- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

À travers le miroir orientaliste : Interview exclusive avec l'artiste marocaine Lalla Essaydi

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Maroc, Arts et Culture, Femmes et genre, Médias citoyens, Photographie
Une mannequin habillée d'une robe, allongée telle une odalisque sur un lit orné aux tons bleus. La femme a des écritures arabes (mélange de calligraphie et henné) sur le visage, les mains, et les jambes.

Lalla Essaydi, Harem #2, 2009. 180.4 × 223.5 cm.

L’article d'origine [1] a été publié en anglais le 11 juillet 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

L'artiste marocaine Lalla Essaydi, 64 ans, est bien connue pour ses mises en scène photographiques éblouissantes et multidimensionnelles qui, malgré leur simplicité, saisissent magistralement les complexités des structures sociales, de l'identité des femmes, et des traditions culturelles.

Les œuvres de Lalla  [2]Essaydi [2] ont le pouvoir de réinventer les traditions visuelles et d'« évoquer la fascination occidentale pour l'odalisque, le voile, et bien sûr le harem, tels qu'observés dans les tableaux orientalistes ».

« Mon travail traite principalement de l'identité marocaine, mais les symboles visuels tels que le voile, le harem, la décoration ornée, et les couleurs somptueuses résonnent également avec d'autres régions du monde musulman et du monde arabe où la place des femmes a historiquement été marquée par une expression limitée et une individualité contrainte », explique Lalla Essaydi dans une interview accordée à Global Voices.

Après avoir grandi au Maroc, Lalla Essaydi a vécu en Arabie Saoudite [3] [fr] et en France, et est actuellement basée à Boston. Ses œuvres ont entre autres été exposées [4] [fr] au Musée national d'art africain de Washington, à l'Institut d'art de Chicago, au Musée de Frise aux Pays-Bas.

Lalla Essaydi est une poète de l'architecture, du corps féminin et de la couleur. Là où les lettres submergent sa composition, la présence audacieuse des femmes et l'appréhension voilée dans leurs yeux bouleversent toutes les équations de la beauté.

Vous trouverez ci-dessous des extraits de l'interview.

Lalla Essaydi assise devant une de ses oeuvres.

L'artiste marocaine Lalla Essaydi. Photo reproduite avec l'aimable autorisation de l'artiste.

Omid Memarian : Au cours des deux dernières décennies, vous avez créé des œuvres d'art  remarquables qui remettent en question les structures sociales d'un point de vue conceptuel, et proposent un commentaire sur le pouvoir et l'autorité. Comment avez-vous trouvé et développé ce langage visuel ?

Lalla Essaydi: My approach to art in general, and my relation to Islamic art in particular, is deeply rooted in my personal experience. As a Moroccan-born artist who has lived in New York, Boston, and Marrakesh and who travels frequently to the Arab world, I have become deeply aware of how the cultures of the “Orient” and “Occident” view one another. In particular, I have become increasingly aware of the impact of the Western gaze on Arab culture.

Although Orientalism most often suggests a 19th-century European vision of the East, as a set of assumptions it lives on today: both in the gaze of the West and in the way Arab societies continue to internalize and respond to that gaze. In its early form, Orientalism was a literal “vision,” finding expression in the work of Western painters who traveled to the “exotic” East in search of cultures more colorful than their own, I have used it as a point of departure in much of my own work—in both painting and photography.

The imagery I found in Orientalist painting has resonated with me in tricky ways and ultimately helped me situate my own experience in a powerful visual language.

In my photography, I explore this space, whether mental or physical, and interrogate its role in gender identity-making, while engaging with centuries of cultural heritage and artistic practices. For instance, my images of women, embedded in Islamic architecture, recognize and represent an alternative to similar spaces, as imagined for women, in painting and photography, from within the Arab and Muslim worlds. My fusion of calligraphy (a sacred art traditionally reserved for men) and henna (an adornment worn and applied only by women) similarly reproduces artistic traditions and practices common in everyday life in Islamic cultures while transgressing gender roles and the boundaries between private and public spaces.

Lalla Essaydi : Mon approche envers l'art, en général, et ma relation à l'art islamique, en particulier, sont profondément ancrées dans mon expérience personnelle. En tant qu'artiste d'origine marocaine qui a vécu à New York, Boston, et Marrakech, et qui voyage fréquemment dans le monde arabe, j'ai développé une conscience aiguë de la manière dont les cultures « orientales » et « occidentales » se perçoivent mutuellement. Notamment, je suis de plus en plus consciente de l'incidence du regard occidental sur la culture arabe.

