En Haïti, les accusations d'une collusion entre le gouvernement de Jovenel Moïse et le crime organisé se multiplient

Capture d'écran d'une vidéo d'un entretien avec Jovenel Moïse provenant de la chaîne Youtube de l'agence EFE datée du 7 décembre 2019.

Depuis le massacre survenu dans le quartier paupérisé de La Saline dans la nuit du 13 au 14 novembre 2018, où plus de 50 personnes ont perdu la vie face à la montée de puissants gangs armés, le taux d’homicide en Haïti ne cesse d’augmenter. Rien que dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, environ 243 personnes ont été assassinées durant le premier semestre de 2020. Les journalistes et des organisations de défense des droits de l'homme y voient une collusion entre le gouvernement de Jovenel Moïse et le crime organisé à des fins économiques et électorales.

La confiance dans le gouvernement de Jovenel Moïse s’érode depuis 2019 avec l'intensification des mouvements de protestation à son encontre, et cela ne semble pas près de s'améliorer en raison des accusations de corruption, d'autoritarisme et de violence policière contre quiconque manifeste contre sa gouvernance. Des manifestations réclamant la démission du gouvernement de Jovenel Moïse ont gagné le pays à partir de février 2019, certains lui reprochant de ne pas respecter ses promesses envers la population, d'autres rappelant les accusations de corruption qui pèsent contre lui. Environ 42 morts et 86 blessés ont été recensés par l'ONU en septembre 2019 lors des manifestations anti-gouvernementales.

En ce qui concerne l'insécurité grandissante en Haïti, le Centre d'analyse et de recherches en droits humains (CARDH) avait déjà estimé en décembre 2018 que les pouvoirs politiques, judiciaires et policiers sont restés silencieux face au massacre. En juin 2019, la Mission des Nations unies pour l’appui à la justice en Haïti et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a partagé un rapport dans lequel sont publiés en détails les allégations de l'implication dans le carnage de La Saline d'un représentant de l'Etat, Richard Duplan, et de trois policiers.

En juin 2020, les allégations d'une collusion entre les partis politiques et le gangs, qui luttent pour le pouvoir politique depuis les territoires, se multiplient. Selon le dernier rapport de l’organisation de défense des droits humains Fondasyon Je Klere (FJKL), le massacre de La Saline aurait été perpétré à cause d’une lutte de gangs armés qui se sont alliés à des hommes politiques pour le contrôle des recettes du marché de la Croix-des-Bossales, un marché important de la capitale. Il s'agirait d’un conflit armé entre le gang de « Nèg chabon », réputé proche du parti au pouvoir, Tèt Kale (PHTK), et le gang de « Bout Janjan », qui s’est rapproché d’un ex-député de l’opposition, Roger Milien, qui affirme avoir été au courant de la planification du massacre de La Saline. Lors d'interventions publiques, le président s’est tenu à plusieurs reprises de répondre de façon directe face à ces accusations. Le rapport explique:

La réalité des quartiers contrôlés par les gangs est, depuis quelque temps, marquée par une polarisation constante : gangs pro-gouvernementaux ou pro-opposition/anti-Jovenel.

Selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), d’autres massacres similaires à celui de La Saline ont été perpétrés dans les quartiers Bel-Air, Cite-Soleil, Chancerelles, « Tokyo », Fort Dimanche et Pont-Rouge. Ce sont des quartiers populaires de la région métropolitaine de Port-au-Prince, où l'insécurité règne et où le contrôle des autorités policières peine à être exercé. En novembre 2019, le RNDDH a écrit dans son communiqué:

Selon les premières informations recueillies […], ces attaques, perpétrées par les gangs armés dirigés respectivement par Jimmy Chérizier alias Barbecue et Ti Sonson connu encore sous le nom de Ti Chèf, de la Base Krache Dife, sont orchestrées par les autorités exécutives.

Le RNDDH, dans son dernier rapport publié le 23 juin 2020, souligne que du matériel de la Police Nationale d’Haïti a été utilisé pour commettre ces massacres et nomme les policiers en connivence avec la “fédération des gangs G9”. Parmi ceux-ci, l’ancien policier Jimmy Chérizier, devenu leaders d’une des bandes de malfaiteurs du G9, également connu sous le nom de “Barbecue”.

Bien qu'un mandat d'arrêt a été émis contre lui par le ministre de la Justice pour son implication dans le massacre de La Saline, Barbecue est toujours en liberté. En juin 2020, il a été l'architecte d'une alliance entre le G9 et d'autres gangs et, le mois suivant, le G9 a bloqué plusieurs routes et artères de plusieurs quartiers de la capitale afin que le gouvernement leur octroie une reconnaissance légale.

D’après la Fondasyon Je Klere, les gangs du G9 et Barbecue sont des “agents en mission” pour le compte du gouvernement. 

Plus d’un an après le massacre de La Saline, les rapports des tribunaux semblent être toujours dans l’impasse. Les organisations locales, les ambassades et des personnalités diplomatiques tirent la sonnette d'alarme pour que justice soit rendue aux victimes, qui déplorent un manque d’encadrement de la part du gouvernement.

Le journaliste Parker James Asmann a résumé la situation dans Insight Crime de la sorte:

The G9 alliance has reportedly benefited from strong ties to the government of President Jovenel Moïse. The gang leaders are seemingly free from persecution so long as they help keep the peace in the neighborhoods they control. In exchange, Moïse’s government has found in them loyal foot soldiers quelling insecurity, stamping out opposition voices and shoring up political support across the capital.

L'alliance du G9 aurait bénéficié de liens étroits avec le gouvernement du président Jovenel Moïse. Les chefs de gangs ne sont apparemment pas persécutés tant qu'ils contribuent à maintenir la paix dans les quartiers qu'ils contrôlent. En échange, le gouvernement de Moïse a trouvé en eux de loyaux fantassins qui répriment l'insécurité, étouffent les voix de l'opposition et renforcent le soutien politique dans toute la capitale.

Le réseau accusé de corruption aurait des bénéfices économiques, mais donc également électoraux. Les défenseurs de droits de l’homme accusent le gouvernement d’employer des chefs de gangs pour intimider leurs possibles opposants politiques alors que les élections législatives, qui devaient avoir lieu en novembre 2019, n’ont toujours pas été organisées, malgré de nombreuses sollicitations. Ces groupes armés seraient donc utilisés pour assurer la mainmise sur les prochains bureaux de vote en créant un climat de peur défavorable pour les électeurs.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.