journée.

Le groupe Bahaghari a fait écho à l'appel de nombreux groupes opposés au projet de loi contre le terrorisme dont les dispositions, en raison de leur envergure, pourraient criminaliser de nombreuses formes de dissidence [13] [fr]. Il a aussi fustigé le gouvernement du président Rodrigo Duterte pour sa réponse « militarisée [14] » à la pandémie au détriment de l’aide aux citoyen·ne·s déplacé·e·s.

Carla Nicoyco ajoute :

2020 seems like the end of the world. It is marked with fear and paranoia, hostility and violence. The stakes are higher now since we're experiencing a pandemic under the most incompetent and inutile government that only knows a militaristic response to every problem. This year's Pride, 51 years after Stonewall, exemplifies that the LGBTQ+ community is still not free as seen in the violent arrest and detention of Pride 20.

2020 : on dirait que c’est la fin du monde. Une année marquée par la peur et la paranoïa, l'hostilité et la violence. Dorénavant, les enjeux sont plus élevés du fait que nous vivons une pandémie sous le gouvernement le plus incompétent et inutile qui soit et qui ne connaît que la réponse « militarisée » comme solution à chaque problème. 51 ans après Stonewall [révolte lors d'une descente de police dans un bar newyorkais qui a donné lieu à la première marche des fiertés, ndt], la marche des fiertés de cette année montre que la communauté LGBTQ+ n'est toujours pas libre, comme en témoignent les arrestations et détentions violentes de certain·e·s de ses participant·e·s.

jeunes hommes et femmes masqué·e·s et le poing levé, assis sur des chaises dans une grande salle blanche. [15]

Manifestant·e·s de la Pride à l'intérieur d'un poste de police de Manille. Photo de la page Facebook de Bahaghari, utilisée avec permission.

Elle a ensuite raconté ce qu'elle et ses ami·e·s ont enduré à l'intérieur d'un poste de police de Manille :

We can say that we were disappointed but not surprised with the violence Pride 20 experienced under the hands of the police. We remained vigilant and invulnerable when we were detained. For almost 5 days, we experienced different forms of torture, from psywar to sexual harassment. Male and female detainees were kept in different offices, and we were only given a corner.

Officers smoked inside even if there were different ‘No Smoking’ signs; they would step on our sleeping mats when they passed through our space; we did not get any sunshine since we were literally in that corner of their office the whole time; they tried to take one genderqueer member away for questioning; they tried to prevent our trans woman member from staying with the female detainees; one officer was watching porn and masturbating one night in the female quarters.

On l'avoue, on a été déçu·e·s, mais pas surpris·e·s de la violence dont a fait preuve la police envers les manifestant·e·s. Nous avons maintenu une attitude de vigilance et d'invulnérabilité lors de notre détention. Pendant près de 5 jours, on a subi différentes formes de torture allant de la guerre psychologique au harcèlement sexuel. Les hommes et les femmes étaient détenu·e·s dans différents bureaux où on nous avait donnés un seul coin.

Les policiers fumaient à l'intérieur malgré les panneaux marqués « interdiction de fumer » ; ils marchaient sur nos nattes de couchage lorsqu'ils traversaient notre espace ; on a été privé·e·s de soleil, car on était littéralement dans le même coin de leur bureau tout le temps ; ils ont essayé d'emmener un membre non-binaire de notre groupe pour l'interroger ; ils ont essayé d'empêcher une femme trans de notre groupe de rester avec les détenues ; et une nuit, un officier regardait du porno en se masturbant là où étaient les femmes.

Elle a également exprimé sa gratitude pour le soutien massif apporté par de nombreux groupes et individus pendant leur détention  qui, selon elle, a été un facteur important contribuant à leur libération :

All these we endured for almost 5 days, and we would not have survived if it were not for different organizations and individuals here and abroad who gave material and moral support.

On a subi tout ça pendant près de 5 jours et on n’aurait pas survécu sans les différentes organisations et individus, ici et à l'étranger, qui nous ont apporté un soutien matériel et moral.

Enfin, elle conclut par un appel enthousiaste à la communauté LGBTQ+ :

Us queers have lived our days in hiding and fear. We're living in a world that does not want us to exist. Like other oppressed sectors of society, we've experienced abuse, injustice, and violence firsthand. We've been handed our sorry lot of the world when we know there's a better one. But we're here. We persist against all odds. Our existence is resistance. We're here to dismantle oppressive systems, to change the things we cannot accept. We stand hand in hand with our other oppressed siblings all over the world. We must resist against the Duterte regime, and the other fascists of this world, these slouching beasts. Look them in the eye and be at the vanguard of this revolution together with the toiling masses.

Nous, les personnes queer, on a vécu dans la clandestinité et la peur. On vit dans un monde qui refuse notre existence. Comme d'autres pans opprimés de la société, on a été victimes d’agressions, d'injustice et de violences sur notre personne. Notre lot quotidien n’est pas des plus réjouissants alors que nous savons pertinemment qu’il pourrait être bien meilleur. Mais nous, on est toujours là. On persiste contre tout espoir. Notre existence est une résistance. On est ici pour démanteler les systèmes oppressifs, pour changer les choses inacceptables. On est main dans la main avec nos autres frères et sœurs opprimé·e·s dans le monde entier. On doit résister contre le régime de Duterte et les autres fascistes de ce monde, ces grosses bêtes paresseuses. Regardez-les dans les yeux et soyez à l'avant-garde de cette révolution avec les masses laborieuses.

Après leur libération les 20 manifestant·e·s ont déposé une contre-accusation [4] [fr] contre la police pour arrestation illégale, préjudices corporels légers et sévices.