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Un journaliste congolais contraint à l'exil pour un documentaire sur les expulsions violentes

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, République Démocratique du Congo (RDC), Arts et Culture, Droits humains, Gouvernance, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Advox

Le film de Gaël Mpoyo expose une violence extrême liée à l'ancien président. Photo de EMMANRMS [1] via Wikimedia, sous licence CC BY SA 4.0 [2].

Cet article fait partie d’ [3]UPROAR [3] [en], une initiative de Small Media [petits médias] qui exhorte les gouvernements à relever les défis des droits numériques lors de l [4]Examen périodique universel (EPU) [4]

Le journaliste congolais Gaël Mpoyo fait face à des menaces de mort pour un documentaire qu'il a réalisé en 2018 sur les expulsions de villageois vivant sur des terres qui appartiendraient à l'ancien président Joseph Kabila dans l'est de la République démocratique du Congo.

M. Mpoyo, journaliste d'investigation avec plus de 13 ans d'expérience, travaille comme correspondant pour Africa News, et avant les menaces, il était basé à Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, à l'est de la République Démocratique du Congo (RDC).

Portrait de Gaël Mpoyo, le visage neutre. Il est de carrure imposante.

Le cinéaste Gaël Mpoyo. Photo utilisée avec son aimable autorisation.

Le journaliste craint pour sa vie et la sécurité de sa famille depuis juillet 2018, lorsque son documentaire a été projeté pour la première fois dans un cinéma de Bukavu et publié sur YouTube.

Le film intitulé Mbobero, la loi du plus fort est toujours la meilleure [5] a été tourné à Mbobero, à la périphérie de Bukavu.

Compte tenu du climat général d'insécurité, en particulier dans la province du Sud-Kivu, où plusieurs journalistes ont été assassinés [6] dans des circonstances peu claires, Gaël Mpoyo et sa famille ont été contraints de vivre en exil.

Dans le film de 27 minutes, il a interviewé les habitants de Mbobero, qui ont été déguerpis  avec une violence extrême – et leurs maisons démolies – sur ordre présumé de M. Kabila. Environ 3 000 habitants ont été violemment forcés d'évacuer les terres, selon un témoin anonyme qui s'est entretenu avec Global Voices.

Le documentaire expose les irrégularités et les manigances entourant cette affaire qui, selon le journaliste, est devenue une véritable affaire d'État aux yeux des acteurs impliqués.

M. Mpoyo a parlé à Global Voices des menaces qu'il a reçues et de la manière dont elles ont affecté son travail et sa vie, depuis cette première projection à Bukavu le 6 juillet 2018.

Il dit que depuis lors, lui et sa famille ont été contraints de vivre dans la clandestinité. Il a déclaré à Global Voices que dans le documentaire, il cherchait à raconter l'histoire des victimes. « Je devais montrer au monde ce qui s'est réellement passé dans cette partie du pays avec des preuves concrètes. »

« À Bukavu, après avoir diffusé la vidéo au cinéma, certains participants ont pleuré. Ils ont vu [comment] était inhumaine la façon dont la population congolaise vivait dans “cette tentative” de complot ourdi par l'ancien président Joseph Kabila », a-t-il dit.

M. Kabila a réussi à récupérer toutes les terres où vivaient les anciens résidents de Mborero.

Dès la mise en ligne du documentaire, le journaliste a commencé à recevoir des menaces. Le monteur du film, Franck Zongwe, et deux militants des droits humains de l’organisation de la Nouvelle dynamique de la société civile en RD Congo – les premiers à sonner l'alarme sur les expulsions – ont également été  [7]menacés [7].

M. Mpoyo a déclaré à Global Voices qu'il avait reçu un appel téléphonique menaçant du gouverneur de la province du Sud-Kivu de l'époque, Claude Nyamugabo, qui avait insisté sur le fait qu'il « ne devrait pas s'exposer au danger » en diffusant son film documentaire qui, de l'avis de M. Nyamugabo, irriterait encore plus M. Kabila.

« J'ai été démoralisé lorsque j'ai reçu l'appel du gouverneur de la province, c'était vraiment décourageant pour moi », a déclaré le documentariste.

