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Comme de nombreuses personnes au Brésil pendant la pandémie du nouveau coronavirus, Bruno Alencastro, 35 ans, a été confiné dans l'appartement qu'il partage avec sa femme et son chien à Rio de Janeiro.
À un moment donné au début du mois d'avril, il s'est senti préoccupé. Le Brésil venait de dépasser la barre des 7 000 cas de coronavirus, selon les données publiées par les services de santé publique des différents États, et la maladie avait déjà fait plus de 250 morts. Le ministère de la Santé recommandait le port du masque comme mesure de protection.
Le 3 août, le nombre de cas confirmés dans le pays avait atteint les 2,7 millions, et 94 665 personnes étaient décédées, selon les informations communiquées par le ministère de la Santé. Le Brésil se classe au deuxième rang mondial en termes de nombre de morts dues au COVID-19, derrière les États-Unis.
Bruno Alencastro s'est pris à regarder par la fenêtre. « Je regardais autour de moi et je me suis senti en devoir de documenter ce moment. Mais, en même temps, je me demandais comment le faire de façon sûre », explique-t-il à Global Voices lors d'une conversation par Skype.
Bien que le domaine de la photographie ait connu beaucoup d'évolutions au cours des quelques décennies passées, le principe reste le même : un appareil photo n'est rien d'autre qu’une boîte noire avec un petit orifice laissant passer la lumière, qui permet de capturer l'image au moyen d'un matériau photosensible (un capteur numérique ou un papier argentique).
Bruno Alencastro, qui est spécialiste de la création de contenus visuels, se rappelle avoir eu une idée : « Et si je transformais mon salon en chambre noire ? » Il a alors masqué la fenêtre avec du papier kraft et du ruban adhésif. Après quelques essais, il a fait un trou du diamètre du rouleau de ruban adhésif, et voilà : la rue, qui semblait tellement lointaine, apparaissait dans le salon. Sur le mur opposé à la fenêtre était projetée une image inversée des arbres et du bâtiment voisin. Les limites des quatre murs de l'appartement s'en trouvaient étendues.
Au Brésil, la première action du gouvernement face à la pandémie a été prise en février. C'est alors que 34 Brésilien·ne·s ont été rapatrié·e·s depuis Wuhan, en Chine. Le premier cas sur le territoire brésilien a été confirmé le 26 février à São Paulo. En mars, le pays enregistrait son premier décès dû au coronavirus, celui d’une travailleuse domestique [en] résidant à Rio de Janeiro. Les autorités municipales et étatiques ont alors accéléré la mise en place de mesures de distanciation sociale. Les personnes qui en avaient la possibilité se sont mises au télétravail.
En dessous du trou par lequel passait la lumière, Bruno de Alencastro a placé son appareil photo professionnel. Il a appelé son épouse, Greyce Vargas, 35 ans, et leur chien Arnaldo, pour immortaliser un moment à trois à la table du salon, une image sur laquelle se trouve superposée la projection de la rue.
« J'ai compris qu'en plus de l'aspect esthétique, il y avait là quelque chose de très puissant. Quelque chose qui parlait aux gens à travers le sens [de l'image] et le moment d'isolement vécu par de nombreuses personnes », raconte-t-il.
Le photographe a alors décidé de publier le résultat sur son profil Instagram, invitant douze autres ami·e·s et collègues à faire de même.
« Avec 13 photos de personnes dans des lieux différents, nous aurions ainsi un contenu conséquent. J'ai pris soin de penser à des personnes qui vivent dans des contextes différents, en banlieue, en centre-ville, en famille, seuls… Je dois avouer qu'au début, je ne pensais pas que les gens allaient accrocher. »
À sa surprise, non seulement presque toutes les personnes contactées ont accepté le défi et partagé leurs photos mais des internautes extérieur·e·s à son cercle amical ont commencé à envoyer spontanément leurs contributions, depuis d'autres endroits du monde.
Très vite, Bruno Alencastro a été tagué sur des dizaines de photos par jour et le projet a été couvert par des médias étrangers [en]. C'est ainsi qu'il a décidé d'officialiser « Obs-cu-ra » en tant que projet collaboratif, en réalisant une vidéo dans laquelle il donne des conseils sur les meilleures techniques pour construire sa propre chambre noire.
Il compte à présent chercher des subventions et d'autres sources de financement pour étendre le projet au niveau international :
« Je vois cela comme un engagement à perpétuer la mémoire de ce moment, avec ses ratés et ses ajustements. Ce qui est en train de se passer doit être intégré et compris dans le moment présent, et à l'avenir. »
Voici d'autres photos issues du projet.