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L'épidémie COVID-19 a fortement ébranlé les droits des femmes, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord [région aussi désignée par l'abréviation ANMO], de la montée fulgurante des violences domestiques aux licenciements. Cependant, il existe aussi un aspect plus discret de la situation des femmes : les mutilations génitales féminines [fr] (ou MGF), leur prévention se trouvant compromise en raison de la pandémie.
Une épidémie planétaire affectant également le Moyen-Orient
Les Nations-Unies [pdf] ont fait savoir en avril qu'« en raison des bouleversements liés à la pandémie dans les programmes de prévention, deux millions de femmes pourraient subir des mutilations génitales féminines, au cours de la prochaine décennie, ce qui, en temps normal, aurait pu être évité ».
Les mutilations génitales féminines recouvrent « toutes les procédures qui impliquent l'ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pour des raisons non médicales », précise l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [fr].
Enracinée dans de longues traditions et croyances culturelles et religieuses en Afrique [fr], au Moyen-Orient et en Asie, cette pratique est généralement exécutée par des sages-femmes ou des guérisseuses traditionnelles au moyen de couteaux, de rasoirs ou de verre.
Les mutilations génitales féminines, aussi appelées excision, représentent « l'une des manifestations les plus extrêmes de la violence à l'égard des filles et des femmes ». On estime que ces pratiques concernent au moins 200 millions de femmes dans le monde.
La question est évoquée dans cette vidéo de l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'enfance) :
In the MENA region, Female Genital Mutilation (FGM) is a problem that primarily concerns Egypt, Sudan, Yemen, Iraq and Djibouti.
Carlos Javier Aguilar, Regional Adviser Child Protection, explains more.
Watch and share?help #EndFGM ? pic.twitter.com/OrjJvIQl8R
— UNICEF MENA – يونيسف الشرق الأوسط وشمال إفريقيا (@UNICEFmena) February 7, 2020
La région Afrique du Nord et Moyen-Orient est concernée par les mutilations génitales féminines, problème affectant principalement l'Égypte, le Soudan, le Yémen, l'Irak et Djibouti.
Carlos Javier Aguilar, conseiller régional pour la protection de l'enfance, nous explique plus en détail.
Regardez et partagez?
— UNICEF MENA – يونيسف الشرق الأوسط وشمال إفريقيا (@UNICEFmena)[description vidéo]
Il y a divers plans de fillettes et de femmes. Dans le cadre d'une interview, Carlos Javier Aguilar, conseiller régional pour la protection de l'enfance, explique les difficultés rencontrées pour mettre fin aux mutilations génitales féminines.
En Somalie, où la proportion des mutilations génitales féminines est la plus élevée, 98 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont été excisées. Selon les derniers chiffres publiés en juin par le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), 93 % des femmes sont touchées à Djibouti, 91 % en Égypte, 88 % au Soudan, 69 % en Mauritanie, 19 % au Yémen et 7 % en Irak.
Ces pratiques diffèrent selon la classe sociale, l'ethnie et le niveau d'éducation dans chaque pays, avec de notables différences entre les zones urbaines et rurales : elles surviennent plus souvent dans les familles les plus pauvres et les moins éduquées des zones rurales. Au Yémen, les occurrences de mutilations génitales féminines sont concentrées dans les régions côtières et sont moins fréquentes dans le nord. En Irak, elles sont plus répandues dans les provinces kurdes du nord. En Égypte [pdf], elles sont sensiblement plus courantes parmi les jeunes filles de la haute Égypte.
En Mauritanie, on constate que plus de 90 % de femmes issues des familles les plus pauvres ont subi ce type de mutilations, contre 37 % de femmes originaires des familles les plus riches.
Des atteintes aux droits humains insuffisamment dénoncées
Selon un rapport conjoint datant du mois de mars, établi par Equality Now (Égalité maintenant), End FGM European Network (Réseau européen pour la suppression des MGF) et le réseau américain End FGM/C Network, l'ampleur et la portée du phénomène est probablement sous-estimée puisque « la situation mondiale officielle des MGF (ou excision) est lacunaire ». Le rapport a révélé « des éléments de plus en plus manifestes indiquant que le rituel est aussi pratiqué dans d'autres régions, dont le Moyen-Orient et l'Asie », et que le « monde sous-estime cruellement les mutilations génitales féminines ».
De récentes recherches, menées à partir de petits échantillons, ont révélé que ces mutilations existent également en Iran, et dans les pays du Golfe [pdf] tels que le Koweït, les Émirats arabes unis, Oman et l'Arabie saoudite. Divya Srinivasan, de Equality Now, a confié à Reuters son étonnement devant les résultats de ces petites études conduites dans des pays comme l'Arabie Saoudite et Oman, deux pays habituellement étrangers à cette pratique.
La publication du rapport, au plus fort de la crise COVID-19 au Moyen-Orient, est passée inaperçue dans les médias arabophones et son contenu n'a pas été traduit en arabe, la couverture des mutilations génitales féminines en arabe demeurant très limitée. Cette sensibilisation insuffisante des citoyen·ne·s est susceptible de pérenniser le sentiment que les MGF ne soulèvent pas de préoccupations.
Les tabous sociaux
Au Moyen-Orient, les tabous relatifs au corps et à la sexualité des femmes interdisent les débats ouverts et publics sur les sujets sensibles comme les MGF, bien souvent associées à des croyances culturelles, religieuses et traditionnelles.
