Le lien entre violences sexistes et maltraitance des enfants à Trinité-et-Tobago

Une série de quatre vignettes mettant en avant les statistiques alarmantes sur les violences subies par les femmes dans le cadre de leurs relations intimes.

Une série de captures d'écran tirées d'une vidéo YouTube intitulée “Violences sexistes : un guide des problèmes à l'échelle mondiale”, postée par Global Citizen. Les affiches indiquent les statistiques suivantes : “Une femme sur trois dans le monde subira des violences physiques, sexuelles ou d'autres types de maltraitance au cours de sa vie.” ; “Les violences les plus communes sont celles exercées par le ou la partenaire intime.” ; “Dans le monde, 30 % des femmes qui ont été engagées dans une relation disent avoir subi une forme de violence de la part de leur partenaire intime.” ; “Au niveau mondial, 38 % des meurtres de femmes sont commis par leur partenaire intime.”

L’article d'origine a été publié en anglais le 7 mars 2020.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Trinité-et-Tobago est depuis longtemps aux prises avec les violences sexistes. En décembre 2016, après que le corps de Shannon Banfield, une employée de banque âgée de 20 ans, ait été retrouvé dans l'entrepôt d'un magasin à prix unique à Port-d'Espagne, des citoyen·ne·s ont déclaré en avoir assez. Pourtant, le premier meurtre du pays en 2017 a été celui de Rachael Ramkissoon, une écolière de 16 ans.

Bien que les manifestations, les campagnes contre le harcèlement de rue et les commémorations publiques [fr] aient sensibilisé le pays aux violences sexistes, cela continue de se produire – avec des effets d'entraînement inquiétants qui ont un impact sur les enfants et les jeunes.

L'un des cas les plus récents dans le pays impliquait Naiee Singh, 31 ans, dont l'ex-mari l'a suivie au travail et l'a abattue sur le parking avant de retourner l'arme contre lui-même. Lorsque ses proches, dans une interview pour le journal Newsday, ont affirmé qu'il avait été « poussé à bout », les médias sociaux ont naturellement critiqué ce retournement de la responsabilité sur les victimes.

Cependant, près de deux semaines plus tard, quand il a été rapporté que Mukeisha Maynard, une enfant de huit ans dont on pensait initialement qu'elle était autiste, avait été battue à mort par son père Michael qui s'est pendu plus tard, la réponse initiale a été très différente.

Dans une publication publique sur Facebook, Zahir Ali, président de la Fondation Glimmer of Hope (en français : lueur d'espoir), qui dit avoir rencontré la petite fille, apparemment dans le cadre de son action caritative, a déclaré :

Autism is something that can lead you into Great Depression. […] Only God knows what parents of autistic children are going through, especially [in this country where] there is absolutely nothing put in place to help the less fortunate parents who can’t afford to pay for the occupational and speech therapy services.

L'autisme est quelque chose qui peut vous conduire à une grande dépression. […] Seul Dieu sait ce que vivent les parents d'enfants autistes, surtout [dans ce pays où] il n'y a absolument rien de mis en place pour aider les parents moins fortunés qui n'ont pas les moyens de payer les services d'ergothérapie et d'orthophonie.

Le récit en ligne est rapidement passé de la violence du meurtre / suicide à un discours dans lequel l'accent était mis sur le handicap de l'enfant. Il a été rapporté plus tard que Mukeisha Maynard n'était pas autiste, mais avait plutôt une apraxie de la parole, qui aurait été causée par des blessures subies lors d'une agression de son père alors qu'elle avait moins d'une semaine. Sa mère, Maysonia Thomas, a également été battue.

Pour explorer le lien entre la violence exercée par les partenaires intimes et la violence contre les mineurs – et comprendre pourquoi la réponse à deux crimes tout aussi odieux était si disparate – j'ai sollicité l'analyse du Dr Gabrielle Hosein, directrice de l'Institut d'études sur le genre et le développement à l'Université des Antilles, campus de St. Augustine, qui a été activement impliquée dans la construction de mouvements féministes à l'échelle de la région et dans la lutte contre les violences sexistes.

Gabrielle Hosein a commencé notre conversation téléphonique en suggérant que les gens ont peut-être réagi différemment aux deux meurtres / suicides parce que l'affaire Singh avait été préméditée. Malgré l’ordonnance de protection prononcée contre l'ex-mari de Naiee Singh, il avait acquis une arme de poing et attendu à son bureau avec l'intention de la tuer. L'affaire Maynard, en revanche, ne semble pas aussi calculée.

La chercheuse convient, cependant, qu'il y avait un lien inquiétant entre les crimes et que ce lien est mondial, transculturel et interracial :

I think the central point is that violence against women and violence against children are deeply connected, that children are deliberately made victims and witnesses to violence against women as part of an assertion of control over ‘the family’. … Such violence begins through partner rape, continues through physical and sexual abuse of pregnant women, and takes on additional forms through children growing up in violent homes where they, too, face greater risk of physical and sexual abuse.

Je pense que le point central est que les violences qui s'exercent sur les femmes et celles qui visent les enfants sont profondément liées, et que les enfants sont délibérément victimes et témoins de violence envers les femmes dans le cadre d'une affirmation de contrôle sur « la famille ». […] Cette violence commence par le viol d'une partenaire, se poursuit par des abus physiques et sexuels sur les femmes enceintes, auxquels s'ajoutent de nouvelles formes de maltraitance lorsque les enfants grandissent dans des foyers violents où ils sont également exposés à un plus grand risque d'abus physiques et sexuels.

