Hong Kong : le camp pro-démocratie divisé sur la prolongation du mandat imposée par Pékin

Au Conseil législatif de Hong Kong, quelques membres sont présents et on voit plusieurs pancarte de protestation en chinois. La cheffe de l'exécutif Carrie Lam se tient à un pupitre.

Des législateurs et législatrices pro-démocratie manifestent à l'intérieur de la chambre du Conseil législatif. Photographie de inmediahk, sous licence CC : AT-NC.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en chinois, ndlt.]

Carrie Lam, la cheffe de l'exécutif de Hong Kong, a déclenché une tempête de protestations, le 21 août dernier, en invoquant les pouvoirs d'urgence [en] pour repousser les élections du Conseil législatif (LegCo) à septembre 2021, évoquant les inquiétudes du COVID-19.

Hong Kong devait élire un nouveau LegCo, le 5 septembre. La décision de Carrie Lam survient dans la foulée de la disqualification [fr] controversée, en juillet, de 12 candidat⸱e⸱s pro-démocratie, et de la mainmise progressive de Pékin sur la gouvernance de la ville.

Un point de discorde, lié à ce report, concerne l'intervalle d'un an entre la fin du mandat actuel du LegCo et l'élection prévue l'année prochaine. Pour y remédier, la cheffe de l'exécutif a prié le Congrès populaire national (National People's Congress) de Pékin de se prononcer, ce dernier souhaitant renouveler le mandat de tou⸱te⸱s les législateur⸱ice⸱s en exercice pour « au moins un an de plus ».

L'intervention du Congrès populaire national (CPN), bien qu'elle soit théoriquement une formalité, place le camp pro-démocratie devant une arme à double tranchant.

Accepter une prolongation accordée par le CPN de Pékin pourrait être considéré comme une capitulation devant la Chine continentale. D'un autre côté, un rejet impliquerait, en pratique, un boycott du LegCo – offrant ainsi aux membres pro-Pékin du Conseil la liberté de promulguer n'importe quelle loi.

Ce dilemme a conduit le camp pro-démocratie à un profond désaccord et une scission semble désormais inévitable.

Les partis localistes, un sous-ensemble plus radical au sein du groupe pro-démocratie, envisagent un boycott. Le législateur Ray Chan a explicité, sur un fil de discussion Twiiter, la raison pour laquelle il est opposé à la nomination du Congrès populaire national :

I refuse the National People's Congress’ appointment to serve for another year. I did not resign from #LegCo. I boycott the term extension. The reasons behind my decision are simple. First, our mandate ends in 2020. Without a new mandate, serving beyond our term is illegal & illegitimate. […] Second, accepting the appointments means accepting the authority of the failure aka Carrie Lam Government & the Leviathan aka National People Congress to arbitrarily change the term of LegCo members. It'll open the floodgate for all kinds of meddling for years to come.

Je refuse que le Congrès populaire national soit nommé pour une année supplémentaire. Je n'ai pas démissionné du Conseil législatif. Je boycotte la prolongation du mandat. Les raisons de ma décision sont simples. Premièrement, notre mandat expire en 2020. Faute d'un nouveau mandat, il est illégal et illégitime de servir au-delà de notre mandat. […] Deuxièmement, accepter les nominations signifie reconnaître l'autorité de l'échec du gouvernement Carrie Lam et du Leviathan , alias le Congrès national du peuple, à modifier arbitrairement le mandat des membres de la LegCo. Cela va ouvrir la porte à toutes sortes d'ingérences dans les années à venir.

Ray Chan est ensuite revenu sur sa position et a indiqué qu'il allait prendre une décision définitive après avoir entendu le public.

En revanche, le Parti démocratique et le Parti civique, sous-ensemble pro-démocratie plus conventionnel dont la plupart des membres sont issu⸱e⸱s de groupes professionnels, sont disposés à rester au sein du LegCo. L'ancien président du Parti démocratique, Albert Ho, a exposé sa position lors d'un entretien pour un journal local en ligne :

我們是不是要放棄反對的機會?如果有一些非常不合理的法案通過,很多不應該花的錢亂花,起碼要有人要在立法會提出最強烈的反對。

Nous devrions, par tous les moyens nécessaires, préserver les droits des citoyen⸱ne⸱s, garantir nos valeurs et nous opposer raisonnablement aux réformes…  Allons-nous renoncer à notre chance d'exprimer des voix d'opposition ? S'ils veulent promulguer une loi abusive ou gaspiller l'argent des contribuables, quelqu'un se doit de dénoncer la décision du LegCo.

Les partisans du pouvoir en place et alignées politiquement sur Pékin ont milité pour un certain nombre de questions litigieuses au cours des derniers mois. Parmi celles-ci figurent des changements radicaux des fonctions des conseils de district, l'autorisation de vote pour les ressortissants hongkongais [en] basés en Chine continentale, la mise en place du système de santé à code de couleur [fr] dans la ville, et une réforme constitutionnelle prévoyant de modifier les règles de l'élection du chef de l'exécutif, à partir de 2022.

Si le camp pro-démocratie est exclu du LegCo, ces projets de loi, jugés draconiens par les partisans de la démocratie, risquent fort d'être adoptés.

Alors que les politologues soutiennent qu'un boycott du LegCo conduirait à la marginalisation de l'opposition et à la consolidation du pouvoir autoritaire, les localistes le justifient sur des bases morales — en insistant sur le fait que les législateurs ne devraient pas se joindre au LegCo sans un mandat du peuple.

Certains localistes ont ajouté qu'avec la disqualification massive [fr] des espoirs pro-démocratiques pendant la période d'investiture, l'opposition devrait renoncer définitivement à la politique institutionnelle.

Le débat s'est naturellement déplacé sur les médias sociaux, les échanges se faisant parfois âpres, certains utilisateurs qualifiant de « traîtres immoraux » [en] les législateur⸱ice⸱s pro-démocratie en faveur de la nomination du CPN.

Dans ce contexte, le législateur local Chu Hoidick a appelé à un sondage d'opinion ou à un référendum public sur la question.

Si le Parti démocrate a prêté attention à ces requêtes, il insiste sur une approche plus délibérative et plus scientifique :

Quant à savoir si les législateur⸱ice⸱s actuel⸱le⸱s doivent rester ou boycotter la législature de l'année prochaine, le Parti démocrate appuiera sa décision sur un sondage scientifique. Nous espérons que le débat entre les deux camps aura lieu au moins une fois pour permettre aux citoyen⸱ne⸱s de Hong Kong de choisir en toute connaissance de cause avant la tenue du sondage.
— Democratic Party 民主黨 (@HKDemocrats) August 20, 2020

[image]
L'image représente l'intérieur du LegCo (Conseil législatif de Hong Kong). Quelques personnes y sont présentes. La cheffe de l'exécutif de Hong Kong, Carrie Lam se tient à un pupitre, de profil sur l'image. Certaines personnes sont munies de pancartes sur lesquelles on peut lire des inscriptions en chinois.

Pendant ce temps, beaucoup redoutent qu'une scission entre les localistes et les démocrates, sur fond de recul de la liberté de dissidence à Hong Kong, ne soit très dommageable aux forces d'opposition de la ville, quelle que soit la décision finale des politicien⸱ne⸱s de rester ou de boycotter l'extension du mandat du LegCo.

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