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Pakistan : un homme accusé de blasphème abattu dans un tribunal, son assassin salué comme un héros

Catégories: Asie du Sud, Pakistan, Développement, Droit, Droits humains, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Liberté d'expression, Médias citoyens, Religion
Un homme de dos. Son image est dans le noir dans un souci d'anonymat. Il se trouve dans une pièce assez petite. L'homme est plutôt de stature imposante. Il fait face à une fenêtre. [1]

Photographie de Donald Tong [1] via Pexels. Utilisée sous licence Pexels [2].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Un homme de 57 ans a été abattu [3] dans un tribunal de Peshawar, alors qu'il était jugé pour blasphème le 29 juillet. Le tueur, âgé de 24 ans, a été interpellé sur-le-champ. On ignore encore comment il a pu déjouer la sécurité du tribunal avec une arme à feu.

Tahir Ahmad Naseem était un citoyen américain d'origine pakistanaise [4] qui publiait régulièrement des vidéos en ligne, clamant qu'il était une sorte de prophète. Il a été arrêté en 2018 par la police de Peshawar [5], et accusé de plusieurs chefs d'accusation de blasphème après la plainte déposée contre lui par un étudiant de madrassa [école coranique, ndlt].

L'étudiant a soumis aux autorités des conversations privées en ligne dans lesquelles Tahir Ahmad Naseem prétendait être un prophète de l'Islam, ce qui constitue une violation des lois pakistanaises sur le blasphème [6] [fr].

Les musulmans ont la conviction que le prophète Muhammad [7] était le dernier messager de Dieu, et toute prétention ultérieure à la prophétie est considérée comme relevant de l'hérésie.

Tahir Ahmad Naseem était passible de la peine de mort [9] dans le procès pour « souillure du nom sacré du Saint Prophète Muhammad ».

L'utilisateur de Twitter @bohutkhoob a précisé :

Tahir Ahmad Naseem a été abattu aujourd'hui, lors d'une audience au tribunal. Il a été accusé de blasphème voici deux ans par un adolescent, lequel avait consigné leur conversation sur une plateforme en ligne puis déposé une plainte contre lui auprès de la police locale.
– amina (@bohutkhoob) 29 juillet 2020

Peu après l'incident, dans la salle d'audience, on a vu des personnes prendre des photos et des vidéos de la victime avec leur téléphone. La vidéo [11] montrant le corps de Tahir Ahmad Naseem allongé sur un banc a été diffusée sur les médias sociaux pakistanais. Une autre vidéo virale (cette vidéo n'est plus disponible, car le compte YouTube associé a été clôturé) présentait le tueur en garde à vue, affirmant que le prophète Muhammad lui était apparu en rêve et lui avait enjoint de tuer Tahir Ahmad Naseem.

La journaliste Naila Inayat a partagé des photos de Tahir Ahmad Naseem, gisant dans la salle d'audience après avoir été abattu :

Un homme jugé pour blasphème a été abattu dans un tribunal de Peshawar. Le tireur a déclaré avoir “défendu l'Islam” en tuant l'accusé. Tahir Ahmad Naseem a été arrêté pour avoir affirmé être un prophète en 2018. Il avait déclaré à la cour qu'il souffrait d'une maladie mentale et qu'il n'était pas responsable des conséquences.
– Naila Inayat नायला इनायत (@nailainayat) 29 juillet 2020

[image]
L'image est divisée en deux plans. Sur le premier plan, on voit un homme affalé sur un banc, qui paraît mort. En face de lui, des hommes prennent des photos. Sur le 2e plan, il y a une foule compacte d'hommes dans un couloir du bâtiment. Ils font face à une porte, et sont tous de dos.

Au départ, certains ont affirmé que Tahir Ahmad Naseem appartenait à la communauté Ahmadiyya [15], laquelle est victime de persécutions et de campagnes de haine suite à un amendement constitutionnel de 1974 qui a déclaré ses membres comme non-musulmans. Un porte-parole de la communauté Ahmadiyya a tweeté que Tahir Ahmad Naseem avait déjà quitté ce groupe plusieurs années auparavant :

Un homme a été abattu aujourd'hui devant un juge à Peshawar, lors d'un tragique incident. On rapporte qu'il s'agissait d'un Ahmadi, ce qui est faux. Il est né Ahmadi mais il a quitté la communauté il y a de nombreuses années. /1
– Saleem ud Din (@SaleemudDinAA) 29 juillet 2020

Des milliers de personnes se sont rassemblées à Peshawar [17], le 31 juillet, pour témoigner leur soutien au tueur. Ils brandissaient des pancartes, saluant l'acte et réclamant sa libération de prison, arguant que le gouvernement se montre « trop lent » dans le traitement des affaires de blasphème.

Ihsan Tipu, journaliste couvrant la province du Khyber Pakhtunkhwa pour le New York Times, a tweeté une vidéo du rassemblement en faveur du tueur :

Des milliers de personnes se sont rassemblées vendredi à Peshawar, pour manifester leur solidarité avec l'homme qui a assassiné Tahir Ahmad Naseem, un ressortissant américain accusé de blasphème, dans un tribunal de Peshawar.
– Ihsan Tipu Mehsud (@IhsanTipu) 31 juillet 2020

[description video]
La courte video montre une foule majoritairement masculine manifestant dans une rue. La foule compacte occupe toute la rue. Certains ont des pancartes ou affiches. D'autres prennent des photos.

