- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Face à Bolsonaro, la résurgence des mouvements antifascistes au Brésil

Catégories: Amérique latine, Brésil, Cyber-activisme, Droits humains, Manifestations, Médias citoyens, Politique
Un manifestant brésilien en masque et lunettes de soleil brandit une pancarte réclamant la démilitarisation du gouvernement.

Manifestation antifasciste à Porto Alegre. Sur la pancarte : “Démocratie non négociable. Démilitarisation du gouvernement !” Photo de Maia Rubinm pour Benedictas Fotocoletivo, sous licence CC BY-NC 2.0. [1]

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Chaque fois que Leandro Bergamin se rend à une manifestation, il s'assure de ne jamais sortir sans masque ni gel hydroalcoolique. Il prend généralement le métro et le bus, mais fait son possible pour rester à distance des autres. « Il y a urgence avec la pandémie, mais aussi avec le combat pour la défense de nos droits essentiels » a-t-il déclaré lors d'un entretien avec Global Voices sur WhatsApp.

M. Bergamin a rejoint l'une des organisations antifascistes les plus célèbres de São Paulo : le Corinthians Democracy Collective [2][pt] [collectif corinthien pour la démocratie], inspiré des supporters du plus grand club de sport [2][pt] du Brésil.

Au Brésil, les groupes de supporters de football, tout comme les autres mouvements du pays affiliés à l'antifascisme, s'engagent traditionnellement en faveur des droits humains et de la démocratie. En 2020, ils se sont imposés comme un contre-mouvement en réaction aux manifestations pro-Bolsonaro de plus en plus nombreuses [3][pt]. À propos des liens entre antifascisme et football, M. Bergamin explique :

Le football a toujours été concerné par les questions de lutte des classes et de régionalisme. Pour exister, le football dépend de la politique, et la politique dépend du football.

Le 31 mai s'est tenue à São Paulo l'une des plus importantes manifestations antifascistes de l'année. Selon Leandro Bergamin, les manifestants étaient particulièrement remontés contre « le manque de sérieux dans la gestion du pays » pendant la pandémie. Ils critiquaient également le virage autoritaire [4] du gouvernement Bolsonaro.

Le président Jair Bolsonaro fait preuve de tendances autoritaires [5] depuis le début de sa carrière politique il y a 30 ans. De nombreux observateurs  [6][pt] voient en son ascension au sommet de l'État la concrétisation de ses talents de canalisateur de la colère collective et individuelle, grâce à laquelle sa volonté de renforcer la présence de l'armée  [7][pt] dans tout le pays a été massivement soutenue. Il a également apporté son soutien au lobby pro-armes à feu [8], encouragé les exécutions par la police [9] et défendu [10] les incendies en Amazonie au profit de l'industrie agroalimentaire.

Depuis que la pandémie de Covid-19 s'est abattue sur le Brésil, il minimise [11] régulièrement l'importance de la pandémie et participe [12] à des manifestations en faveur de la suppression de la Cour suprême. Même après avoir été déclaré positif au virus, il a malgré tout fait des apparitions en public sans aucun équipement sanitaire [13][pt]. On l'accuse d’utiliser la pandémie [14] pour démanteler les réglementations environnementales, d'être impliqué dans des affaires de corruption [15] et de favoriser [16] le génocide des peuples autochtones. Il s'en est pris verbalement aux médias [17] et a publiquement encouragé [18] les actes de violence contre l'opposition.

Un manifestant antifascite au Brésil brandit une pancarte de protestation contre le président Bolsonaro.

Porto Alegre, 14 juin, un manifestant brandit une pancarte : “Pour monde avec plus de Marielle Franco [et d’] Angela Davis [et] moins d'Hitler [et de] Bolsonaro.” Sur son masque est écrit “Bolsonaro DEHORS.” Photo de Maia Rubinm pour Benedictas Fotocoletivo, sous licence CC BY-NC 2.0. [1]

Selon Ângela Meirelles de Oliveira, historienne spécialiste de l'antifascisme brésilien, la présence d'un mouvement antifasciste dans le microcosme footballistique atteste d'une diversité des groupes antifascistes bien plus importante qu'auparavant. Quelques organisations structurées sont soutenues par une large base hétéroclite composée d'ouvriers comme de cadres, de différentes classes sociales et de différentes professions.