Bien que l'orientalisme se réfère souvent à une vision européenne de l'Orient du XIXe siècle, cet ensemble d'idées préconçues est toujours vivace aujourd'hui : à la fois dans le regard de l'Occident et dans la manière dont les sociétés arabes continuent à intérioriser et à répondre à ce regard. Dans sa forme primitive, l'orientalisme était une « vision » littérale, trouvant son expression dans le travail des peintres occidentaux qui ont voyagé dans l'Orient « exotique » à la recherche de cultures plus colorées que les leurs. Je l'ai beaucoup utilisé comme point de départ dans mon propre travail, que ce soit en peinture ou en photographie.

L'imagerie que j'ai trouvée dans la peinture orientaliste m'a profondément interpellée et m'a aidée à définir ma propre expérience à travers un langage visuel puissant.

Ma photographie explore cet espace, mental ou physique, et interroge son rôle dans la construction identitaire de genre, tout en dialoguant avec des siècles d'héritage culturel et de pratiques artistiques. Par exemple, mes photos de femmes incorporées dans l'architecture islamique reconnaissent et représentent une alternative à des espaces similaires, tels qu'imaginés pour les femmes, dans la peinture et la photographie, à partir des mondes arabe et musulman. Ma fusion de la calligraphie (un art sacré traditionnellement réservé aux hommes) et du henné (une parure portée et appliquée uniquement par les femmes) reproduit de la même manière les traditions et pratiques artistiques courantes dans la vie quotidienne des cultures islamiques tout en transgressant les rôles de genre et les frontières entre espaces privés et publics.

Photo en trois parties. On retrouve la même femme que dans la première photo, prise de plus loin, et encadrée par une magnifique architecture islamique dans les tons bleus.

Lalla Essaydi, Harem #1, 2009

OM : Vous êtes née et avez grandi au Maroc. Vous avez passé 19 ans en Arabie saoudite pour ensuite déménager et étudier à Paris. Et enfin, votre destination finale a été les États-Unis, où vous avez vécu et étudié. Comment ce parcours géographique a-t-il impacté votre art, votre perception des femmes, et leur présence dans vos photos ?

LE: My work is inspired by personal history. The many territories that converge in my work are not only geographical ones but territories of the imagination, shaped, above all, by childhood and memory—by these invisible influences. My work cannot be reduced to Orientalist discourse. Orientalism has given me a lens through which to focus on the converging territories of my work and through which to see more clearly the influence of Western imagination in the Eastern ways of conceptualizing the self. At a more personal level, my creative practice is a means through which I can reinvent and position myself in different times and cultural contexts.

At the same time, I also celebrate the cultural richness of Morocco, the Middle East and North African countries. Although I tend to think of my work as, first and foremost, being about the experience of women, I would say that these elements are also significant. They do not happen incidentally but are part of the inherent qualities that I bring to my vision and my work.

LE : Mon travail est inspiré de mon histoire personnelle. Les nombreux territoires qui se rejoignent dans mon travail ne sont pas seulement des territoires géographiques, mais aussi des territoires de l'imaginaire façonnés, avant tout, par l'enfance et les souvenirs – des influences invisibles. Mon travail ne peut pas se réduire à un discours orientaliste. L'orientalisme m'a donné une perspective à travers laquelle je me concentre sur les territoires convergents de mon travail et à travers laquelle je vois plus clairement l'influence de l'imaginaire occidental dans les manières orientales de conceptualiser le « soi ». Plus personnellement, ma démarche de création est un moyen par lequel je peux me réinventer et me positionner dans des époques et des contextes culturels différents.

Parallèlement, je célèbre également la richesse culturelle du Maroc, du Moyen-Orient et des pays d'Afrique du Nord. Même si j'ai tendance à considérer mon travail portant avant tout sur l'expérience des femmes, je dirais que ces éléments sont également significatifs. Ils ne sont pas le produit du hasard mais font partie des qualités inhérentes que j'apporte à ma vision et à mon travail.

Une femme en longue robe de mousseline portant un collier et une ceinture dorés est allongée sur un lit de paillettes dorées. Elle a des écritures arabes sur son visage et sur ses bras.

