Liban : des domestiques nigérianes, maltraitées et infectées par le COVID-19, bloquées à Beyrouth

L'image montre une pièce où s'entassent plusieurs femmes africaines. Elles sont assises sur des tapis. On distingue auprès d'elle des bagages. Elles ont toute la tête baissée. Il y a une fenêtre et une porte ouverte. Quelques vêtements pendent sur le rebord des fenêtres.

Une trentaine de femmes sont hébergées dans ce refuge pour employées de maison, bloquées au Liban, après avoir été expulsées du domicile de leur employeur·euse. Image de Dara Foi'Ella, reproduite avec autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Quarante-trois femmes nigérianes se terrent actuellement dans trois refuges à Beyrouth, au Liban, depuis leur expulsion du domicile de leur employeur où elles travaillaient comme domestiques, après une explosion massive, le 4 août dernier. 

Fil d’actualités sur les femmes nigérianes abandonnées à Beyrouth :
– 3 refuges avec jusqu’à 30 femmes dans une pièce
– pas de meubles, installations de mauvaise qualité
– pas d’accès à l’eau potable
– pas d’accès à la nourriture
– menaces quotidiennes de la part d’employeurs et d’agents (trafiquants d’êtres humains)
– Dara Foi'Elle (@Dara_FoiElle) 12 août 2020

L’explosion d’un entrepôt portuaire à Beyrouth a déclenché une onde de choc, entraînant la mort de 135 personnes et en blessant 5 000 autres, rapporte le Guardian. Le 10 août, suite à de nombreuses protestations, le Premier ministre libanais Hassan Diab et son cabinet ont démissionné de leurs fonctions.

L’explosion a déclenché la colère du peuple libanais, déjà en proie à une crise financière sévère, aggravée par la pandémie de coronavirus et la multiplication des suppressions d’emplois. 

C’est toutefois sur les travailleur·euse·s domestiques migrant·e·s, originaires pour la plupart de pays d’Afrique, que les conséquences ont été les plus graves. 

Le Middle East Eye (L’œil du Moyen-Orient, agence de presse en ligne basée à Londres couvrant les événements au Moyen-Orient) rapporte :

Des travailleur·euse·s domestiques migrant·e·s manifestent devant le consulat kenyan, à Beyrouth, et demandent aux autorités de faire le nécessaire pour les aider à rentrer chez eux. Beaucoup ont été expulsé·e·s par leurs employeurs, à la suite de l’explosion de mardi dernier.
– Middle East Eye (@MiddleEastEye), 12 août 2020

[description vidéo]
Manifestation des travailleuses domestiques au Liban devant le consulat de Beyrouth.

Le 13 août, la Direction générale de la sécurité (General Security Directorate), le service de renseignement libanais, a interpellé ces travailleur·euse·s domestiques migrant·e·s kenyan·e·s qui manifestaient :

La Sécurité générale du Liban procède actuellement à l’arrestation des femmes kenyanes qui manifestaient pour réclamer leur renvoi chez elles.

Le Liban est un enfer pour les travailleurs migrants. Ces gens demandent simplement de rentrer chez eux et ils sont arrêtés pour cela.

Si les journalistes kenyans veulent couvrir cette action
– #كلن_يعني_كلن (@joeyayoub) 13 août 2020

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Tweet de Nay El Rahi incitant à venir manifester devant le consulat de Badaro, au Liban.

Déjà, avant l’explosion, de nombreuses travailleuses domestiques africaines avaient été jetées dans les rues du Liban par leurs employeurs, suite à une récession économique amplifiée par le COVID-19. Sans argent ni passeport, certaines de ces femmes ont été exploitées sexuellement. 

Dans le cadre du système de parrainage Kafala [pdf], le statut d’immigration des travailleur·euse·s domestiques étranger·ère·s au Liban se rattache à leurs employeurs. Ce droit du travail, comparable à celui de l’esclavage, perpétue l’exploitation et les abus.  

Une litanie d’abus, d’exploitation et de harcèlement  

Dara Foi'Ella, militante des droits humains, basée à Beyrouth avec Syrian Eyes, a confié à Global Voices sur WhatsApp que les femmes nigérianes se trouvaient actuellement dans trois refuges. 

L’un d’entre eux est habité par 30 femmes, réparties dans deux appartements. Foi'Ella a indiqué que cette maison est située dans un « ghetto dangereux » où ces femmes auraient subi des tentatives d’agressions physiques et sexuelles. « Certains hommes ont tenté de s’introduire dans la maison. Les filles ont dû bloquer la porte avec des canapés pour éviter que les hommes n’entrent par effraction », a déclaré Foi'Ella. 