Les groupes antifascistes sont apparus en Amérique latine au cours des années 1930, soit une décennie après leurs homologues européens [19], pour combattre les mouvements fascistes de la région, « très nombreux à l'époque », a expliqué Mme de Oliveira dans un e-mail à Global Voices. Il y avait par exemple l’Intégralisme brésilien [20] et la Légion civique argentine [21]. Ils luttaient également contre l'expansion du nazisme [22] [pt] au sein des communautés d'origine allemande en Amérique Latine.

Hier comme aujourd'hui, les détracteurs de l'antifascisme au Brésil nient l'existence du fascisme dans le pays et considèrent ainsi ce mouvement comme du « militantisme inutile », d'après Mme de Oliveira. Elle ajoute :

D'un côté, [il y a] ceux qui considéraient les sympathisants de l'antifascisme comme de vulgaires marionnettes aux mains du “militantisme organisé”. De l'autre, [ceux qui les considéraient comme] des défenseurs d'une cause inutile puisque [pour eux] le fascisme n'avait jamais existé au Brésil.

En 2020, le mouvement est moins organisé, peu structuré et plus hétéroclite. « Le combat a également été étendu à d'autres facettes de l'oppression, telles que le racisme, l'homophobie, la misogynie et la xénophobie » a-t-elle ajouté.

Aujourd'hui, l'antifascisme est également présent en ligne. En mai, les Brésiliens qui n'ont pu descendre dans la rue à cause du Covid-19 ont partagé le drapeau antifasciste sur les réseaux sociaux. De mai à juillet, ce drapeau, symbole anarchiste, communiste et socialiste, est apparu en photo de profil [23][pt] sur Facebook, Twitter, WhatsApp et Instagram. Les utilisateurs ont ajouté leur touche personnelle [24][pt], indiquant être « journaliste », « artiste », « féministe » ou encore « père ».

View this post on Instagram

Várias identidades, mas todas ANTIFASCISTAS!! . #LGBT #lgbtq? #Lgbtqi #Amor #FascismoNão #FascistasNãoPassarão #ForaBolsonaro #BolsonaroGenocida #EleNão #FicaEmCasa [25]

A post shared by Seremos Resistência! [26] (@seremosresistencia) on

[images] Une galerie de drapeaux de différentes communautés queer auxquels est superposé le drapeau noir et blanc antifasciste.

[légende] Plusieurs identités mais toutes ANTIFASCISTES ! #LGBT #lgbtq #lgbtqi #Amour #NonAuFascisme #LesFascistesNePasserontPas #BolsonaroGénocidaire #PasLui (slogan contre Bolsonaro) #RestezChezVous

Hier comme aujourd'hui, les antifascistes et toute personne assimilée au mouvement sont sous pression au Brésil. En juin, une liste de 900 pages de données personnelles a circulé sur Internet [27]. Surnommée « les dossiers antifascistes », elle a dévoilé l’identité de centaines de personnes accusées de faire partie de groupes antifascistes. Ces documents ont prétendument été envoyés à la police pour combattre « le terrorisme ».

D'après Mme de Oliveira, « plus un gouvernement se montre répressif, plus il considère l'opposition comme criminelle. »

Le 24 juin, le média brésilien UOL a pu accéder à des documents du ministère de la Justice qui dressaient la liste  [28][pt] de nouveaux profils considérés comme antifascistes. Au total, 579 fonctionnaires et trois professeurs des universités ont été identifiés comme membres du « mouvement antifasciste ». Le ministère a indiqué agir en toute légalité au nom de « la prévention, la neutralisation et la répression d'actes criminels de nature à menacer l'ordre public, la sécurité des personnes et des infrastructures ».

L'argument le plus souvent opposé aux mouvements antifascistes est celui des pillages et de la destruction des biens privés. Mme de Oliveira rétorque que les antifas (surnom des antifascistes couramment utilisé au Brésil) dénoncent la justification de protection de la propriété privée alors même que l'État violente les personnes racisées issues des milieux modestes. « Pour moi, l'action des antifas est fondamentale car elle permet de demander des comptes au gouvernement » a déclaré la chercheuse.

M. Bergamin ajoute que les organisations antifascistes ne soutiennent pas les manifestations violentes et que, pour lui, elles doivent être pacifiques. « Mais je ne juge pas, parce que pour beaucoup de Brésiliens, la violence est une question de survie. »

Il indique avoir l'intention de manifester davantage à l'avenir. « Je pense que les manifestations vont se multiplier et gagner en importance » conclut-il.