Trinité-et-Tobago : la violence envers les femmes au cœur des élections

Un électeur montre son index plongé dans de l'encre, qui indique qu'il a voté.

“Le doigt qui a voté”. Photo par Georgia Popplewell sur Flickr, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

L’article d'origine a été publié en anglais le 30 juillet 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Les élections générales de Trinité-et-Tobago se tiendront le 10 août, et même si l'organisation d'un scrutin en temps de COVID-19 pousse une partie de l'électorat à proposer des solutions ingénieuses pour mener campagne, la plupart des messages politiques étaient, en substance, les mêmes que par le passé.

L'organisation à but non lucratif Womantra, qui mène des actions de sensibilisation et défend une réforme politique sur la question de l'égalité des sexes et des droits de femmes a fait une déclaration au sujet du patriarcat — une autre source de mécontentement lors des élections :

All candidates seeking public office should be meticulously screened, not only for portfolio and party compatibility but also for biases that impact their ability to serve the national community. Sexism is among these biases and one of the most dangerous. […] the words and actions of our politicians have been well documented by local media, the legacy of which informs what is deemed acceptable behaviour for those in authority and continues to haunt us today. In the midst of the 2020 general election campaign, it is clear that this problem persists.

Tous les candidats aux postes officiels devraient être minutieusement contrôlés, non seulement sur leur dossier et leur compatibilité avec le parti, mais aussi sur les préjugés qui influencent leur capacité à servir la communauté nationale. Le sexisme fait partie de ces préjugés et est l'un des plus dangereux. […] Les mots et les actes de nos politiciens ont été bien documentés par les médias locaux. Cette documentation nous informe sur le comportement considéré comme acceptable pour des personnes au pouvoir et aujourd'hui, ce comportement continue de nous hanter. En plein milieu de la campagne électorale de 2020, il est clair que ce problème persiste.

Cette déclaration a identifié certaines situations considérées par l'organisation comme étant problématiques, y compris la nomination d'un candidat faisant actuellement face à des accusations d'agression sexuelle. « [D]es accusations d'agression sexuelle en ligne » ont été retenues contre un deuxième candidat et un troisième a quant à lui reçu une ordonnance de protection provisoire émise par une ancienne compagne.

Aucun jugement n'a encore été rendu sur l'accusation de viol, aucune accusation formelle n'a été faite contre le candidat accusé d’agression sexuelle et l’ordonnance de protection émise contre le troisième pour laquelle il était censé se présenter devant la court a expiré le 23 juillet.

Womantra a décrit ces situations comme étant des « des cas témoignant d'une misogynie extrême » :

We note that these problems are wide reaching and that aspiring Members of Parliament from at least 3 political parties have come under scrutiny, underscoring the need for urgent and collective attention to end violence against women in politics.

Nous avons remarqué que ces problèmes ont une grande portée et que les candidats au poste de députés d'au moins trois partis ont fait l'objet d'un examen. Cela souligne le besoin d'une attention urgente et collective, pour mettre fin à la violence envers les femmes en politique.

Leur opinion a été reprise par Gabrielle Hosein, une enseignante à l'Institut d'études du genre et du développement de l'Université des Indes occidentales (UWI). Elle a déclaré que la lutte pour la démocratie a « toujours été entremêlée » aux luttes autour du genre et de la sexualité. Elle a aussi condamné une telle « tolérance continue sur les violences sexuelles et sexistes, que l'on ne considère pas encore comme suffisamment odieuses pour contester la légitimité politique des hommes » :

If nothing else, understand young women’s fear that these could be the men who hold power over them and to whom they must pay respect, like those abusive uncles who somehow retain their place and authority in the family.

Au moins, comprenez la peur de ces jeunes femmes, qui craignent que ces hommes puissent avoir du pouvoir sur elles et qu'elles soient amenées à devoir les respecter. Tout comme ces oncles vicieux, qui, d'une façon ou d'une autre, gardent leur place et leur autorité dans la famille.

À ce titre, Womantra a réclamé la révision de la constitution de Trinité-et-Tobago [pdf], afin que « toute personne reconnue coupable d'un quelconque acte de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle soit disqualifiée pour l'élection ou la nomination, en tant que membre du Sénat et/ou du parlement ».

Le langage s'est aussi avéré être un élément clé de cette révision, sous forme d'une revendication d'actualisation de la brochure sur le langage parlementaire « pour condamner l'usage des déclarations, des commentaires ou des mots sexistes » :

Borrowing from the 2020 Council of Europe (COE) report, we echo the call for our Parliamentarians to take a strong stand against sexist attacks targeting women and to introduce or revise codes of conduct explicitly prohibiting sexist behaviour and speech in their assemblies. The COE Report also recommends that States be vigilant during election periods with regard to sexist attacks against women and to monitor candidate nomination procedures for inequalities.

