Entre les grèves de médecins et une gestion financière désastreuse, le Nigéria est aux abois en pleine pandémie

Trois médecins déambulent aux milieux de patientes alitées.

Des médecins déambulent au milieu de femmes alitées dans les allées du service maternité de l'hôpital de Lagos Island, à Lagos, au Nigéria. Photo Flickr de Sunday Alamba, secrétariat du Commonwealth, sous licence CC BY-NC 2.0.

L’article d'origine a été publié en anglais le 23 juillet 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Les médecins de l'État de Lagos ont entamé une grève de trois jours du 13 au 15 juillet afin de dénoncer des conditions de travail inadéquates pour celles et ceux qui travaillent au contact des patient·e·s infecté·e·s au COVID-19.

Le journal numérique Premium Times a signalé qu'Oluwajimi Sodipo, chef du syndicat des médecins de Lagos, avait annoncé lors d'un point presse le 12 juillet, le début d'une grève dénonçant les disparités entre les primes de risque liées au COVID-19 pour les médecins de Lagos et celles de leurs collègues des hôpitaux régionaux. 

Oluwajimi Sodipo pointe également du doigt le manque d'équipement de protection et l'absence d'assurance maladie pour les médecins travaillant dans les services de quarantaine du coronavirus au sein des hôpitaux de Lagos. Le syndicat a dispensé les médecins travaillant dans les services de quarantaine de se joindre au mouvement.

Le 21 juillet, le Nigéria comptabilisait un total de 37 225 cas confirmés de COVID-19, 15 333 guérisons et 801 décès. Lagos, l'État le plus densément peuplé du pays, se trouve être l'épicentre de la maladie avec 13 538 cas confirmés, 1 964 guérisons et 176 décès.

Le 13 juillet, le gouvernement de l'État de Lagos appelait l'ensemble du personnel soignant de première ligne à reprendre le travail. En date du 16 juillet, estimant que le gouvernement de l'État de Lagos était dans une « attitude positive » vis à vis de leurs revendications, les médecins ont suspendu leur grève.

Une récurrence cyclique des grèves

Dans ce pays qui se trouve être le plus peuplé d'Afrique, les grèves de médecins se répètent chaque année. Les revendications sont toujours semblables à celles des années précédentes : de meilleures conditions de travail à établir par le biais de mesures de protection sociale adaptées ainsi que davantage d'équipements de protection.  

La réponse du gouvernement s’articule habituellement selon une série de séquences prévisibles. Au début, il adopte une posture autoritaire en menaçant de licencier les médecins grévistes qui ne reprendraient pas leur poste. Cela a pour effet d’accroître la défiance des grévistes, forçant le gouvernement à rétropédaler et à céder aux revendications. 

Un schéma qui est resté inchangé même face à cette crise sanitaire mondiale. 

Mi-2014, les internes nigérian·e·s (qui étudient une spécialité médicale) se sont mis·e·s en grève en pleine épidémie d'Ebola pour exiger des prestations sociales. Le gouvernement nigérian a réagi en entamant des procédures de limogeage à leur encontre pour ensuite faire volte-face en accusant les médias d'avoir travesti les faits. 

Aujourd'hui, les internes nigérian·e·s @nard_nigeria entament un mouvement de grève après avoir passé plusieurs mois à tenter de faire bouger le gouvernement.                                       Soutenez-les, ayez le courage de vos opinions et tweetez.                                                         Nos hôpitaux se meurent et ce, en particulier dans les secteurs spécialisés.

Sur Twitter, le Dr Nma Halliday compare, avec une pointe de sarcasme, la prime de risque dérisoire versée aux médecins nigérian·e·s tous les mois, soit 60 000 nairas (environ 144 USD) par an, avec les allocations de sujétion versées aux législateurs et législatrices nigérian·e·s, qui s'élèvent respectivement à 1,2 million de nairas (3 000 USD) et 1,24 million de nairas (3 200 USD) :

Avant de venir demander aux médecins de se serrer la ceinture, gardez en tête que les indemnités allouées aux législateur·ice·s pour l'achat des journaux s'élève à 1,2 million de naira et la prime de pénibilité à 1,24 million de nairas alors que la prime de risque pour les médecins au contact du COVID-19, de l'hépatite B, etc…, n'est que de 5 000 naira ? Eh bien!

Comme à l'accoutumée, le gouvernement a menacé de limoger les médecins alors que les négociations se soldaient par une impasse en date du 17 juin. Mais les médecins ont tenu bon et ont résisté à ces intimidations. Subséquemment à l'intervention de législateurs et d'élus, la grève a pris fin le 22 juin.

Controverse au sujet de financements liés au COVID-19

Photo du parking et de l'entrée de l'hôpital universitaire d'Ibadan.

L’hôpital universitaire d’Ibadan est le premier hôpital universitaire du Nigéria. Hizick27, Wikimedia Commons, sous licence CC-BY-SA-4.0.

Alors que la crise du COVID-19 atteignait son paroxysme au Nigéria, une vive polémique a éclaté lors d'un point de presse de routine concernant des subventions gouvernementales censées avoir été versées à l'hôpital universitaire du sud-ouest du pays. La rencontre avait commencé sous de bons hospices avant de très vite dégéner pour s'abîmer dans la mauvaise foi sur fond de réfutations et de contre-accusations hasardeuses.

