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Les communautés autochtones et afro-descendantes de Colombie dénoncent l'assassinat de défenseurs des droits humains

Catégories: Amérique latine, Colombie, Droits humains, Ethnicité et racisme, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Médias citoyens, Peuples indigènes
Hermes Pete s'exprime lors d'une conférence de presse en ligne. On le voit en chapeau de paille, appuyant son propos d'un gest de la main.

Hermes Pete, chef du Conseil régional autochtone du Cauca, lors de la conférence de presse virtuelle organisée par l'Association des conseils autochtones du Cauca, le 5 juin 2020. Capture d'écran de l'auteure, utilisée avec permission.

[Sauf mention contraire, tous les liens mènent vers des sites en espagnol, ndt.]

Le 7 juillet, des assaillants inconnus ont abattu Rodrigo Salazar [1], le gouverneur autochtone de la ville de Llorente, sur la côte pacifique colombienne. Sa mort s'ajoute à une liste de  [2]170 meurtres [2] de dirigeants de mouvements sociaux et de défenseurs des droits humains en Colombie cette année.

Selon l'ONG Somos Defensores [Nous sommes des défenseurs], le nombre d'homicides contre des défenseurs des droits humains a augmenté de 88 % [3]  par rapport à la même période en 2019. Au cours de la quarantaine due au COVID-19, environ 78 défenseurs des droits humains ont été tué·e·s [2]. Selon un rapport de l'ONU [4], il y a plus de meurtres de militant·e·s des droits humains en Colombie que dans tout autre pays d'Amérique latine depuis 2016.

Ces défenseurs des droits humains sont membres d'organisations paysannes, de réserves foncières autochtones et d'associations ainsi que de syndicats et d'associations de personnes afro-descendantes. Leur travail – lié au droit symbolique et légal à la terre des agriculteurs, à la défense des droits humains, au respect de la culture ancestrale et à la conservation de l'eau et des forêts – en a fait la cible de violences [5] [pdf].

Lors d'une réunion virtuelle en mai, les dirigeants ont  [6]dénoncé [6] le manque de résolution [de ces affaires de meurtre] et d'actions coordonnées de la part du gouvernement colombien pour protéger leurs vies, en particulier pendant l'urgence sanitaire du COVID-19. De même, le procureur général Fernando Carrillo [7] et les Nations Unies [8] ont dénoncé ces violations des droits humains.

Mobilisation des peuples autochtones et afro-descendants

Au fil des ans, les communautés autochtones et afro-descendantes se sont mobilisées pour défendre leurs territoires collectifs. Les communautés autochtones, marrons [9] [fr] (membres de la communauté noire qui sont les descendants d'esclaves en fuite) et d'agriculteurs organisent des rondes [10] d'auto-défense, qui visent également à établir une justice réparatrice [11] basée sur la tradition et le droit communautaire.

Dans la région du sud-ouest du Cauca, des gardes autochtones et des gardes marrons existent depuis 2001 et 2013, respectivement, mais avec le COVID-19 et les niveaux croissants de violence contre les dirigeants communautaires, les gardes ont redoublé leurs efforts [12].

Pendant la quarantaine du COVID-19, par exemple, les gardes autochtones contrôlent le mouvement des personnes dans leurs communautés avec des mesures de biosécurité [13], et sont également chargés de fournir de la nourriture aux résidents.

Pour les groupes autochtones d’auto-défense, l'exercice de leur droit à l'autodétermination a conduit à des confrontations avec les autorités locales, les propriétaires fonciers, les forces de l'ordre et les groupes hors la loi. Jusqu'à présent cette année, quelque  [14]47 dirigeants autochtones [14] ont été tués.

La réponse du gouvernement à la situation sécuritaire a été d’augmenter la  [15]présence militaire dans les zones à risque. Mais, comme Hermes Pete, le chef du Conseil régional autochtone du Cauca, l'a déclaré [16] lors d'une conférence de presse le 5 juin :

La respuesta no debe ser la fuerza. La militarización del territorio genera mas pánico y zozobra. Lo que se necesita es inversión social y que se cumplan los compromisos del Acuerdo de Paz.

La réponse ne doit pas être la force. La militarisation du territoire génère plus de panique et d'anxiété. Ce qu’il faut, c’est un investissement social et le respect des engagements de l’Accord de paix.

Mme Rosana Mejía, dirigeante de l'Association des conseils communautaires du Nord Cauca, lors de la conférence de presse virtuelle organisée par l'Association des conseils autochtones du Cauca, 5 juin 2020. Capture d'écran de l'auteure, utilisée avec permission.