En s'inspirant du rapport 2020 du Conseil de l'Europe (COE), nous rappelons à nos parlementaires de prendre fermement position contre les attaques sexistes visant les femmes et d'introduire ou de réviser le code de conduite afin de bannir explicitement le langage et les comportements sexistes lors de leurs assemblées. Le rapport du COE recommande également que les États soient vigilants pendant les périodes électorales au sujet des attaques sexistes envers les femmes et qu'ils surveillent les procédures de nomination des candidats par rapports aux inégalités.

Womantra considère également que le service de police de Trinité-et-Tobago a un rôle crucial à jouer, en prenant en compte sérieusement « toutes les allégations faites contre les autorités politiques ou les candidats qui aspirent à un poste parlementaire, et en ouvrant rapidement les enquêtes, particulièrement en raison de l'élection imminente du 10 août. »

La mention spéciale a été accordé au « revenge porn » [publication sur Internet de contenus à caractère sexuel ou intime sans le consentement de la personne représentée, afin de lui nuire, ndlt], dont le traitement relève de l'unité de cybercriminalité de la TPPS :

We stand in solidarity with women candidates who have been the victims of such attacks and firmly denounce the claims that victims of revenge porn should be barred from public office. Such a position is difficult to reconcile with the recent amendments to the Domestic Violence Act, which expand the definition of emotional or psychological abuse to include unwelcome or intimidatory contact through electronic means.

Nous sommes solidaires des femmes candidates qui ont été victimes de telles attaques et dénonçons fermement les appels à la mise à l'écart de la candidature des victimes de revenge porn pour les charges publiques. Une telle décision serait difficile à concilier avec les récentes modifications de la Loi sur les violences domestiques. Cette loi élargit la définition de la violence émotionnelle ou psychologique en incluant les contacts indésirables ou intimidants par voies électroniques.

En mentionnant le cas de la jeune candidate Nabila Greene, qui serait apparue dans une vidéo dans laquelle un homme dont on ne voyait pas le visage l'arrosait de billets, Gabrielle Hosein a ajouté que « le genre et la sexualité deviennent souvent des armes lors des campagnes électorales ».  Bien que l'homme de 29 ans ait été inculpé depuis lors pour harcèlement et pour tentative de malversation envers la personne de Nabila Greene, l'universitaire Gabrielle Hosein maintient « qu'en réalité, ce que les femmes font […] en privé, légalement ou et dans le cadre de relations consensuelles n'a aucune pertinence »  dans ce cas :

Undermining women’s aspirations for political leadership, through breaking their trust and violating their privacy, is a deliberate containment of their democratic participation. And, it works. It’s one disturbing reason why there are fewer women in political leadership today.

Étouffer les aspirations des femmes pour le leadership politique, en brisant leur confiance et en violant leur vie privée, est un anéantissement volontaire de leur participation démocratique. Et ça marche. C'est l'une des raisons dérangeantes pour lesquelles il y a moins de femmes à des postes de direction politique aujourd'hui.

Pour Womantra, la résolution de cette question repose sur un examen minutieux [des candidats] :

Perpetrators in positions of power not only silence victims but are granted access to further perpetuate their power and control over those they are charged with protecting. If violence against women is allowed to run rampant at the House of Representatives, how can gender equality be achieved in the lower rungs of the public service, the corporate sector, and within the home? We cannot and must not allow persons who commit crimes and devalue women, in words or in deeds, to have access to the seat of power in this country. Violence against women cannot be business as usual […]

Les auteurs de ces violences, qui occupent des postes de prise de décision, ne réduisent pas uniquement au silence leurs victimes, ils ont aussi la possibilité d'étendre davantage leur pouvoir et d'avoir le contrôle sur celles et ceux qu'ils sont censés protéger. Si l'on permet à la violence envers les femmes de se répandre dans la Chambre des représentants, comment est-ce-que l'égalité des sexes pourrait être atteinte dans les échelons inférieurs de la fonction publique, le secteur privé et au sein des foyers ? Nous ne pouvons pas et ne devons pas autoriser des personnes qui ont commis des crimes et dévalorisent les femmes, que ce soit par la parole ou par les actes, à avoir accès au postes de décision dans ce pays. Les violences faites aux femmes ne peuvent pas être une affaire comme les autres […].

Huit autres organisations de la société civile ont approuvé cette déclaration. Conflict Women, qui soutient financièrement les survivantes de violences sexuelles et domestiques en fait partie, ainsi que le Caribbean Male Action Network, une organisation qui inclut les hommes et les garçons dans la lutte pour l'égalité des sexes.

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