Lalla Essaydi, Bullets Revisited #37, 2014.

OM : Comment l'obtention d'une licence et d'une maîtrise spécialisées en beaux-arts de l'Université Tufts et de l'École du Musée des beaux-arts a-t-elle contribué à votre carrière et à votre transformation artistique ? Est-ce que vous vous attendiez à cette éducation ?

LE: I enrolled in the Museum School because I wanted to return to Morocco and be able to pursue my hobby with greater knowledge and skill. Instead, I found my life’s work.

I learned that some of the most important things in our lives happen unexpectedly. We take a class in painting and discover an entire new world at our fingertips: waiting to be grasped. We take a class in painting and find art history, and installation, photography and so much more. We look for a glass of water and find an ocean, calling to us. And we answer the call.

I never dreamed I would spend seven years in this environment, immersing myself in everything the School had to offer, and learning more than I had ever imagined was possible.

This was, and is, a school of artists, designed by and for artists: where students are free to choose what they want to learn. It only offers elective modules, and there are no mandatory classes. When we realize the riches that are available, we want to absorb everything.

At first I was overwhelmed. I was one of those students who roamed the corridors of the School late at night, peering into the empty rooms, with their silent trappings of whatever medium was taught there.

Eventually, the School taught me a second lesson. With all these opportunities and this great array of artistic riches, with this enormous freedom to choose, comes responsibility.

Responsibility first means discipline, and setting priorities, followed by learning new skills and techniques. And then comes self-direction, as we learn and understand new ways of thinking about art, and the ambition to do something important with our lives.

My career offered me something else, something I did not expect. This very public environment offered me a private space, something I had never had at home. It offered me a space where I was free to express my thoughts in private, without the inhibiting knowledge that they were available for all to see. This enabled me to explore and bring to the fore aspects of my own interior life I hadn’t even known were there.

While I knew that creating art is an intensely personal experience, I also learned that it happens only with the help of a lot of gifted and dedicated people: people who teach and guide, people who encourage and nurture, people who inspire you to keep reaching to create what is excellent and beautiful and true. You can tell, I loved the School.

LE : Je me suis inscrite à l'École du Musée car je voulais retourner au Maroc et être en mesure de continuer ma passion avec de meilleures connaissances et compétences. Au lieu de cela, j'ai trouvé ma vocation.

J'ai appris que les choses les plus importantes dans la vie arrivent souvent de manière inattendue. Par exemple, on prend des leçons de peinture et on découvre un tout nouveau monde à portée de main qui n'attend plus qu'à être saisi. On prend un cours de peinture et on découvre l'histoire de l'art, l'installation, la photographie, et bien plus encore. On cherche un verre d'eau, mais au lieu de ça on trouve un océan qui nous appelle, et on lui répond.  

Je n'aurai jamais cru que j'allais passer sept ans de ma vie dans cet environnement. Pouvoir m'immerger dans tout ce que l'école avait à m'offrir et pouvoir apprendre autant de choses, tout cela paraissait inimaginable.

Cette école était et est toujours aujourd'hui une école d'artistes, conçue par des artistes pour les artistes. Les étudiants peuvent choisir leurs cours librement. Les modules sont au choix, et il n'y a pas de classes obligatoires. Quand on se rend compte de la richesse de savoirs disponible, ça nous donne envie de tout assimiler.

Au début, j'étais submergée. J'étais l'une de ces étudiantes qui parcouraient les couloirs de l'école tard dans la nuit, scrutant les pièces vides où se trouvaient les signes silencieux des sujets enseignés en ces lieux.

Finalement, l'école m'a donné une deuxième leçon. Toutes ces opportunités, cette grande panoplie de richesses artistiques, cette impressionnante liberté de choix, impliquent une responsabilité.

La responsabilité se traduit d'abord par la discipline et par l'établissement de priorités, puis par l'apprentissage de nouvelles compétences et techniques. Ensuite vient l'apprentissage en autonomie, lorsqu'on commence à apprendre et à comprendre de nouvelles façons de penser l'art, et l'ambition de faire quelque chose d'important de nos vies.

Ma carrière m'a offert quelque chose d'autre, quelque chose d'inattendu. Cet environnement public m'a offert un espace privé, quelque chose que je n'ai jamais connu chez moi. Il m'a offert un espace où j'avais la liberté d'exprimer mes pensées en privé, sans être freinée par le fait de savoir qu'elles étaient disponibles à la vue de tous. Cela m'a permis d'explorer et de mettre en évidence des aspects de ma propre vie intérieure dont je ne connaissais même pas l'existence.

