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Brésil : des opposants à l'avortement dévoilent sur internet des informations sur une fillette, victime de viol

Catégories: Amérique latine, Brésil, Droits humains, Femmes et genre, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Religion, Santé
7 jeunes femmes se tiennent devant l'objectif de la caméra. Elles portent toutes un masque de protection faciale, et tiennent des affiches avec des messages en faveur de l'avortement.

Manifestation pour les droits des femmes devant l'hôpital de Recife, dans l'État du Pernambuco. Photographie de Denilson Cadete, utilisée avec son autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en portugais, ndlt.]

Mi-août, une enfant de 10 ans, victime de viol, était au centre d'un débat sur le droit à l'avortement au Brésil, après que son nom et l'emplacement de l'hôpital dans lequel elle devait subir un avortement légal, ont été révélés sur les médias sociaux.

Cette petite fille s'est présentée, le 7 août, à l'hôpital local de São Mateus [1] [en], dans l'État brésilien d'Espírito Santo, souffrant de douleurs abdominales. Des tests ont alors attesté [2] de sa grossesse. Une semaine plus tard, la Cour de justice d'Espirito Santo a autorisé [3] une interruption de grossesse, celle-ci étant imputée à un viol.

L'article 128 du code pénal [4] brésilien, établi en 1940, prévoit des exceptions telles que « l'avortement nécessaire » et «l'avortement en cas de grossesse résultant d'un viol », autorisant les interruptions de grossesse par un médecin, sans craindre de sanction. Une décision de la Cour fédérale autorise également l'avortement en cas d’anencéphalie [5] du fœtus [fr].

Selon la fillette elle-même [6], son oncle a commencé à la violer, à l'âge de six ans, et l'a menacée pour qu'elle se taise. Le suspect, âgé de 33 ans, a été accusé de viol par la police civile d'État [7], et placé en état d’arrestation [8] le 18 août.

En raison de la grossesse avancée de la fillette, l'hôpital de Vitoria, situé dans la capitale d'Espirito Santo, a indiqué qu'il n'avait pas la compétence technique [9] pour procéder à l'avortement et la petite fille a alors été transférée à Recife, dans l'État du Pernambuco, au nord-est du pays, à environ 1 600 kilomètres de là. Entre les 16 et 17 août [10], une fausse couche a été provoquée à l'hôpital CISAM-UPE, spécialisé dans les grossesses à haut risque et l'assistance aux femmes. Au Brésil, seules 42 cliniques traitent actuellement ce type de cas, selon la carte de l'avortement légal [11].

En dépit des efforts déployés par les autorités pour garantir que la procédure légale d'avortement [12] se passe dans le secret, la militante d'extrême droite et pro-Bolsonaro, Sara Giromini [13] (connue aussi sous le nom de Sara Winter), a divulgué [14] le nom de la fillette et l'adresse de l'hôpital sur les médias sociaux. Cela a conduit une foule de manifestants anti-avortement à se regrouper devant l'hôpital.

Le 16 août, un juge a donné [15] 24 heures à Google (YouTube), Facebook et Twitter pour retirer les contenus potentiellement préjudiciables à la fillette de 10 ans en question. Le 19 août, Twitter a annoncé la suspension [16] du compte de sauvegarde de Sara Giromini.

En dépit des affirmations de Sara Giromini, selon lesquelles les informations concernant l'enfant avaient déjà été partagées [17] en ligne, le parquet lui réclame 1,3 million de reals brésiliens [18] (environ 230 000 dollars US) à titre de dommages et intérêts punitifs.

Sara Giromoni a travaillé [19], jusqu'à la fin de l'année 2019 [20], au sein du ministère des Femmes, de la Famille et des Droits humains, au sein du gouvernement Bolsonaro, sous la direction de Damares Alves. Damares Alves, qui est également pasteur évangélique [21], a suivi de près l'affaire de l'enfant, et a dépêché des représentants [22] à Espírito Santo, pour en apprendre davantage sur les investigations. Le ministère a démenti avoir divulgué [23] des informations sur la fillette. Selon un reportage du journaliste Allan de Abreu [22], après une visite de l'équipe du ministère à São Mateus, les militants anti-avortement se sont rendus chez la fillette de 10 ans dans le but de faire pression sur sa grand-mère afin que celle-ci empêche l'avortement :

Após a viagem da equipe do ministério e do deputado estadual a São Mateus, a casa onde a menina morava com a avó virou destino de uma romaria de católicos, evangélicos e políticos bolsonaristas, todos antiaborto. Pressionavam a avó para que ela convencesse a neta a ter a criança.

