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COVID-19 et la politique chinoise de contrôle de l'information

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Censure, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique, Relations internationales, Santé, COVID-19, Advox
Carte mondiale de l'épidémie de COVID-19. Tous les pays sont en rouge, et la Chine apparaît avec un rouge très foncé. La carte est réalisée sur un fond blanc. [1]

Carte mondiale de l'épidémie de COVID-19. Image extraite de Wikimedia, sous licence CC AT-SA.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

L'article ci-après a été rédigé par le Dr Fu Kingwah, professeur associé au Centre de journalisme et d'études des médias de l'Université de Hong Kong, et responsable des projets de surveillance des pratiques de censure Weibosocope et Wechatscope. Ce billet avait été initialement publié [2] le 28 juillet 2020, dans le rapport de Meedan sur la « désinfodémie » (Meedan’s Misinfodemic Report). Une version remaniée a été republiée sur Global Voices, avec la permission du Dr Fu et de l'équipe Misinfodemic de Meedan.

Les stratégies de la Chine pour maîtriser les déclarations relatives au COVID-19 suscitent des préoccupations mondiales, car, en ce début de mois d'août, le coronavirus a déjà fait plus de 700 000 victimes à travers le monde. L'origine du virus constitue désormais une question très controversée dans la diplomatie internationale et restera probablement un facteur d'influence sur la politique mondiale.

Un tweet insolite a été publié le 12 mars 2020 par le directeur adjoint du ministère des Affaires étrangères chinois, Zhao Lijian. Il affirmait que [3] [fr] l'armée américaine avait introduit le COVID-19 en Chine, lors de la participation du pays aux Jeux Olympiques militaires d'octobre 2019. Cette allégation, si ce n'est une conspiration, n'était étayée par aucune preuve. Elle s'est diffusée comme une traînée de poudre, se transformant en un élément de désinformation mondiale sur l'origine de la pandémie.

Quelques jours plus tard, des messages de désinformation sont apparus sur les téléphones portables et les médias sociaux de citoyens américains. Un des messages disait : « L'administration Trump se prépare à verrouiller le pays tout entier », ce que la Maison Blanche a ensuite démenti. Les responsables des services de renseignements américains, ayant dialogué avec le New York Times sous couvert d'anonymat, ont imputé les messages [4] à des agents chinois, et ont estimé que cette tactique était « sans précédent ».

Weiboscope, programme de surveillance de la censure chargé de contrôler la désinformation et la censure sur la plateforme sociale chinoise Weibo, a examiné la manière dont le gouvernement chinois exerce un contrôle sur les discours concernant le COVID-19 en Chine, depuis le début de l'épidémie.

Au cours de l'après-midi du 31 décembre 2019, on pouvait lire dans un post de Weibo : « La pneumonie de Wuhan ne peut être assimilée au SRAS [5] [fr]. Wuhan abrite le seul laboratoire de virologie du pays et est également un laboratoire de virologie de renommée mondiale. Il existe des moyens de traiter le virus. Si Wuhan n'y parvient pas, personne ne peut le maîtriser. » Il a été immédiatement censuré, en moins d'une heure.

Le billet mentionnait à la fois la nature du virus, proche de celle du SRAS, suggérant son taux d'infection élevé, et le laboratoire de Wuhan, révélant l'origine du virus. Sur la base de notre connaissance du système de censure gouvernemental, c'est probablement à ces deux caractéristiques que l'on peut imputer la décision du retrait du billet de la plateforme sociale.

À l'époque, les spéculations selon lesquelles un nouveau type de pneumonie était associé à une maladie analogue au SRAS circulaient déjà sur les médias sociaux, selon les données du Weiboscope. Le Dr Li Wenliang [6] [fr], l'ophtalmologue qui a découvert la mystérieuse maladie dans un hôpital, avait écrit un message sur la populaire application de messagerie privée chinoise WeChat, avertissant les autres médecins de cette maladie non identifiée. Dr Li Wenliang a alors été accusé, ainsi que six autres personnes, de trouble à l'ordre public par les autorités locales. Il est mort plus tard de la maladie, désignée plus tard sous le nom de COVID-19.

Ainsi, le 31 décembre 2019, le jour même de la suppression de ce message sur Weibo, après l'avertissement du Dr Li Wenliang, le gouvernement chinois a déclaré [7] [zh] que les « cas de pneumonie virale » ne correspondaient à « aucun mode apparent de transmission interhumaine » et qu'ils étaient « évitables et contrôlables ». Il a également informé l'Organisation mondiale de la santé et les États-Unis de ces conclusions.

Le 20 janvier, moins d'un mois plus tard, le gouvernement central chinois a dévoilé au public l'épidémie de COVID-19. Un groupe de virologistes chinois éminents a participé [8] [zh] à une émission de la télévision d'État et a confirmé que le virus était transmissible entre humains.

En censurant les messages liés au virus fin décembre et début janvier, d'innombrables Chinois⸱es ont peut-être été exposé⸱e⸱s à leur insu au risque d'infection [9], les privant ainsi de recevoir des alertes précoces des médias et des réseaux sociaux au sujet de cette maladie extrêmement contagieuse. La censure et le contrôle de l'information ont peut-être aussi ralenti la réaction du grand public, empêchant celui-ci de prendre les mesures de protection nécessaires et appropriées.

Les modes de contrôle de l'information par la Chine

Internet et les technologies numériques ont profondément modelé les domaines social, économique et politique de la Chine. Même si l'Internet est réputé pour favoriser l'activisme citoyen, le pouvoir répressif de l'État est remarquablement renforcé [10] par les technologies numériques.

