Hong Kong : la police accusée de réécrire l'histoire pour opprimer la dissidence politique

On distingue des personnes, paniquées, au bas d'un escalier, prises à partie par d'autres personnes. Ces dernières sont vêtues d'un t-shirt blanc, pantalon noir et d'un masque de protection faciale, et elles sont armées de bâtons. Les personnes sur l'escalateur essaient de leur échapper et sont serrées les unes contre les autres. Il y a des cris de peur. Certaines portent un parapluie ouvert, signe qu'elles ont participé à une manifestation. Elles se trouvent à l'intérieur d'une station de gare. Un parapluie est tombé sur le sol.

Une foule a pris d'assaut la station de métro de Yuen Long, le 21 juillet 2019. Copie d'écran d'une vidéo virale sur Twitter [zh].

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Lam Cheuk-ting, législateur de Hong Kong, a été interpellé le 26 août, avec 12 autres personnes, dans le cadre d'une affaire relative à une émeute, survenue le 21 juillet 2019, dans une station de métro de banlieue de la ville.

Chan Tin-chu, commissaire de police, a déclaré aux journalistes, au cours d'un point de presse le 26 août, que cet incident ressemblait à une « confrontation entre des rivaux de même calibre », à savoir des manifestant⸱e⸱s en blanc et d'autres en noir. Cette analyse contredit l'opinion, largement partagée, selon laquelle l'incident serait en réalité une attaque de passagers du métro et de personnes vêtues de noir, couleur associée aux manifestations antigouvernementales. Cette attaque aurait été perpétrée par un groupe de personnes, vêtues de blanc, adhérant aux vues officielles du gouvernement.

Les attaques collectives du métro de Yuen Long [fr], en juillet 2019, constituent l'un des événements les plus marquants ayant secoué le territoire, dans le cadre des manifestations contre la loi sur l'extradition vers la Chine en 2019. L'absence de la police lors de ces attaques a ébranlé la crédibilité des forces de l'ordre, et a finalement radicalisé les manifestants, lesquels en ont conclu que la police était de connivence avec les attaquants vêtus de blanc.

Alors que de nombreuses vidéos et reportages en direct de la scène de l'attaque démontrent que plus d'une centaine de personnes, vêtues de blanc et armées, ont agressé, sans distinction, aussi bien des passagers du métro que des manifestant⸱e⸱s de retour d'un grand rassemblement sur l'île de Hong Kong, le commissaire principal reprochait à ces reportages d'être partisans et tendancieux.

Responsabilité de la police de Hong Kong lors de cette attaque massive

Néanmoins, une chronologie reconstituée par la chaîne de télévision et de radiodiffusion hongkongaise Radio Television Hong Kong (RTHK), a révélé que la police de Yuen Long avait fermé les yeux sur l'attaque annoncée :

[description vidéo]
Le film de presque 22 minutes est un reportage de Hong Kong Connection. Il dévoile le cours des évènements, survenus dans la gare de Yuen Long, grâce aux caméras de surveillance de la ville, à l'extérieur, et également à l'intérieur de la station. Il y a des interviews et des témoignages floutés.

Reprenant les images des caméras de surveillance ainsi que les témoignages d'un conseiller du district de Yuen Long, et de diverses victimes de l'attaque, le reportage de la RTHK a montré que la police avait été informée du projet d'attaque avant le 21 juillet. Alors qu'une centaine d'hommes en blanc avaient commencé à se regrouper devant la station de Yuen Long, dès 18h00, et agressé un restaurateur vers 21h45, la police de Yuen Long n'a rien fait pour disperser la foule.

Ce n'est qu'à 23h20 que quarante policiers anti-émeute se sont déployés dans la gare, alors que le groupe des hommes en blanc était déjà reparti. À 00h27, alors que la police quittait le commissariat, les agresseurs ont fait une nouvelle incursion dans la station et a tabassé des civils, de manière aléatoire, au moyen de tiges métalliques. Les hommes en blanc se sont ensuite repliés dans un village voisin, mais là non plus, la police n'a pris aucune mesure pour appréhender ces personnes.

Cependant, Chan Tin-chu a souligné la promptitude avec laquelle la police avait répondu aux appels d'urgence, dans un délai de 18 minutes. Sa déclaration contredit les rapports de police précédents, selon lesquels l'unité de police aurait attendu 39 minutes pour intervenir.

Chan Tin-chu a également rejeté l'allégation de collusion entre les triades (mafia chinoise) et la police au sujet de l'attaque :

Aujourd'hui, les forces de police de Hong Kong affirment qu'un agent anti-émeute a “bousculé” un homme en chemise blanche, au lieu de lui “taper sur l'épaule”, à Yuen Long, au petit matin à la suite de l'attaque collective du 21 juillet. Laissons l'image parler d'elle-même. (voix en fond sonore du commandant adjoint du district concerné, Yau Nai-keung)
– Jimmy Choi (@jimcyf) 26 août 2020

[description vidéo]
Un petit groupe de personnes avec un t-shirt blanc et masque de protection faciale, casquées, armées s'avancent d'un pas ferme vers une place. Deux policiers anti-émeute vont à leur rencontre, discutent puis les invitent calmement à faire marche arrière. La scène se passe de nuit. On peut voir plusieurs autres personnes en arrière-plan.