Ainsi, en Égypte, les chrétien·ne·s aussi bien que les musulman·e·s « sont convaincu·e·s que l'excision des filles les préserve du vice et leur donne plus d'attrait pour les futurs maris ; les mères redoutent que leurs filles ne puissent se marier si elles n'ont pas été excisées », précise un rapport de Stop FGM Middle East (Stop aux mutilations génitales féminines au Moyen-Orient). Cette initiative a été créée en 2013 afin de sensibiliser le public à ces pratiques et de « véhiculer le message selon lequel les MGF existent non seulement en Afrique, mais aussi dans de nombreux pays du Moyen-Orient et d'Asie ». Cette association milite en faveur d'un renforcement de la collecte de données sur les mutilations génitales féminines et a élaboré un guide d'enquête permettant aux individus et aux groupes de créer des sondages à petite échelle sur le sujet.
Sauf en cas de grave accident faisant la une des journaux, tel que le décès récent d'une fillette de 12 ans, victime de mutilations génitales féminines dans le sud de l’Égypte en février, les populations préfèrent éviter d'en parler.
Ghida Hussein, une étudiante égyptienne qui mène des recherches sur le sujet, a confié à Global Voices :
As we don’t talk about it, it is as if the problem doesn’t exist. FGM is often practiced silently behind closed doors. It is happening far from the more educated urban centers of power where activists and politicians are seated. FGM is a controversial sensitive issue and unless there is international attention and funding, it is not seen locally as a priority by an overwhelming male political class.
Étant donné que nous n'en parlons pas, tout se passe exactement comme si le problème n'existait pas. Les MGF se pratiquent souvent en silence et à huis clos. Cela se passe loin des centres urbains de pouvoir, plus instruits, où résidents les activistes et les politicien·ne·s. Les MGF constituent une question sensible et controversée et, à moins qu'elles ne fassent l'objet d'une attention et d'un financement internationaux, au niveau local elles ne sont pas jugées prioritaires par une classe politique composée en grande majorité d'hommes.
Briser le tabou et dénoncer les mutilations génitales féminines peuvent exposer les militant·e·s des droits humains et les victimes à la haine et aux réactions hostiles [pdf].
À Oman, la militante des droits des femmes Habiba al Hinai, fondatrice de l'Association omanaise des droits humains (Omani Association for Human Rights), a réalisé une enquête dans le sultanat d'Oman en 2017, qui a révélé que 78 % des femmes avaient subi des mutilations.
Après la publication de ses travaux en ligne, Habiba al Hinai a été la cible d'attaques et de menaces :
I posted my results online and the response was huge. I was attacked by religious conservatives who say female circumcision is a form of Islamic worship.
Après avoir mis mes recherches en ligne, la réaction a été impressionnante. Les conservateurs religieux m'ont attaquée en affirmant que l'excision était un acte de foi islamique.
À Oman, où la pratique de l'excision n'est pas légalement reconnue, les victimes ne bénéficient d'aucune protection ni d'aucun soutien. Habiba al Hinai a ajouté dans son compte-rendu :
How can you ask a survivor to speak out against FGM and then face all the consequences —criticism and online defamation, her family and her tribe may disown her, maybe her husband will divorce her — without proper support. I don’t expect these women to speak out and face society.
Comment peut-on demander à une victime de témoigner contre les mutilations génitales féminines et en subir toutes les conséquences – critique et diffamation en ligne, sa famille et sa communauté peuvent la renier, son mari vouloir le divorce – sans un soutien approprié. Je n'attends pas de ces femmes qu'elles prennent la parole et se confrontent au reste de la société.
Un processus d'éradication trop lent, des efforts très insuffisants
Au Yémen et aux Émirats arabes unis, les mutilations génitales féminines sont interdites au sein des établissements médicaux, mais non dans les foyers. En Mauritanie, il subsiste des restrictions légales, mais pas d'interdiction pure et simple. En Irak, les MGF sont illégales dans la région autonome kurde, mais ce n'est pas la cas dans le centre du pays.
Néanmoins, des avancées majeures ont permis d'éradiquer les MGF. Après plusieurs années de plaidoyer mené par des organisations de défense des droits des femmes, l’Égypte a banni cette pratique en 2008. Le Soudan, en transition politique après 30 ans de dictature, vient d’interdire les mutilations génitales féminines en avril dernier.
Toutefois, le respect de la loi continue de poser un défi majeur, dans la mesure où il s'agit de pratiques qui restent largement acceptées et répandues.
Même si les lois exercent un effet dissuasif significatif, elles sont insuffisantes. Les États ont besoin de stratégies nationales compréhensibles prévoyant la participation de la police, du système judiciaire, des religieux, des prestataires de soins de santé ainsi que des efforts sensibilisation auprès de la société civile.
Toute une série de crises régionales et de régimes autoritaires ont freiné les réformes, limitant les actions et les moyens destinés à lutter contre les violations des droits des femmes.
Aujourd'hui, le monde entier concentre son énergie sur l'épidémie de COVID-19, et son retentissement économique. De nombreux projets en faveur des droits des femmes et des services sociaux proposés aux femmes vulnérables sont donc reportés ou ne constituent plus une priorité. De plus en plus de familles se retrouvent en dessous du seuil de pauvreté, les filles sont déscolarisées ou contraintes à un mariage précoce, et les mutilations génitales féminines continueront probablement d'être pratiquées, sans préavis, dans la région.