Conflit foncier

Le conflit foncier [17] est une des raisons expliquant les violences dans les zones rurales de ColombieAu cours des années 1990 et 2000, des milliers de paysans ont été  [18]dépouillés [18] de leurs parcelles et violemment déplacés par des groupes paramilitaires et de guérilla, tandis que l'État est resté passif. Les terres [19] appartenant aux propriétaires terriens et aux trafiquants de drogue étaient utilisées par des entreprises d'élevage extensif, des projets agro-industriels et des mines.

Fin 2016, les Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple [20] (FARC) [fr] – la plus ancienne guérilla [21] du continent – et le gouvernement colombien ont signé un  [22]accord [22] [fr] de paix historique mettant fin au conflit armé sanglant qui durait depuis plus de 50 ans. Mais pour parvenir à une paix durable, il faut respecter les  [23]engagements [23] signés, a déclaré Alirio Uribe Muñoz, expert en droits humains au Collectif des avocats José Alvear Restrepo, lors d'un entretien sur WhatsApp avec Global Voices.

Des programmes de dédommagement des victimes, un soutien aux campagnes, un accès équitable à la terre, le démantèlement des groupes armés et la participation des communautés aux décisions politiques du pays sont nécessaires, explique Alirio Uribe Muñoz.

Lors d'une conférence de presse [16], Rosana Mejía, dirigeante de l'Association des conseils communautaires du Nord du Cauca, a dénoncé les agressions à l'encontre des défenseurs de la terre :

Nosotros nos levantamos cada día con la noticia de que un compañero tuvo que irse o que lo han matado. Y uno piensa, ¿es la última vez para mí? Es una campaña de miedo, es una campaña de terror para callarnos.

Chaque jour, nous nous réveillons avec la nouvelle qu'un collègue a dû partir ou qu'il a été tué. Et cela vous fait penser : est-ce le dernier jour pour moi aussi ? C'est une campagne de peur et de terreur pour nous faire taire.

Aujourd'hui, des groupes armés illégaux de trafiquants de drogue, de paramilitaires et de guérilleros dissidents se battent pour contrôler des territoires stratégiques [24] de production et de trafic de drogue. Ces groupes considèrent les dirigeants de mouvements sociaux et les défenseurs des droits humains comme des obstacles à leurs objectifs économiques et militaires.

Culture de coca

La culture de la coca a soutenu l'économie agricole dans les régions montagneuses et de la jungle qui sont souvent négligées par l'État. Dans le cadre des accords de paix [25] [pdf], les responsables de mouvements sociaux de ces zones ont rejoint et promu des programmes incitant les agriculteurs à remplacer par des cultures légales les cultures utilisées pour produire des substances illégales.

Mais, sans consultations préalables [26] avec les communautés, le gouvernement a décidé [27] d'accélérer l'éradication forcée des cultures illicites pendant les mois de quarantaine. Cette situation a provoqué des manifestations [28], des affrontements [29], des déplacements [30] et encore davantage de violence [31] contre les dirigeants sociaux et leurs communautés.

Alirio Uribe Muñoz souligne que :

…mientras los líderes [en regiones cocaleras] han convencido a cientos de familias vecinas a sustituir sus cultivos, el gobierno ha no ha apoyado el desarrollo de la agricultura local, no ha invertido en proyectos productivos o en vías para sacar sus productos al mercado.

Alors que les dirigeants [des régions productrices de coca] ont convaincu des centaines de familles voisines de remplacer leurs cultures, le gouvernement n'a pas soutenu le développement de l'agriculture locale, ni investi dans des projets productifs ou fourni des moyens de mettre leurs produits sur le marché.

Selon M. Uribe Muñoz, les dirigeants se trouvent sous la pression d'agriculteurs désespérés, de menaces de trafiquants de drogues illégales et de groupes paramilitaires qui s'opposent à la substitution, et subissent également le harcèlement des forces de l'ordre envoyées par le gouvernement pour détruire de force les récoltes.

Les dirigeants et défenseurs des droits humains n’ont eu de cess d'inviter [6] le gouvernement et les agences internationales à améliorer les systèmes de protection. Elles et ils ont également insisté sur la démilitarisation de leurs territoires, l'ouverture d'enquêtes et la résolution des crimes ainsi que sur le respect des accords de paix.

M. Uribe Muñoz souligne que :

La protección no puede ser reducida al tema de la protección física. El gobierno responde con celulares, escoltas, chalecos antibalas, todo eso está bien, pero la gente no se puede proteger con esos esquemas individuales en el campo. La protección debe ser social, colectiva.

La protection ne peut être réduite à une simple protection physique. Le gouvernement fournit des téléphones portables, des gardes du corps et des gilets pare-balles. Tout cela est bien, mais les gens ne peuvent pas avoir uniquement ces protections individuelles sur le terrain. La protection doit aussi être sociale, collective.