Lors du tournage du documentaire, M. Mpoyo a demandé aux autorités locales de donner leur point de vue, mais les personnes contactées ont refusé, par peur de s'exprimer sur le sujet, a-t-il déclaré à Global Voices.

Menacé et surveillé

Plusieurs personnalités du Sud-Kivu ont été invitées à la projection d'ouverture, mais M. Mpoyo a décidé de quitter la ville avant même son lancement. Il souhaitait en effet assurer sa propre sécurité, ayant reçu des menaces avant la projection du film également. Depuis le lieu où il s'était caché, il a continué de recevoir des menaces.

M. Mpoyo a directement déclaré à Global Voices qu'une personne non identifiée lui avait envoyé [8] le message menaçant suivant le 11 juillet 2018:

Petit, cesse de jouer avec le feu. Tu as profité de notre silence en postant ta vidéo sur YouTube. Arrête de t’en prendre à Raïs (Ndlr : Président Joseph Kabila). Nous te donnons 24 heures pour retirer cet élément de You tube si tu as besoin de vivre. Nous savons où tu te caches et suivons de près tous tes mouvements

Le documentaire est cependant resté en ligne et a reçu à ce jour 22 000 vues sur YouTube.

« La motivation qui m'avait aidé à tourner le documentaire m'a également aidé à ne pas le retirer de Youtube. Il a fallu beaucoup de courage », a déclaré M. Mpoyo.

« Il a fallu du courage pour le faire parce que c'était un documentaire qui était considéré comme étant contre un président. De nombreux journalistes avaient peur de produire sur ce sujet. Des menaces m'attendaient. »

Ses voisins lui ont dit qu'en 2018, ils avaient continuellement repéré des personnes suspectes qui traînaient autour de sa résidence presque tous les jours vers 5 heures du matin et le soir vers 21 heures.

« Tous mes mouvements étaient surveillés et contrôlés par des inconnus. Ces mêmes agents savaient où je me cachais. Ma famille a été traumatisée », a-t-il déclaré.

L'organisation congolaise Journalistes en Danger (JED) [9]considéré [9] les menaces contre le cinéaste comme « extrêmement graves ».

Exilé

Face à ces menaces, les organisations internationales et africaines de la liberté de la presse, dont Reporters sans frontières (RSF), ont invité [9] les autorités congolaises à protéger les cinéastes et à respecter la liberté de la presse. Mais les appels sont restés sans réponse et M. Mpoyo a continué à recevoir des messages de haine.

M. Mpoyo a fui discrètement la RD Congo en 2018 vers l'Ouganda, avec l'aide du bureau des droits de l'Homme de la Mission des Nations Unies au Congo et de l'ambassade des Pays-Bas.

En 2019, le pays a élu un nouveau président, Félix Tshisekedi. Après son investiture, M. Tshisekedi [10]invité [10] tous ceux qui avaient quitté la RD Congo en raison de menaces d'y retourner, leur promettant la sécurité.

En tant que personne déplacée en Ouganda, la vie n'était pas facile pour M. Mpoyo et sa famille. Il a alors décidé de répondre à l'invitation du nouveau président et de retourner en RD Congo, où il a commencé une nouvelle vie dans la province voisine du Nord Kivu.

Quatre mois plus tard, il a recommencé à recevoir des appels téléphoniques et des messages menaçants. La promesse du président n'a pas été tenue.

M. Mpoyo a déclaré à Global Voices que même ses enfants avaient été menacés alors qu'ils se rendaient à l'école. Peu de temps après son retour chez lui, il a été contraint de repartir pour un autre pays étranger et a refusé de préciser où il se trouvait pour des raisons de sécurité.

Les menaces et l'exil ont été durs pour le journaliste et sa famille. M. Mpoyo a expliqué :

La vie en exil n'est pas facile. … Je n'ai pas les moyens de faire mon travail correctement. Être loin de mon pays paralyse mes productions. Même pour survivre, c'est parfois compliqué. C'est mieux que de vivre à la maison. J'aimerais retourner au Congo, mais je ne sais pas quand la situation sera résolue.

Il a terminé l'entretien en plaidant pour la sécurité des journalistes en RD Congo, et a invité les autorités à s'impliquer afin que la nation respecte le travail du journalisme d'investigation éthique et que la liberté de la presse devienne une réalité dans le pays.