Des célébrités pakistanaises, dont l'acteur Shahroz Sabzwari [20], ont fait publiquement l'éloge du tueur, et les hashtags en sa faveur sont aussi devenus viraux. Le haut dirigeant du parti politique religieux Jamiat Ulama-e-Islam – Fazl (JUI-F) [21] [fr], le mufti Kifayatullah, a tweeté son soutien à Khalid Khan :

Pour la première fois dans l'histoire du pays, nous avons été témoins de la justice au tribunal.

Au moment où le tueur a été appréhendé, des avocats et des policiers ont pris des selfies avec lui.

Ihsan Tipu a tweeté :

L'équipe d'élite de la police de Peshawar pose pour un selfie avec Faisal alias Khalid Khan, l'assassin de Tahir Ahmad Naseem, la semaine dernière dans un tribunal, [où celui-ci se trouvait] pour [répondre à] des accusations de blasphème.
– Ihsan Tipu Mehsud (@IhsanTipu) 3 août 2020

[image]
L'image montre un selfie avec des policiers et le meurtrier menotté. Tous sont souriants. Ils se trouvent dans un fourgon de police.

Ceci illustre l'ampleur de la question du blasphème au Pakistan : la page Facebook et le profil de cette figure de proue de la branche du parti au pouvoir dans la province du Sindh, ont semble-t-il été modifiés, affichant à la place la photo du tueur ayant abattu un blasphémateur présumé, devant le tribunal de Peshawar aujourd'hui
– Secunder Kermani (@SecKermani) 29 juillet 2020

[image]
Les deux plans de l'image montrent un profil Facebook avec la photo du tueur ayant abattu un blasphémateur présumé. Ce profil est celui d'un homme politique du parti au pouvoir dans la province du Sindh.

Ce n'est pas la première fois qu'un incident de cette nature se produit au Pakistan. Le 4 janvier 2011, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer [28] [fr], a été abattu par l'un de ses gardes à Islamabad, après avoir émis des opinions hostiles vis-à-vis des lois sur le blasphème [6] [fr].

Bien que personne n'ait été officiellement exécuté, en vertu des lois pakistanaises sur le blasphème [29], depuis 1990, au moins 77 personnes ont été exécutées extrajudiciairement en lien avec ces accusations, selon un décompte effectué par Al Jazeera [9]. Depuis 1987, plus de 1 500 personnes ont été accusées [11] de blasphème au Pakistan, selon le New York Times [30].

Dans une société pakistanaise divisée, ces opinions extrémistes sont tolérées, alors que les personnes qui se trouvent en désaccord avec elles renoncent à s'exprimer, craignant d'être victimes de harcèlement, notamment en ligne.

Néanmoins, beaucoup ont condamné publiquement le meurtre :

Khalid Khan, le meurtrier d'un homme mentalement instable, accusé de blasphème lors d'un procès à Peshawar hier, est un dangereux criminel comme Mumtaz Qadri, et il mérite une lourde sanction. Arrêtez d'exalter les meurtriers, s'il vous plaît ; personne n'a le droit de tuer.
– Usama Khilji (@UsamaKhilji) 30 juillet 2020

Le meurtre de Tahir Ahmad Naseem, qui selon certaines sources aurait un handicap mental, devant le tribunal de Peshawar ce matin, constitue un nouvel exemple illustrant la manière dont les lois pakistanaises sur le blasphème incitent les miliciens à menacer ou à tuer les accusés.
– Amnesty International Asie du Sud (@amnestysasie) 29 juillet 2020

Comme le tueur du blasphème de Peshawar se voit vénéré comme un héros, Ghazi ou encore un autre Ilm-ud-Din ou Qadri. Voilà ce qui arrive quand vous utilisez la religion comme instrument de guerre pendant des décennies. Ma chronique. #LettreDuPakistan
– Naila Inayat नायला इनायत (@nailainayat) 30 juillet 2020

Article de Naila Inayat, issu d'une plate-forme numérique, The Print. Photographie de Tahir Ahmad Naseem.

Un éditorial sur le portail en ligne ProperGaanda (observateur indépendant des particularités du Pakistan) indiquait (lien indisponible, 503 Service Temporarily Unavailable) :

It is high time Pakistanis stop hailing the murderer as a hero and recognize him for what he was. That will be the first step in cultivating an atmosphere wherein potential extrajudicial murderers think twice before breaking the law and imposing their judgements on whether or not a human has the right to live.

Il est grand temps que les Pakistanais cessent de saluer le meurtrier comme un héros, et le reconnaissent pour ce qu'il était. Cette reconnaissance sera la première étape vers la promotion d'un climat dans lequel les meurtriers extrajudiciaires potentiels reconsidéreront leur position, avant d'enfreindre la loi et d'imposer leurs verdicts sur le droit de vivre ou non d'un être humain.