Il y a trois personnes entièrement protégées par une combinaison blanche, un casque de protection faciale et des gants face à une femme, africaine, portant un simple masque de protection faciale. Ils se trouvent dans une pièce et tous sont agenouillées ou accroupies sur un tapis. On distingue un fauteuil avec des vêtements sur le dessus.

Certaines, parmi les anciennes employées de maison nigérianes, ont été testées positives au COVID-19. Image de Dara Foi'Ella, reproduite avec autorisation.

Mais, malheureusement, une des femmes étant positive au COVID-19, elle ne peut pas être transférée dans un lieu plus sûr. Syrian Eyes, en partenariat avec Médecins sans frontières, soigne les femmes nigérianes atteintes de COVID-19. 

Un second refuge abrite sept femmes, tandis qu’un troisième accueille six femmes. Ces deux maisons sont situées dans un quartier plus sécurisé de Beyrouth. Certaines des femmes hébergées, dans la seconde maison d’accueil, figuraient parmi celles ayant été rapatriées au Nigeria, le 12 août dernier : 

Nos filles en détresse au Liban.. Enchantées d’être de retour à la maison
– Abike Dabiri-Erewa (@abikedabiri), 12 août 2020

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Scènes de liesse de la part des femmes africaines en partance pour leur pays d’origine. Elles sont dans l’aéroport prêtes à embarquer avec leurs bagages et leurs effets personnels. Le personnel de l’aéroport se joint aussi à leur joie non dissimulée.

Beaucoup de ces femmes, acheminées au Liban par des agents nigérians, se sont enfuies ou ont été chassées par leurs employeurs libanais, après l’explosion. Aucune ne dispose d’un passeport nigérian en cours de validité étant donné que leurs employeurs les gardent de force. 

En outre, selon diverses sources, de nombreuses femmes restent victimes de harcèlement verbal et de traumatismes de la part de leurs employeurs, lesquels les persuadent de reprendre leur travail d’esclave. 

Foi'Ella a communiqué plusieurs messages vocaux de WhatsApp à Global Voices depuis une source nommée « Lola », à titre de preuve. Lola est un pseudonyme pour protéger son identité.  

En effet, Lola a reçu cinq messages vocaux de la part de ses employeurs, via WhatsApp, lesquels ont commencé par des supplications puis ont rapidement dégénéré en menaces. 

Le premier message, des employeurs de Lola (traduit sommairement de l’arabe vers l’anglais) disait « Lola, comment vas-tu ? Dis-moi juste où tu es et pourquoi tu es partie. Dis-moi où tu es ». 

La seconde message contenait une menace implicite : « Venez récupérer votre passeport. Si vous voulez voyager, venez le récupérer ». 

Le troisième message dit : « J’ai prévenu l’agence [d’emploi] que si vous voulez voyager, vous pouvez récupérer votre passeport, de l’argent et vous en aller. » 

Le quatrième message émanait de « l’agent » : « Lola, pourquoi as-tu quitté Madame ? C’est très simple de dire à Madame que tu ne souhaites plus continuer. Votre passeport est avec nous. Il est préférable que nous vous parlions, que nous trouvions une solution à ce conflit, et que vous retourniez au Nigeria… »  

Le cinquième enfin de la part de la « patronne » de Lola constituait un chantage explicite : « si tu ne viens pas récupérer le passeport, la police viendra te chercher. Je leur ai dit que tu t’étais échappée ».

Ces travailleuses domestiques, qui se retrouvent bloquées, dépendent de l’ambassade nigériane, selon Foi'Ella, en liaison avec les agences de sécurité libanaises pour la délivrance des documents de voyage. 

Habituellement, les femmes fournissent quatre photos d’identité, lors de l’enregistrement à l’ambassade, et quelques-unes obtiennent des billets d’avion gratuitement leur permettant de rentrer au Nigeria. 

Lorsque d’anciens employeurs engagent des poursuites pénales contre des employées de maison, prétendant que celles-ci ont volé, comme c’est le cas de Lola, le rapatriement peut être différé. Même à l’aéroport, en possession de papiers de sortie valables, ces employées de maison peuvent être arrêtées et détenues durant trois à quatre semaines, puis à nouveau jetées à la rue. 

Une Foi'Ella indignée a souligné, auprès de Global Voices :

The Nigerian government needs to put pressure on both the Lebanese foreign and labour ministries to grant a general amnesty to all Nigerian domestic workers to be repatriated.

Le gouvernement nigérian doit faire pression sur les ministères libanais des affaires étrangères et du travail pour accorder une amnistie générale à tous les travailleurs domestiques nigérians, devant être rapatriés.

Car c’est la seule façon de permettre à ces femmes, victimes « d’accusations de crimes à tort, de quitter le Liban sans être interpellées dans les aéroports ». 

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