Alors que les déclencheurs culturels peuvent être propres à différents pays, les racines semblent être fondamentalement les mêmes. Les données montrent que les femmes courent souvent un risque accru de violence de la part de leur partenaire intime lorsqu'elles sont enceintes. Ainsi, selon Gabrielle Hosein, la violence peut commencer in utero. « Les enfants ne sont pas accessoires à la violence et ce ne sont pas des cas isolés », a-t-elle expliqué. « En fait, les enfants sont souvent blessés physiquement dans le cadre de cette démonstration de contrôle. Cette idée que les hommes “possèdent” leur famille est quelque chose que nous devons contester. »

Depuis sa création en 2015, l’Autorité pour l'enfance, chargée de la protection des mineurs à Trinité-et-Tobago, a réalisé des rapports d'enquête sur plus de 20 000 cas de maltraitance d'enfants. Deux jours après la mort de Mukeisha Maynard, le président de l'Autorité pour les enfants, Hanif Benjamin, a déclaré que la société dans son ensemble l'avait abandonnée. Il a ajouté que « chacun [avait] un rôle à jouer dans la protection des enfants ».

Compte tenu d'un incident distinct en 2011 au cours duquel Michael Maynard a été arrêté et accusé d'avoir agressé sa fille Mukeisha (alors âgée de huit mois) ainsi que la mère de l'enfant, Gabrielle Hosein a noté que les services sociaux avaient un rôle essentiel à jouer.

Tracy Hutchinson-Wallace, co-fondatrice de l'organisation non-gouvernementale Autism Spirit (en français : esprit autiste), convient que les services sociaux et la société en général ont failli à leur mission vis-à-vis de Mukeisha Maynard. Lors d'un entretien téléphonique avec Global Voices, elle a appelé les secteurs public et privé à contribuer au soutien des parents, et demandé : « Pourquoi les services essentiels à une parentalité responsable – centres de santé, réunions scolaires, séances de thérapie – sont-ils disponibles uniquement pendant les heures de travail ? »

L'autre aspect du récit qui dérange Tracy Hutchinson-Wallace est l'idée selon laquelle le handicap serait une tragédie : « Si un enfant valide est tué, l'agresseur est un monstre. Mais si l'enfant a un handicap ? Le pauvre, il a craqué. » Concernant l'affaire Maynard, elle a déclaré : « Le père a montré qu'il avait de profonds remords. Il a reconnu ce qu'il a fait. Son dernier acte a été de s'occuper de la jeune fille [Réalisant que sa fille était morte, Michael Maynard l'aurait habillée, coiffée et placée sur un lit avant de se suicider]. Sa récompense a été le suicide. L'enfant ne le méritait pas. Il y a tellement de victimes ici. »

L'universitaire Gabrielle Hosein estime que l'affaire Maynard est importante à suivre pour analyser la situation dans son ensemble et voir où les interventions sociales et les protocoles ont échoué. Le père, par exemple, avait des antécédents de violence, et ses menaces s’étendaient au-delà de la cellule familiale principale ; en outre, lui et ses deux enfants vivaient dans la pauvreté : tous ces facteurs auraient dû servir de signal d'alarme pour les agences de services sociaux.

The first step should have been to remove the child from the situation. Authorities need to instill families’ trust regarding how they deal with these issues. Even amidst violence and threats, there is no assurance that something will be done — and this has been the case with successive governments.

La première étape aurait dû être de retirer l'enfant de la situation. Les autorités doivent inspirer la confiance des familles dans leur manière de traiter ces problèmes. Même au milieu de la violence et des menaces, rien ne garantit que quelque chose sera fait – et cela a été le cas avec les gouvernements successifs.

Elle pense qu'à court terme, davantage de ressources doivent être mises en place pour une intervention précoce, et que la société dans son ensemble doit agir davantage comme le village proverbial lorsqu'il s'agit de protéger les enfants.

« Ne perdez pas de vue le fait que [des cas comme celui de Singh et de Maynard] se répéteront », a déclaré Tracy Hutchinson-Wallace :

We will all forget, but we are all responsible. We need to keep speaking out until something is done. It’s a privilege to be a citizen of this country. To deserve that privilege, we are obliged to give back every single day. If you benefitted from something — a good education, a solid family life, strong community support — you have work to do to help others.

Nous oublierons tous, mais nous sommes tous et toutes responsables. Nous devons continuer à nous exprimer jusqu'à ce que quelque chose soit fait. C'est un privilège d'être citoyen·ne de ce pays. Pour mériter ce privilège, nous avons l'obligation en retour de nous mettre chaque jour au service de la société. Si vous avez bénéficié de quelque chose – une bonne éducation, une vie de famille solide, un fort soutien communautaire – vous avez du travail à faire pour aider les autres.

Pour marquer l'édition 2020 de la Journée internationale des femmes, célébrée dans le monde entier le 8 mars de chaque année, l'Institut d'études sur le genre et le développement de l'Université des Indes occidentales, en collaboration avec des ONG et des entreprises sponsors, a accueilli pour la quatrième fois un rassemblement annuel et une marche pour les droits des femmes, qui se sont tenus le 7 mars à Port-d'Espagne, témoignant d'un effort continu de sensibilisation au sort des femmes.

Découvrez le dossier spécial de Global Voices sur la manière dont les femmes luttent contre les violences sexistes en Amérique latine [fr].

À Trinité-et-Tobago, plusieurs services sont en place pour lutter contre la violence à l'égard des femmes et des enfants. 800-SAVE est une ligne directe qui traite les cas de violence domestique, et le service de police de Trinité-et-Tobago dispose à la fois d'une unité de lutte contre les violences sexistes et d'une unité de protection de l'enfance. Le registre de l'Autorité pour l'enfance a également une liste d'autres organisations de soutien. En ce qui concerne le handicap, toute personne nécessitant un accompagnement peut s'adresser au Centre Immortelle, qui transmettra la demande à l'organisation la plus adaptée pour répondre au besoin.

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