Même si je savais que la création d'art est une expérience très personnelle, j'ai aussi appris que cela n'arrive qu'avec l'aide de beaucoup de personnes talentueuses et dévouées : des personnes qui enseignent et guident, des personnes qui encouragent et nourrissent, des personnes qui vous inspirent à continuer à créer ce qui est excellent, beau, et vrai. J'ai beaucoup aimé cette école.

Une femme vêtue d'un drap et d'un voile est allongée dans un lit, tournée de dos, telle une Grande Odalisque. Il y a des écritures arabes partout sur l'image. La photo est dans les tons beiges.

Lalla Essaydi. Les Femmes du Maroc : La Grande Odalisque, 2008

OM : Les femmes et leur espace privé dans le monde arabe sont au centre de votre collection « Harem » et d'autres œuvres. D'où viennent cette curiosité et ce centre d'intérêt, et comment cela a-t-il changé avec le temps ?

LE: My work reaches beyond Islamic culture as it also invokes the Western fascination with the odalisque, the veil, and, of course, the harem as it is expressed in Orientalist painting. Orientalism has long been a source of fascination for me. My background in art is in painting, and it is as a painter that I began my investigation into Orientalism. My study led me to a much deeper understanding of the painting space so beautifully addressed by Orientalist painters in thrall to Arab décor. From its terrific prominence in these paintings, this décor made me keenly aware of the importance of interior space in Arab/Islamic culture. And finally, of course, I became aware of the patterns of cultural domination and predatory sexual fantasy encoded in Orientalist painting.

LE : Mon travail va au-delà de la culture islamique. Il invoque également la fascination de l'Occident pour l'odalisque, le voile, et bien sûr, le harem tel qu'exposé dans les tableaux orientalistes. L'orientalisme a longtemps été une source de fascination pour moi. J'ai une formation artistique dans le domaine de la peinture et c'est en tant que peintre que j'ai commencé mon exploration de l'orientalisme. Mon étude m'a conduite à une compréhension beaucoup plus profonde de l'espace de peinture merveilleusement abordé par les peintres orientalistes, esclaves du décor arabe. De par sa prédominance dans ces peintures, ce décor m'a fait prendre pleinement conscience de l'importance de l'espace intérieur dans la culture arabo-islamique. Et finalement, bien sûr, j'ai pris conscience des modèles de domination culturelle et des fantasmes sexuels prédateurs encodés dans la peinture orientaliste.

OM : Vos œuvres d'art incorporent plusieurs couches. À l'extérieur, on trouve une couche magnifique et colorée. Et puis, on est attiré par des couches qui mélangent calligraphie, henné, céramique, et mannequins. Ces derniers reposent à la lisière du cliché, mais ils créent également un labyrinthe visuel vivant et mystique. Comment négociez-vous cet équilibre fragile ?

LE: It is important for me that my work be beautiful. While it is received very differently in Western and Arab contexts, its aesthetic is appreciated in both. More critical for me, however, is that the photographs achieve a balance between their political, historical and aesthetic content, as well as make a statement on art.

But the fact that I have sometimes been critiqued for, on the one hand, perpetuating expectations and stereotypes rather than refuting them and, on the other, for exposing that which should remain private, indicates that responses to my work are highly subjective, context-specific and likely culturally informed. Tempered by the ambiguity of the work’s literal meaning, perhaps defaulting to the most accessible and intuitive reaction: perception of the stereotype. Nevertheless, with deliberate subtlety, my work introduces alternative, challenging perspectives on canonical 19th-century Orientalist paintings. As a female artist from the regions depicted, mine is an historically repressed voice that “complicates any neat framing of the canon.” Drawing on similar visual devices, I try to engage it in an unfamiliar and uncomfortable dialogue, and re-situates the Orientalist genre in the history of art.
Harem Revisited #34, 2012

LE : Il m'importe que mes œuvres soient belles. Alors qu'elles sont reçues de manière très différente dans les contextes occidentaux et arabes, leur esthétique est toujours appréciée. En revanche, il est encore plus essentiel pour moi que les contenus politiques, historiques, et esthétiques des photos soient bien équilibrés, et que celles-ci reflètent une position artistique.

