De l’horticulture au cosplay d’Harry Potter, des moyens créatifs pour protester contre la répression en Thaïlande

Une forêt de bras élevés, 3 doigts pointés vers le haut, lors d'une manifestation étudiante en Thaïlande.

Des élèves pointent 3 doigts vers le ciel, leurs bras noués de rubans blancs. Photo et légende par Prachatai English, un partenaire de contenu de Global Voices, reproduites avec autorisation.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Des étudiant·e·s partout en Thaïlande ont organisé d’importantes manifestations réclamant « la fin des persécutions infligées aux citoyen·ne·s par les autorités, la création d'une nouvelle constitution et la dissolution du Parlement ».

Le plus grand rassemblement à ce jour a eu lieu le 16 août, lorsque plus de 20 000 personnes se sont rassemblées au Monument de la démocratie à Bangkok, au mépris des restrictions imposées par le gouvernement.

Les manifestations ont lieu alors que le pays est en état d'urgence. Le gouvernement a interdit les rassemblements de masse, sous prétexte de contenir la propagation de COVID-19. Les autorités ont en outre menacé de procéder à l'arrestation des participant·e·s et de les inculper pour atteinte à la santé et à la sécurité publiques.

En réponse, les étudiant·e·s ont trouvé des moyens créatifs de contourner les règles restrictives, en transformant en actions de protestation des activités telles que les promenades au parc, la vaisselle, le déguisement en personnages d'Harry Potter et le salut à trois doigts des Hunger Games. Ces événements ont attiré la participation de nombreux jeunes et capté l'attention des médias nationaux.

L'horticulture en guise de contestation

Lors d'un rassemblement organisé par des étudiant·e·s au Monument de la démocratie à Bangkok le 18 juillet, des agents gouvernementaux ont placé des plantes et des fleurs en pot dans le quartier, vraisemblablement pour empêcher tout rassemblement autour de ce monument historique. Malgré cet obstacle, la manifestation s'est déroulée avec succès et a attiré la participation d'environ 2 000 personnes.

Les organisateur·rice·s de la manifestation sont revenu·e·s devant le monument le 21 juillet et ont invité le public à se réunir, à se balader et à admirer les plantes. Le meneur du groupe, Siriphob Poomphungphut, a déclaré à Khaosod English :

This garden is (a) waste of taxpayer money. I can’t see the beauty out of it because it obstructed those who were calling for democracy.

Ce jardin n'est qu'un gaspillage de l'argent du contribuable. Je n'en vois pas la beauté car il a fait obstacle à ceux qui réclamaient la démocratie.

Les policiers se heurtent à un groupe de militant·e·s antigouvernementaux au Monument de la démocratie, où les militant·e·s insistent sur le fait qu'ils n'étaient pas là pour protester, mais pour se rendre dans le jardin installé autour du monument. #Thailande #KE [Khaosod English] #JeunesPourLaLibération

La vaisselle sale

L'affirmation d'un législateur du parti au pouvoir concernant les réseaux sociaux, selon laquelle « tout le monde veut venir en aide au pays, mais personne ne veut aider maman à faire la vaisselle », a incité certain·e·s manifestant·e·s à se rassembler devant le siège du gouvernement le 30 juillet, pour laver symboliquement plusieurs « assiettes sales », comme le budget de la défense et le manque de financement pour les individus et les diplômé·e·s de fraîche date gravement touché·e·s par la pandémie.

La dernière assiette lavée arborait l'image du Premier ministre Prayut Chano-cha, le général de l'armée qui a mené le coup d'État en 2014. Un des manifestants a déclaré lors du rassemblement :

Every problem originates from Gen Prayut himself. If this dish cannot be washed, let’s break it.

Chaque problème provient du Général Prayut lui-même. Si cette assiette ne peut pas être lavée, brisons la.

Des étudiant·e·s militant·e·s lavent des plats à l'effigie du Premier ministre Prayut Chan-o-cha devant le siège du gouvernement, dans un geste adressé à un politicien pro-gouvernemental qui a suggéré que manifestant·e·s devraient plutôt “aider leur mère à faire la vaisselle” à la place. #Thailande #KE [Khaosod English] #JeunesPourLaLibération

Harry Potter et la junte militaire

Le 4 août, une centaine d'étudiant·e·s se sont rassemblé·e·s devant le Monument de la démocratie, déguisé·e·s dans divers costumes inspirés de la saga Harry Potter. Les participant·e·s ont repris des personnages de la série de romans à succès pour dénoncer l'absence de démocratie sous le gouvernement soutenu par l'armée, ainsi que la nécessité de réformer les lois relatives à la monarchie.

