L’article d'origine a été publié en anglais le 29 mai 2020.
[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]
Quand le premier cas de COVID-19 a été révélé le 8 mars à Zanzibar, en Afrique de l'Est, le gouvernement a fermé les écoles et interdit les rassemblements publics non nécessaires afin de prévenir la propagation du coronavirus.
Les autorités ont recommandé la distanciation sociale et 14 jours de quarantaine pour les personnes qui auraient été exposées à la maladie. Par contre, le confinement n'a pas été ordonné. Afin de montrer l'exemple, le deuxième vice président, Seif Ali Iddi s'est mis en quarantaine pour 21 jours à son retour de Cuba après un séjour diplomatique. Selon certaines sources d'informations, plusieurs médecins se sont aussi mis en quarantaine.
Cependant, certains membres de l'opposition se sont demandé si ces mesures étaient suffisantes.
Sur Twitter, les discussions autour de la réponse gouvernementale en matière de lutte contre le COVID-19 ont évoqué les souvenirs des mesures de mise en quarantaine pendant la période coloniale sur l'archipel, qui étaient basées sur la ségrégation raciale. Zanzibar est passé sous la domination omanaise en 1698. Cependant, le pouvoir du sultan été fortement mis à mal lorsque les Britanniques ont déclaré un protectorat sur les îles en 1890.
Le 25 avril, Ismail Jussa, un membre du parti d'opposition, l'Alliance pour le changement et la transparence (ACT) siégeant à la chambre des représentants de Zanzibar, a déclenché une discussion sur Twitter au sujet des mesures de mise en quarantaine prises pendant la période coloniale. À la suite de cette discussion, il a condamné le manque d'énergie du gouvernement dans la lutte contre le COVID-19.
C'est en citant le succès de l'administration coloniale britannique dans la lutte contre la grippe espagnole en 1918 par la mise en quarantaine forcée que M. Jussa s'est demandé pourquoi le gouvernement ne tirait pas des leçons de sa propre histoire en adoptant des mesures de quarantaine plus sévères :
Historia inatuonesha mwaka 1918 #Zanzibar ilidhibiti Spanish flu kwa kuweka #karantini ya nguvu. Imepita miaka 100 sasa imekuja #Corona lakini bahati mbaya sana imeikuta #Zanzibar ina watawala vibaraka, wasiojiamini na wasio na uwezo. Wanaambiwa wafanye maamuzi magumu WAMEUFYATA! pic.twitter.com/EslNGiLIbk
— Ismail Jussa (@IsmailJussa) April 25, 2020
L'histoire nous a montré qu'en 1918, Zanzibar a réussi à contrôler la grippe espagnole par la mise en quarantaine forcée. Aujourd'hui, 100 ans plus tard, le coronavirus arrive et trouve malheureusement à la tête de Zanzibar des pantins qui manquent de confiance en eux et qui sont incompétents. Il leur a été demandé de prendre des décisions, mais ils ont très peur de parler.
Thamoka, qui fait partie des quelque 79 000 followers du député, l'a critiqué pour avoir glorifié une époque durant laquelle leurs ancêtres étaient sous la domination omanaise et confinés dans un soi-disant quartier africain de Zanzibar Town appelé Ng’ambo.
Sultan alikuwa kwani anaruhusu watalii kipindi hicho wakati huo si wazee wetu walikuwa wananyanyaswa tu na Sultan au ndo hujui tuseme km muda huo tulikuwa tunanyonywa na bwana ktk ardhi yetu na kutuuza huko ng'ambo
— Thamoka (@mokashe38) April 25, 2020
À cette époque, le Sultan autorisait uniquement la circulation dans cette partie de la ville aux Européens et non à nos ancêtres. Nos ancêtres étaient maltraités par le Sultan. N'étiez-vous donc pas au courant que pendant cette époque, nous étions opprimés par les maitres sur notre propre territoire, à Ng'ambo ?
Le tweet de Thamoka reflète une compréhension commune de l'histoire mise en avant par le parti tanzanien au pouvoir, Chama Cha Mapinduzi (Le Parti de la révolution), aussi connu sous son acronyme, CCM. Cette histoire dit que les Zanzibaris d'origine africaine étaient en fait des esclaves du Sultan avant la révolution de 1964.
Le tweet politisé de Thamoka a aussi fait allusion aux tentatives de colonisation britannique pour séparer les quartiers soi-disant européens et africains de Zanzibar Town.
Les administrateurs coloniaux britanniques de Zanzibar voyaient les non-Européens comme un vecteur de transmission de la maladie et cherchaient à assurer la santé et le bien-être des Européens par la ségrégation raciale, selon les travaux de William Cunningham Bissell expliqués dans le livre Urban Design, Chaos, and Colonial Power in Zanzibar (Traduction libre : conception urbaine, chaos et pouvoir colonial à Zanzibar).
Les mesures de santé publique coloniales comme la mise en quarantaine étaient motivées par la peur que les maladies comme la lèpre ne mettent en danger la vie des Européens de Stone Town. C'est ce qu'Amina Ameir Issa, directrice du Département des musées et des antiquités de Zanzibar a écrit dans From Stinkibar to Zanzibar: Disease, Medicine, and Public Health in Colonial Urban Zanzibar, 1870-1963 (Traduction libre : De Stinkibar à Zanzibar : maladie, médecine et santé publique dans les zones urbaines coloniales de Zanzibar, 1870-1963).