Cependant, le fait que j'aie parfois été critiquée, d'une part pour avoir perpétué des attentes et des stéréotypes plutôt que de les avoir niés, et d'autre part pour avoir exposé ce qui devait rester privé, indique que la réception de mon travail est hautement subjective, contextuelle, et probablement située culturellement. Tempérées par l'ambiguïté du sens littéral de l'œuvre, peut-être par défaut à la réaction la plus accessible et la plus intuitive : la perception du stéréotype. Néanmoins, avec une subtilité délibérée, mon travail introduit des perspectives alternatives et stimulantes sur les peintures orientalistes canoniques du XIXe siècle. En tant que femme artiste originaire des régions représentées, ma voix est de celles qui ont été historiquement réprimées, une voix qui « complique tout cadrage soigné du canon ». En m'appuyant sur des dispositifs visuels similaires, j'essaye de l'engager dans un dialogue inconnu et inconfortable, et de re-situer le genre orientaliste dans l'histoire de l'art.

Photo horizontale, colorée, en 3 parties, d'une femme habillée et allongée dans un lit orné. Sur les parties dévoilées de son corps apparaissent des écritures arabes.

Lalla Essaydi, Harem Revisited #34, 2012.

OM : Dans une interview de 2012, vous avez déclaré que vos mannequins « se considèrent comme faisant partie d'un petit mouvement féministe ». Tandis que la « liberté » est l'une de vos préoccupations principales, et que beaucoup de vos travaux semblent restituer les traditions, comment cette formule contradictoire peut-elle avoir un effet si libérateur ?

LE: My work may seem to “reconstruct traditions,” but in fact I am trying to create a new understanding.

The liberating result comes because in many ways, performance is an intrinsic element of my photographs, evident in the figures’ careful composition, in the physical act of writing and, more importantly, in the intensity of the sitters’ embodied presence that also renders them subjects rather than objects.

Through writing, I lay bare personal thoughts, memory, and experiences that belong to me and the women featured as individuals within a broader narrative. Though my work speaks primarily in terms of Moroccan identity, visual identifiers such as the veil, harem, ornate ornamentation, and sumptuous color also resonate with other regions in the Muslim and Arabic worlds where the place of women has historically been marked by limited expression and constrained individuality.

While my work evokes the region’s traditional aesthetics and social practices, I insert a dimension that complicates them: a personal narrative that takes form in the written word. In volumes upon volumes of text, these women voice critical reflections on and interrogations of memories, all captured within the space of my photographs. At the same time, I write about historical representations of Moroccan, Arabic, Muslim, and African women. To understand my work, then, one must examine long-standing preconceptions held by diverse peoples over time, as well as by myself.

LE : Peut-être que mon travail donne l'impression de « restituer les traditions », mais à vrai dire, j'essaye de créer une nouvelle vision.

Il y a un résultat libérateur car, à bien des égards, la performance est un élément intrinsèque de mes photographies, évident dans l'agencement soigné des silhouettes, dans l'acte physique d'écrire et, plus important encore, dans l'intensité de la présence incarnée par les modèles qui les rendent vivantes.

Par l'écriture, je dévoile les pensées personnelles, la mémoire et les expériences qui m'appartiennent à moi et aux femmes présentées en tant qu'individus dans un récit plus large. Bien que mon travail expose avant tout de l'identité marocaine, les symboles visuels tels que le voile, le harem, l'ornementation et les couleurs somptueuses résonnent également avec d'autres régions des mondes musulman et arabe où la place des femmes a été historiquement marquée par une expression limitée et une individualité contrainte.

Tandis que mon travail évoque l’esthétique et les pratiques sociales traditionnelles de la région, j’introduis une dimension qui les complique : un récit personnel qui prend forme dans l’écrit. Dans de nombreux textes, ces femmes expriment des réflexions critiques et des interrogations sur les souvenirs, le tout capturé dans l'espace de mes photographies. En même temps, j'écris sur les représentations historiques des femmes marocaines, arabes, musulmanes et africaines. Pour comprendre mon travail, il faut donc examiner les préjugés nourris de longue date par divers peuples, au fil du temps, ainsi que par moi-même.

Exposition artistique de la collection Bullets de Lalla Essaydi dans la galerie d'art Jackson Fine Art.

Lalla Essaydi, Bullets, Jackson Fine Art. [5] 3 février – 15 avril 2017.