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25e anniversaire du massacre de Srebrenica : entre commémoration et déni

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro, Serbie, Droits humains, Ethnicité et racisme, Guerre/Conflit, Histoire, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
Dessin numérique montrant une femme voilée accroupie qui pleure devant une fleur blanche. Il est écrit « NEVER AGAIN Srebrenica 1995 » [1]

« PLUS JAMAIS Srebrenica 1995 ». Une illustration de Zoran Cardula [2], un artiste de Macédoine du Nord, marquant le 25e anniversaire du génocide de Srebrenica, montre la fleur blanche symbolique. Utilisée avec permission.

L’article d'origine [3] a été publié en anglais le 21 juillet 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Le 25e anniversaire du génocide de Srebrenica [4] [fr], le 11 juillet 2020, a été marqué, entre autres, par une reconnaissance verbale très attendue de plusieurs dirigeants mondiaux.

Des chefs d'État ou des représentant·e·s de haut rang du gouvernement ont diffusé des messages vidéo marquant le génocide de 1995 où plus de 8 000 personnes [5] [fr]—principalement des hommes et des garçons bosniaques—capturées par l'Armée de la République serbe de Bosnie sous le commandement du général Ratko Mladić et d'unités paramilitaires serbes.

Ces déclarations, qui ont dû être publiées pour éviter toute présence physique à la commémoration en raison du COVID-19, comprenaient [6] des contributions des Premiers ministres canadien et espagnol Justin Trudeau et Pedro Sanchez, du secrétaire d'État américain Mike Pompeo, de l'ancien président américain Bill Clinton [7], du Premier ministre britannique Boris Johnson [8], du Prince Charles et même de l'ancien chef du parti travailliste, Jeremy Corbyn, qui a longtemps été la cible de critiques [9] pour avoir nié l'ampleur des atrocités nationalistes serbes en Bosnie et au Kosovo.

Le Premier ministre suédois Stefan Löfven [10] et le président norvégien de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), Jens Stoltenberg [11], y ont également participé.

Aujourd'hui nous rendons hommage aux victimes du génocide de Srebrenica de 1995. Des agents publics étrangers participeront à la commémoration de Potocari dans un message vidéo. Consultez le lien ci-dessous pour écouter le discours du Premier ministre Stefan Löfven. https://t.co/e39HJMOIuD [12]

— Ministère suédois des affaires étrangères (@SweMFA) 11 juillet 2020

Il était particulièrement important pour la Suède et son gouvernement de faire entendre leurs voix, étant donné le scandale [14] [fr] de l'année dernière impliquant l'écrivain autrichien, Peter Handke, un lauréat du prix Nobel de la littérature décerné par l'Académie suédoise.

Les livres de Peter Handke ont été utilisés afin de promouvoir le récit nationaliste serbe [15] sur les guerres en ex-Yougoslavie [ou République socialiste fédérative de Yougoslavie (RSFY)]. Sa reconnaissance par l'Académie a suscité des protestations de la part des survivant·e·s et des journalistes qui avaient couvert la guerre de Bosnie, qui se sont rallié·e·s autour du hashtag #BosniaWarJournalists [16] (Journalistes de la guerre de Bosnie).

L'octroi du prix Nobel à cet apologiste du régime Milošević [17] [fr] a soulevé de nombreuses critiques [18] de la part des intellectuel·le·s et militant·e·s, et a été vécu comme une insulte par les familles des victimes.

Une nouvelle controverse [19] a surgi après l'annonce du projet d'édification d'une sculpture de Peter Handke à Banja Luka, principale ville de Republika Srpska, dominée par les Serbes de Bosnie.

Les dirigeant·e·s de la région condamnent le génocide, à deux notables exceptions près

Des personnalités politiques majeures des pays des Balkans ont également publié des messages vidéo afin de commémorer le génocide de Srebrenica.

Le président du Monténégro, Milo Đukanović, a annoncé dans son message vidéo [20] que l'idée criminelle d'exterminer une autre nation, qui existe dans les idéologies des « grandes puissances », est également présente dans les Balkans, se référant sans aucun doute à l'idéologie récente de la « Grande Serbie ».

Dans sa déclaration officielle [21], le président de la Macédoine du Nord, Stevo Pendarovski, a souligné que :

The Memorial Center and the Mothers of Srebrenica, through a clear message, testify of the collective past and are the conscience of our generation. They do not incite hatred, nor do they seek revenge, for it deepens injustice. They only seek truth and justice as a precondition for peace.
History, not only in the Balkans, teaches us that the idea of ethnically pure territories always leads to tragedy. And the recent Balkan wars have shown that genocide, after the Holocaust, can be repeated. If one generation does not speak, the next will forget, thus leaving a fertile ground for new conflicts.