Selon Mme Issa, l'administration coloniale britannique a commencé à isoler et à détenir de force les personnes souffrant de lèpre de 1897. La lèpre est une maladie fortement stigmatisée et défigurante qui touchait spécialement les plus pauvres de Zanzibar.
Les personnes qui étaient atteintes de lèpre étaient en général détenues sur le site principal de Walezo, à l'extérieur de Zanzibar Town sur l'île d'Unguja et dans trois autres petits centres de l'île Pemba, écrit Stephen Pierce dans son étude de cas sur cette île. Stephen Pierce décrit les fréquentes tentatives d'évasion parmi les patients détenus vivant dans des conditions déplorables et qui étaient dans l'incapacité de demander de l'aide à leurs familles.
Prison Island : une histoire de quarantaine
En guise de réaction face au différents cas de peste bubonique révélés sur un bateau navigant sur les eaux de l'Afrique de l'Est en 1899, le ministère britannique des Affaires étrangères, situé à Londres, crée un centre de quarantaine sur Prison Island, juste au large de la côte de la ville aujourd'hui appelée Stone Town.
L'île était anciennement utilisée comme prison pour des personnes prises en train de faire le trafic d'esclaves après l'abolition du commerce des esclaves en 1873 à Zanzibar.
De 1899 jusqu'au milieu des années 1950 et peut-être même plus tard, Prison Island est devenu un centre de quarantaine pour toute l'Afrique de l'Est, d'abord pour des cas de peste bubonique puis pour isoler des personnes atteintes de choléra et de fièvre jaune.
Malgré la création des centres de quarantaine coloniaux au large de ses côtes, Zanzibar a connu une épidémie de peste bubonique en 1905.
D'après Amina Ameir Issa, les responsables coloniaux avaient arrêté les activités commerciales et empêchaient les marchandises d'entrer dans le port. Ces derniers ont demandé à tous les passagers et à tous les équipages des navires qui accostaient à être obligatoirement mis en quarantaine pendant 10 jours à Prison Island.
Toujours selon Mme Issa, pendant ce temps à Stone Town, l'administration coloniale britannique mettait sur pied des mesures sanitaires sévères contre les Zanzibaris d'origine indienne. Les responsables coloniaux accusaient les Indiens d'être à l'origine de la propagation de la peste bubonique. Elle est apparue pour la première fois en Inde en 1896 avant d’atteindre les autres ports de l'Océan Indien au début de l'année 1897. En 1905, les responsables des services de santé ont attribué l'éruption de la peste bubonique à un cargo de riz en provenance de Bombay. Cette année-là, « un décret avait donné le pouvoir aux responsables médicaux de détenir les cas suspects, de les séparer, de les hospitaliser et de détruire leurs biens » a-t-elle ajouté.
Les Zanzibaris d'origine indienne se sont opposés aux mesures coloniales de détention et de séparation des membres de la famille touchés ainsi qu'aux examens médicaux post-mortem, une pratique considérée par beaucoup de familles musulmanes comme étant contraire à l'Islam.
Pour Amina Ameir Issa, les mesures prises par l'administration coloniale britannique pour lutter contre la lèpre, dont la quarantaine, traduisent la volonté chez certains administrateurs d'assurer la bonne santé et le bien-être des Européens par la ségrégation raciale.
La création d'une station de quarantaine à Prison Island est une riposte coloniale à la peste bubonique qui faisait partie intégrante d'une tentative de ségrégation raciale au nom de la santé publique.
Paradoxalement, les personnes qui vivaient en Europe fréquentaient l'île pendant la période coloniale comme une sorte d'évasion de la vie urbaine trépidante.
De nos jours, Prison Island est une destination touristique populaire. Grâce aux courts trajets en bateau vers l'île, les visiteurs peuvent se rendre à la Prison Trattoria ou nourrir ses tortues pensionnaires, qui auraient été offertes par les Seychelles à la fin des années 1910.
La quarantaine du futur ?
À la lumière du passé complexe de Zanzibar sur l'application de la ségrégation raciale au nom de la santé publique, les mesures de distanciation sociale et de quarantaine ont été controversées.
Les membres du gouvernement comme le ministre de la Santé Hamad Rashid Mohamed ainsi que le deuxième vice-président, Seif Iddi Ali ont réprimandé les populations de Zanzibar qui continuent de se regrouper dans les marchés, aux mariages, aux enterrements et lors des visites qu'ils rendent à leurs proches hospitalisés, malgré les directives du gouvernement demandant à la population de rester à la maison.
En réponse au tweet de M. Jussa sur le succès de Zanzibar à contenir la grippe espagnole en 1918, une utilisatrice de tweeter qui se fait connaitre sous le nom de Lilie a remis en question la capacité du gouvernement à mettre en quarantaine les populations pauvres de Zanzibar dont les moyens de subsistance dépendent de leur mobilité.
Lakini hebu niwaulize swali,je quarantine ikiwekwa serikali itakuwa na uwezo na watu ambao wana maisha duni?
— lilie? (@lilie_mwanafunz) April 26, 2020
Mais permettez-moi de vous poser une question, si la quarantaine est mise en place, est-ce que le gouvernement aura les moyens d'aider les personnes qui se battent vraiment pour s'en sortir?
Étant donné que Zanzibar et la Tanzanie commencent à rouvrir progressivement le 1er juin, les autorités travaillent à instaurer les mesures de distanciation sociale et de quarantaine pour les mois à venir.
Prison Island est un rappel permanent du passé complexe de la quarantaine, dans un contexte où la ségrégation raciale a façonné les politiques de santé publique sur l'archipel.