En effet, les autorités chinoises ont fortement privilégié le concept de cyber-souveraineté, lequel élargit largement la notion [11] de cybersécurité comme justification du contrôle de certaines activités en ligne perçues comme une menace potentielle pour la stabilité de l'État. Dans ce contexte, la Chine a mis en place un système sophistiqué de réglementation des médias traditionnels et virtuels, qui a été incorporé à toutes les plateformes Internet.

Ce système vaste et sophistiqué de filtrage d'Internet propre au gouvernement chinois, ainsi que son cadre de gouvernance numérique, est habituellement désigné sous le nom de « Grande muraille électronique ». Ces mesures strictes transforment l'Internet chinois en un intranet virtuel, dans lequel les communications privées et publiques sensibles sont filtrées et l'accès aux sites étrangers tels que Facebook, Twitter et YouTube est verrouillé.

Pour obtenir des informations sur le COVID-19, les citoyens chinois n'ont guère d'autre alternative que de se fier aux médias locaux, pour la plupart détenus par l'État. Les médias internationaux ou les sites de médias sociaux étrangers ne leur sont pas accessibles, et les messages diffusant des reportages de médias étrangers sont également censurés. Par exemple, notre système enregistre un message censuré le 18 janvier, accompagné d'une capture d'écran d'un reportage sur les coronavirus intitulé « Quatre nouveaux cas confirmés à Wuhan ; On estime à plus de 1 700 le nombre de cas, selon un expert », publié par l'antenne de Radio et Télévision Hong Kong basée à Hong Kong. Nous avons pu établir qu'un autre message de Weibo titré « Express : cas suspects de pneumonie inconnue en Corée du Sud », pointant par hyperlien vers un article de l'agence de presse Yonhap le 8 janvier 2020, avait été censuré.

La loi chinoise sur la cybersécurité, ainsi que les politiques relatives à la déclaration des véritables identités, ont restreint l'espace de la libre expression en ligne, et rendent l'anonymat pratiquement impossible.

En outre, les technologies de surveillance, telles que les caméras de surveillance, la reconnaissance faciale et le suivi de l'identité, fortement utilisés [12] pour faciliter la surveillance des mesures de quarantaine par les autorités lors de l'épidémie de coronavirus, ont renforcé le contrôle social.

Afin de ne pas franchir la « ligne rouge [13] » (un critère souvent invisible et méconnu) susceptible de déclencher la censure des contenus, la suspension et la résiliation [14] des comptes utilisateurs, ou des enquêtes policières et même des peines de prison [15], les citoyens chinois se sont retranchés derrière l'autocensure.

Il est intéressant de noter que la « ligne rouge » est obscure et que son périmètre et son seuil sont largement méconnus : les articles « clickbait » (piège à clics) relatifs aux styles de vie ont été bloqués [16], la musique rap a été interdite [17], les séries dramatiques télévisées [18] ont été rejetées et les services de jeux vidéo ont été interrompus [19]. Trois volontaires chinois ont été arrêtés [20] par la police pour avoir téléchargé du contenu censuré relatif à l'épidémie de COVID-19 sur la plateforme Github.

Répercussions au-delà des frontières de la Chine

Avec l'essor économique de la Chine et son influence mondiale croissante, le pays a modernisé ses systèmes d'information et ses capacités de cyberguerre. Pour la deuxième plus grande économie du monde, les technologies de l'information sont non seulement la clé de la croissance économique et des fonctions vitales de la société, mais aussi celle de la sécurité nationale.

Avec plus de 854 millions de citoyens en ligne, la Chine dispose aujourd'hui du système de censure en ligne le plus sophistiqué au monde (rapport CNNIC 2019). Outre les méthodes de guerre traditionnelles pratiquées sur différents terrains – la terre, la mer et l'air -, le cyberespace représente [21] désormais un domaine de guerre très apprécié du gouvernement chinois.

Au fur et à mesure que la Chine renforce son implication dans le monde, la lutte pour contrôler le discours sur le Parti communiste chinois et le pays s'est élargie, englobant l'opinion publique mondiale [22], formant un ambitieux projet de propagande extérieure. L'Internet devient l'un de ses espaces de combat.

Outre les formes traditionnelles de propagande diffusées sur les médias d'État chinois, il existe désormais des exemples de campagnes d'influence en ligne, organisées et coordonnées [23] sur des thématiques considérées comme fondamentales et prioritaires pour le gouvernement chinois, telles que la détention des Ouïghours au Xinjiang, les élections présidentielles taïwanaises et les récentes manifestations de Hong Kong.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, la pandémie liée à COVID-19 continue de se développer et la crise évolue quotidiennement, mais il semble évident que le monde après COVID-19 aura un autre visage. Les relations entre la Chine et le reste du monde risquent de devenir plus amères et plus conflictuelles.

La stratégie de la Chine en matière de contrôle de l'information et de ses conséquences préoccupe désormais le monde entier. L'État américain du Missouri intente un procès [24] à la Chine pour pertes économiques, et réclame des compensations au pays asiatique pour sa négligence et son manque de transparence quant aux efforts pour circonscrire le virus dans la ville de Wuhan.

Le contrôle par la Chine de l'information sur l'épidémie du COVID-19 a sonné l'alarme concernant les répercussions mondiales de la censure dans un pays donné. Cependant, la question de l'influence du coronavirus sur les relations diplomatiques de la Chine avec le reste du monde reste à déterminer.