Après le déplacement à São Mateus de l'équipe du ministère et d'un député de l'assemblée de l'État, la maison où vivait la fillette avec sa grand-mère s'est transformée en un lieu de pèlerinage pour les catholiques, les évangélistes et les politiciens pro-Bolsonaro, tous opposés à l'avortement. Ils ont fait pression sur la grand-mère pour qu'elle persuade sa petite-fille de garder l'enfant.

Walmor Oliveira de Azevedo, président de la Conférence nationale des évêques du Brésil, a considéré l'interruption de la grossesse de la fillette de dix ans comme un « crime odieux [24] ». Sur les médias sociaux, il a fait passer un message disant :

A violência sexual é terrível, mas a violência do aborto não se justifica, diante de todos os recursos existentes e colocados à disposição para garantir a vida das duas crianças. As omissões, o silêncio e as vozes que se levantam a favor de tamanha violência exigem uma profunda reflexão sobre a concepção de ser humano.

La violence sexuelle est épouvantable, certes, mais la violence de l'avortement ne la justifie pas, au regard de toutes les ressources existantes disponibles pour sauver la vie des deux enfants. Les négligences, le silence et les appels en faveur de cette violence nécessitent une réflexion approfondie sur la conception de l'être humain.

Compte tenu de la portée d'une grossesse non désirée sur la santé – tant physique que psychologique – d'une femme, le débat se renforce sur la nécessité de légaliser l'avortement comme un élément essentiel des droits des femmes.

Debora Diniz, anthropologue, chercheuse et militante en faveur de la dépénalisation de l'avortement, a écrit dans sa chronique pour le magazine féminin Marie Claire [25], que l'on ne peut pas être féministe et opposée à l'avortement :

…não há como ser uma feminista e defender a cadeia como o destino das mulheres que façam aborto, ou seja, ser “contra o aborto”. (…) Falo “contra” ou “favor” do aborto apenas para simplificar nossa conversa. Aborto não é tema para isso de um lado ou outro da verdade – é uma escolha íntima e privada de cada mulher. Talvez, você nunca venha a fazer um aborto, mas como uma feminista você saberá acolher mulheres com experiências diferentes das suas.

… il est impensable d'être féministe et de justifier la prison comme une fatalité pour les femmes qui ont recours à l'avortement, et donc être “contre l'avortement”. (…) Je dis “contre” ou “pour” l'avortement juste pour faciliter notre conversation. L'avortement n'est pas un sujet sur lequel il faut se mettre d'un côté ou de l'autre de la vérité – c'est un choix intime et privé propre à chaque femme. Peut-être que vous ne serez jamais amenée à avorter, mais en tant que féministe, vous apprendrez à accepter les femmes qui vivent des expériences différentes des vôtres.

Les groupes pro-choix ont aussi montré leur soutien à la vie de l'enfant de 10 ans via le hashtag #GravidezAos10Mata (« Une grossesse à 10 ans, c'est fatal », en portugais) sur Twitter.

Les femmes du Forum des femmes de Pernambuco se sont déplacées à l'hôpital pour protéger la vie de la fillette de dix ans, tombée enceinte à la suite d'un viol commis par son oncle.

Ce sont ces personnes là qui défendent la vie ! #UneGrossesseà10Ansçatue

Après la révélation de l'affaire de la fillette âgée de dix ans, les médias ont entrepris de faire état du nombre effarant de cas de violence sexuelle envers les mineur·e·s au Brésil. Le pays recense environ six avortements par jour [29] concernant des filles âgées de 10 à 14 ans, tombées enceintes après un viol, selon la BBC. Dans certains cas, l'hospitalisation a lieu après des fausses couches ou des tentatives d'avortement à domicile.

En 2018, selon l’annuaire 2019 de la sécurité publique brésilienne [30] [pdf], quatre jeunes filles âgées de 13 ans ou moins étaient violées toutes les heures. Les données du ministère de la Santé indiquent qu’au moins 32 000 jeunes filles ont eu recours à un avortement [29] dans le pays, depuis 2008.