Le Centre mémoriel et les « Mères de Srebrenica » témoignent, à travers un message clair, d'un passé collectif, et représentent la conscience de notre génération. Ils n'incitent pas à la haine, et ne cherchent pas à se venger, car cela aggrave l'injustice. Ils n'aspirent qu'à la vérité et la justice comme condition préalable à la paix.

L'histoire, pas seulement dans les Balkans, nous enseigne que l'idée de territoires ethniquement purs a toujours des conséquences tragiques. Et la récente guerre des Balkans a été la pure preuve qu'un génocide, après l'Holocauste, peut se reproduire. Quand une génération reste muette, la suivante oublie, constituant ainsi un terreau fertile à de nouveaux conflits.

Cela contrastait fortement avec la Serbie et la Republika Srpska, le gouvernement serbe n'ayant formulé aucune déclaration officielle. Cependant, l'année dernière, l'actuelle Première ministre Ana Brnabić a déclaré [22] [sr] qu'elle n'avait pas l'intention de visiter le centre commémoratif de Srebrenica à Potočari, et qu'il serait temps « d'arrêter de revivre les malentendus du passé. »

Dans le même temps, le dirigeant serbe de Bosnie, Milorad Dodik, a déclaré [23] [hr] qu'il était contre une loi qui criminalise la négation du génocide en Bosnie-Herzégovine. Il a donné la raison suivante : « Le récit d'un génocide à Srebrenica était douteux », répétant le sens commun nationaliste serbe éculé qui voudrait que le Tribunal pénal international de l'ex-Yougoslavie [24] [fr] soit anti-serbe.

Cependant, plusieurs militant·e·s et ONG en Serbie ont commémoré le génocide, y compris les « Femmes en noir  [25]» [fr], un groupe de militantes contre la guerre, réuni sur la place de la République de la capitale, Belgrade. La police anti-émeute a dû venir protéger ces femmes d'un groupe de nationalistes qui les a approchées en scandant le nom de Ratko Mladić, le général serbe reconnu coupable de génocide à Srebrenica.

Les auteurs du génocide bénéficient d'une protection

La relation de la Serbie avec son passé récent est exemplifiée par l'impunité de ses criminels de guerre. Le réseau régional d'ONG, Initiative de la jeunesse pour les droits humains, a publié un rapport [28] avertissant que deux ultranationalistes et criminels de guerre condamnés—Dragan Vasiljković et Vojislav Šešelj—s'étaient présentés aux élections de juin 2020.

Dragan Vasiljković avait affirmé [29] qu'il se battrait pour « les Serbes persécutés en Croatie, au Kosovo et au Monténégro » et qu'il essaierait de faire libérer Milorad « Legija » Ulemek et Zvezdan Jovanović. Les deux hommes purgent des peines pour l'assassinat du Premier ministre serbe Zoran Đinđić en 2003.

Le rapport soulignait également que le ministère de la Défense serbe avait promu des livres niant les atrocités des Serbes de Bosnie, ainsi que les crimes commis par l'armée yougoslave au Kosovo en 1999. Pendant des années, la Serbie a également été accusée d’abriter [30] des criminels de guerre serbes de Bosnie-Herzégovine, dont Novak Đukić, le général serbe reconnu coupable d’avoir ordonné l’attaque de Tuzla en mai 1995, tuant 71 civils, pour la plupart des jeunes. Après sa condamnation, Novak Đukić s'est enfui en Serbie et a été vu aux alentours de Belgrade.

Le 9 juillet, deux jours avant la commémoration du génocide à Srebrenica, Serge Brammertz, le procureur général du Tribunal pénal international des Nations Unies pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), a averti le monde [31] dans un éditorial du Guardian qu'« un certain nombre de génocidaires présumés ont fui vers la Serbie et y ont trouvé refuge, y compris des dirigeants politiques et des commandants militaires ».

Serge Brammertz a également écrit que « la négation du génocide et la glorification des criminels de guerre infligent d'énormes souffrances aux survivants et à leurs familles. Les dirigeants régionaux ont publiquement nié le génocide, qualifiant même Srebrenica de canular et de mensonge. Les criminels de guerre condamnés par le TPIY sont souvent salués comme des héros par des personnalités éminentes, tandis que les souffrances des victimes sont ignorées, niées et décriées. »

Le témoin, a ajouté Serge Brammertz, a maintenant été transmis aux tribunaux régionaux. Il a fait l'éloge de la Bosnie-Herzégovine, mais a indiqué que « 3 000 autres affaires restent à traiter, notamment en ce qui concerne Srebrenica. »

Avec une culture du négationnisme profondément ancrée en Serbie et en Republika Srpska, la perspective de traduire ces criminels de guerre en justice semble peu prometteuse.