De victime à émeutier

La version des services de police réfute la responsabilité des autorités dans cette attaque, et cette dernière sert désormais de prétexte pour réprimer la dissidence politique, comme l'a souligné Ray Chan, autre législateur pro-démocratie :

Les forces de police sont désormais ouvertement devenues le ministère de la Vérité dans la propagation de mensonges visant à atteindre les objectifs politiques de diffamation des banlieusards et des législateurs impliqués dans #YuenLongDarkNight (la nuit noire de Yuen Long) et à préserver leur tristement célèbre réputation, la pègre de YuenLong (mafia de Yuen Long et les émeutiers au bâton).
– Ray Chan (@ray_slowbeat) 26 août 2020

Le responsable de la police, Chan Tin-chu, a par ailleurs accusé Lam Cheuk Ting d'incitation à la violence, lors du point de presse, sans plus d'explications.

D'après l'enregistrement vidéo de Lam Cheuk Ting réalisé le 21 juillet, lorsqu'il est entré dans la station de métro Yuen Long vers 22h45, une femme avait déjà été blessée par des hommes en blanc à l'intérieur de la station. Il s'est alors dirigé vers les portes et a prévenu le groupe violent de l'arrivée imminente de la police. Après cela, les hommes en blanc ont enjambé les portillons de la station, et a déboulé dans les zones des quais.

[description vidéo]
La vidéo de 34 minutes montre dans un premier temps des traces de sang laissées sur le sol
après l'assaut d'une foule de personnes en blanc, déchaînées. Un homme se fait tabasser par plusieurs individus en blanc. Tout le film se déroule à l'intérieur de la gare. Des personnes tentent de se défendre avec un jet d'eau pour éloigner les agresseurs. Puis elles se réfugient dans une rame de métro où elle sont prises au piège et attaquées par ces jeunes hommes en t-shirt blanc. On entend des cris de peur et d'angoisse. Les personnes se font taper dessus à l'aide de bâtons. Il y a du sang sur le sol de la rame. À la fin de la video, il y a plusieurs plans d'un homme blessé, assis dans la rame du métro.

Une autre personne a saisi cet instant : Gwyneth Ho, journaliste pour Stand News, filmait et diffusait un reportage en direct lorsque des hommes, vêtus de blanc, ont envahi la zone des portes du métro. Elle a ensuite été brutalisée par un homme vêtu de rose. Plutôt que de condamner l'agresseur, la police a contesté [zh] la présence de Gwyneth Ho, accusant sa diffusion en direct « partiale » de contribuer à l'escalade des conflits, et suggérant que « faire une émission en direct n'est pas exempt d'infractions pénales » :

Les autorités de Hong-Kong ont précisé que les images, filmées en direct, des attaques de Yuen Long, du 21 juillet, étaient déformées et tendancieuses.
Voyez par vous-même les images de la journaliste Kwai Lam Ho, de Stand News, qui a été rouée de coups et blessée.
La police a également déclaré qu'il n'y avait pas eu d'attaque systématique et que les deux camps étaient identiques. Attention, la vidéo contient des grossièretés.

- Frances Sit (@frances_sit) 26 août 2020

[description video]
Une journaliste filme les évènements à l'intérieur du métro, de la gare de Yuen Long, dans le cadre de son émission. Elle est prise à partie par des individus et se fait tabasser. Elle essaie de se défendre et elle crie. On entend des cris de panique de toutes parts.

Aux alentours de 23h10, soit dix minutes avant l'arrivée de la police dans la gare de Yuen Long, Lam Cheuk Ting a été lui-même frappé et blessé lorsque le groupe en blanc a fait irruption sur les quais du métro. Bien que victime de l'attaque, il est désormais présenté comme un émeutier par la police. Lo Kin-hei, vice-président du parti démocratique, a souligné l'absurdité de son arrestation :

C'est @cheuktinglam le 7.21 (21 juillet).
Il a appelé la police avant de prendre la direction de Yuen Long.
La police n'est pas venue.
Il a été agressé dans la gare de Yuen Long.
La police ne s'est pas déplacée.
Il s'est ensuite présenté à la police.
La police l'a ignoré.
Maintenant, la police l'arrête pour sa participation à l'émeute.
– LO Kin-hei 羅健熙 (@lokinhei) 26 août 2020

[image]
Sur deux plans, on voit un homme assis à l'intérieur d'une rame de métro, il est blessé au visage. Il saigne de la bouche. Quelques personne sont auprès de lui.

Les partisans de la démocratie ont tenu une conférence de presse commune, dénonçant la police, coupable d'avoir réécrit l'histoire de cette agression collective.

Wu Chi-wai, président de @HKDemocrats (Démocrates de Hong Kong), a reproché à la police de “réécrire l'histoire” de l'agression du 21 juillet dans la station de Yuen Long.
Il a affirmé que cet incident prouvait que le gouvernement et la police de Hong Kong étaient “impuissants”. Il appelle également les habitants de Hong Kong à revêtir demain des vêtements noirs en signe de protestation.
– Eric Cheung (@EricCheungwc) 26 août 2020

Dans un État où les autorités sont si obnubilées par le contrôle de la « vérité », la mémoire du peuple constituera la principale référence pour obtenir justice, comme l'a souligné l'avocate spécialiste des droits humains, Sharon Hom :

La justice ne sera pas anéantie éternellement à Hong Kong. Notre responsabilité est de nous souvenir, de conserver les preuves et de témoigner.
– Sharon Hom (@sharonhom888) 27 août 2020

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