L'un des participants a évoqué la loi sur la lèse-majesté (insulte à la royauté), qui a été appliquée pour empêcher les critiques envers la famille royale.

We are sick of this. This has been going on for generations. Why can’t I talk about something in my own country? About something that’s so prevalent for every Thai around here?

Nous en avons assez. Cela dure depuis des générations. Pourquoi n'ai-je pas le droit de parler de certains sujets dans mon propre pays ? D'un sujet qui concerne tous les Thaïlandais d'ici ?

Anon Nampa, figure emblématique de cette manifestation est déguisé en Harry Potter, il enfourche un balai « liberté d'expression » narguant le Premier ministre thaïlandais et fait le signe des trois doigts de la saga Hunger Games. Le Premier ministre quant à lui est mécontent, il se trouve dans un avion de chasse portant l'inscription « le dictateur “démocratique” » ainsi que le nom de Wanchalearm, un défenseur des droits humains disparu le 4 juin 2020. On retrouve également sur l'avion le symbole des trois doigts et le drapeau thaïlandais.

Dans le tweet ci-dessus, le militant déguisé en Harry Potter est Anon Nampa, qui a été arrêté par la police pour son rôle dans le mouvement de résistance. Le pilote de l'avion de chasse représente le Premier ministre.

Le salut à trois doigts

Depuis 2014, les manifestant·e·s thaïlandais·es ont repris le salut à trois doigts de la célèbre série de films Hunger Games comme symbole de résistance à la junte militaire.

Les étudiant·e·s ont continué à utiliser ce signe cette année pour réclamer des réformes démocratiques.

Nombre d'entre eux ont affiché ce signe pendant que l'hymne national était diffusé dans leurs écoles. Elles et ils arborent également un ruban blanc sur leurs bras pour protester contre la disparition forcée de certain·e·s militant·e·s.

Le 20 août, environ 500 étudiant·e·s se sont rendu·e·s au ministère de l'Éducation pour protester contre l'interdiction d'expression politique dans certaines écoles, en particulier l'utilisation du salut à trois doigts lors d'activités se déroulant sur le campus. Les étudiant·e·s ont défendu leur droit d'exprimer leurs opinions sur la situation dans le pays.

Arrestation des leaders du mouvement

Plusieurs leaders du mouvement ont été arrêtés [fr] le lendemain du grand rassemblement du 16 août à Bangkok, et accusés de sédition, de rassemblement illégal et de violation du décret d'urgence en rapport avec leur participation aux rassemblements du mois dernier.

Le Bangkok Post a publié un éditorial condamnant ces arrestations :

By all means, the July 18 rally was a peaceful demonstration. Arresting these people for their pro-democracy activities raises the question of whether the crackdown was against the principles of free speech endorsed by the kingdom's constitution.

More importantly, police who are handling their cases must tread carefully. Since it's apparent those arrested have no intention of escaping the law, any harsh action will cause unnecessary anguish.

Le rassemblement du 18 juillet était une manifestation pacifique. L'arrestation de ces personnes pour leurs activités pro-démocratiques soulève la question de savoir si la répression était contraire aux principes de la liberté d'expression approuvés par la constitution du royaume.

Plus important encore, les policiers qui s'occupent de ces affaires doivent faire preuve de prudence. Dans la mesure où il est évident que les personnes arrêtées n'ont pas l'intention d'échapper à la loi, toute mesure sévère provoquera une inquiétude injustifiée.

Un autre éditorial publié par le Bangkok Post prône la tolérance à l'égard de l'activisme étudiant :

The youth-led anti-government rallies are certainly testing the limits of society on many levels. Coupled with the Covid-19 crisis and economic challenges, the situation calls for inclusiveness and tolerance as we learn how to move forward together despite differing views.

Students expressing their political standpoint in schools may be an unprecedented phenomenon, but it's nothing to be feared.

Les rassemblements antigouvernementaux menés par la jeunesse testent assurément les limites de la société à de nombreux niveaux. Associée à la crise du Covid-19 et aux défis économiques, cette situation appelle à l'intégration et à la tolérance, car nous apprenons à avancer ensemble malgré les divergences d'opinions.

L'expression du point de vue politique des élèves dans les écoles est peut-être un phénomène sans précédent, cependant il n'y a rien à en redouter.

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