Le 23 juin, Akinola Ojo, responsable de l'agence régionale de santé de l'État d'Oyo, dans le sud-ouest du Nigéria, annonçait que l'administration locale avait consacré 2,7 milliards de nairas (6,9 millions de dollars US) pour la lutte contre le COVID-19. D'après le quotidien économique BusinessDay, Akinola Ojo aurait aussi déclaré qu'une partie de ces dépenses incluait une somme de 118 millions de nairas (304 000 USD) « donnée » au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Ibadan, « comme geste de soutien ».

Le lendemain, sur la page Facebook du CHU, l'hôpital démentait avoir reçu une quelconque aide à la lutte contre le COVID-19 de la part de l'État d’ Oyo. Le porte-parole du gouvernement Toye Akinrinlola a évoqué une confusion entre les noms de la Faculté de médecine d'Ibadan (College of Medicine Ibadan) et de l'hôpital universitaire : il se pourrait que se soit la Faculté de médecine d'Ibadan qui ait reçu les fonds gouvernementaux. Une hypothèse « vigoureusement et catégoriquement » démentie par la direction de la Faculté de médecine, qui affirme n'avoir reçu aucune subvention de ce type de la part de l'État.

Bien qu'étant deux entités distinctes, la Faculté de médecine et l'hôpital universitaire sont effectivement liés mais la Faculté est rattachée à l'Université d'Ibadan, tandis que l'hôpital universitaire est, lui, sous tutelle du ministère de la Santé. Les étudiant·e·s de la Faculté de médecine ainsi que d'autres professionnel·le·s de santé d'Afrique subsaharienne peuvent d'ailleurs venir suivre des enseignements cliniques au CHU.

Le 24 juin, l'administration de l'État d'Oyo a persisté en précisant que la somme en question avait été versée au département de virologie de l'hôpital universitaire. Le gouvernement local a également pointé du doigt l'hôpital universitaire en l'accusant de se « désolidariser » son propre département, qui par ailleurs offre des appuis concernant « l’ enseignement et la recherche » à la Faculté de médecine, qualifiant cette attitude d'« égoïste, artificielle et méprisante ».  

Le lendemain, l'attaché presse du gouverneur de l'État d'Oyo tweetait la capture d'écran d'un communiqué de presse dans lequel le chef du département de virologie de l'hôpital universitaire admettait avoir reçu une aide financière de l'État pour la lutte contre le COVID-19.

COVID-19: Le département de virologie prend position en faveur du gouvernement d'Oyo et soutient [le gouverneur Oluseyi Abiodun] Makinde.                                                                     …Tandis que le gouvernement maintient son soutien sans réserve au CHU, le service de virologie reçoit 118 millions de naira.

[image] Blason de l'État d'Oyo, mettant en valeur l'agriculture et la culture yoruba. La devise est inscrite dans un ruban : « L'État d'Oyo, figure de proue. »

L'histoire de deux laboratoires

Il s'agit là d'une controverse qui tient en partie au fait qu'il existe deux laboratoires agréés par le Centre nigérian de contrôle des maladies (NCDC) pour effectuer des tests de coronavirus à Ibadan : le laboratoire du département de virologie du CHU, accrédité le 28 mars, et les biobanque et laboratoire de virologie clinique de la Faculté de médecine, habilités en date du 9 juin.

Ces deux laboratoires sont, d'ailleurs, implantés dans les mêmes locaux.

La biobanque est un laboratoire de pathologie moléculaire en service depuis le 17 avril. Initialement conçu pour être une banque de tissus biologiques, son arrivée dans la course en matière de tests de dépistage du COVID-19 semble avoir déclenché quelques querelles internes qui s'apparentent à un combat de coqs entre la Faculté, l'hôpital universitaire et son département de virologie.

Il a depuis été démontré que le département de virologie de l'hôpital universitaire avait bel et bien bénéficié de la subvention gouvernementale. On ne peut s'empêcher de remarquer un véritable manque de transparence concernant cette affaire.

Le fait que la direction du CHU et de la Faculté se soient « désolidarisées » du département de virologie signifie que l'existence de cette aide financière n'a pas été portée à leur connaissance. 

Pour quelle raison le service de virologie s’est-il accordé tant d’autonomie ? Sur le compte bancaire de quelle entité ladite aide a-t-elle été versée ? De nouveaux éléments du dossier apparaitront probablement à l'avenir.

Pour conclure, on peut s'imaginer que de tels scénarios sur fond de grèves de médecins et de scandales financiers sont voués à se reproduire tant que la véritable cause du problème, c'est-à-dire les sommes dérisoires allouées au système de santé publique nigérian, n'est pas éliminée.

Il est insoutenable de penser que l'ensemble des soignant·e·s qui se retrouvent en première ligne à l'occasion de pandémies sont payé·e·s une misère alors que les politiques, qui ne sont que très peu exposé·e·s, voire pas du tout, reçoivent d'énormes indemnités.

Les personnes qui menacent de renvoyer des médecins grévistes sont-elles bien les mêmes que celles ayant réduit le budget de la santé en pleine pandémie?                                             Les politiques nigérian·e·s sont de véritables escrocs prêts à tout type de détournement de fonds, qui ne se repentissent même pas à l'occasion d'une crise sanitaire.                             Soyez conscient de cela et acceptez-le.

Il est tout aussi inacceptable de constater que certains responsables d'hôpitaux publics choisissent de s'engager dans des petites rivalités pouvant possiblement compromettre la santé de leurs patients, plutôt que de se mettre entièrement au service du bien commun. 

En attendant que la société progresse, le commun des Nigérian·e·s subit toujours les ravages de la pandémie.

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