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COVID-19 ou famine ? En Inde, les ouvriers du thé luttent pour leur survie

Catégories: Asie du Sud, Inde, Développement, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Femmes et genre, Gouvernance, Histoire, Médias citoyens, Peuples indigènes, Politique, Santé, Travail, COVID-19
Une cueilleuse de thé travaille dans un champ. Elle porte un sac en bandoulière derrière elle, la sangle posée sur sa tête. [1]

Une cueilleuse de thé dans le Kerala, un État du sud de l'Inde. Photographie de Neil Faz [1] sur Flickr, CC BY-NC 2.0 [2]

Sauf mention contraire, les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Cinquième économie au monde, l'Inde souffre énormément [3] pendant la pandémie de COVID-19 [4]. Le taux de chômage a augmenté jusqu'à 24 % en mai [5], et la rareté du travail ainsi que l'absence d'assistance de l'État amène les travailleurs journaliers (comme ceux qui sont employés dans les plantations de thé) à la pauvreté et la famine [6].

En avril, ils étaient nombreux à retourner au travail [7] malgré les restrictions, et bien qu'il n'y ait pas suffisamment de services médicaux et de mesures sanitaires mis en place pour les protéger.

La vérité sur le thé (#TruthAboutTea)

L'Inde est l'un des principaux producteurs de thé [8]. Deux régions en particulier, l'Assam et le Bengale Occidental, produisent à elles deux plus de soixante-dix pour cent du thé du pays. Cette industrie est le premier pourvoyeur d'emplois structurés en Inde et nourrit plus d'un million de familles [9] dans les plantations. Soixante-dix pour cent [10] [pdf] de ces employés sont des femmes, qui sont très peu payées [11] et travaillent dans des conditions affligeantes.

En conséquence, la plupart d'entre elles vivent une existence dépourvue de dignité [12] : leur sort est dépeint dans la campagne YouTube de l'organisation non gouvernementale Oxfam India [13], #TruthAboutTea [14] (la vérité sur le thé). Selon la série, elles vivaient dans des conditions insalubres [15] même avant l'épidémie, survivant à peine avec leur salaire misérable, et avec peu ou pas d'accès au soins de santé ni à l'éducation :

D'après cette vidéo, une cueilleuse de thé parcourt en moyenne seize kilomètres et transporte vingt-quatre kilogrammes de feuilles de thé chaque jour. Pour cela, elle ne gagne qu'environ cent cinquante roupies par jour [16], soit environ 1,7 euros pour treize heures de travail. Environ quatre-vingt-sept pour cent des employés reçoivent le salaire mensuel maximum de quatre mille cinq cent roupies seulement (environ cinquante et un euros).

Certains ouvriers vont pieds nus [17] et seul un petit nombre d'entre eux sont dotés d'équipement de protection comme des gants, des masques [18] et des bottes. Les femmes sont parfois obligées de retourner travailler quelques jours après avoir accouché, et il n'y a pas suffisamment de crèches en bon état [19] pour leurs enfants. Les plantations manquent également de toilettes [20], et de nombreux ouvriers n'en ont pas non plus chez eux.

Le coût humain de la production de thé en Inde est élevé : privés de leurs droits les plus basiques, les ouvriers et leur familles expliquent [21] se sentir comme les esclaves des propriétaires des plantations.

Un choix limité

Quand l'Inde est entrée dans la première phase du confinement dû au COVID-19 [3], le 25 mars, de nombreuses plantations de thé ont cessé leurs opérations. Au 4 avril cependant, l'Association indienne du thé (Indian Tea Association, ITA) adressait une requête écrite au gouvernement [22], demandant le “retour à l'opération normale des plantations de thé tout en adhérant aux directives prescrites quant à la distanciation sociale et la sécurité sanitaire”.

Inquiet des conséquences économiques, le journaliste Pratim Ranjan Bose a remis en question [23] les mesures de confinement, mais a aussi noté la “stigmatisation, dans le secteur des plantations, des questions d'installations sanitaires, de santé et d'hygiène parmi les ouvriers.”

Malgré cela, les administrations des États ont permis à quelques plantations de rouvrir dès le 10 avril. Au moment de la troisième phase de confinement (du 4 au 17 mai), elles pouvaient fonctionner [24] normalement, bien que les centres de soins locaux soient mal équipés [25] pour s'occuper de patients atteints de COVID-19.

Peu après, les syndicats des plantations du nord de l'Inde ont commencé à déposer des plaintes [26] auprès de la police pour des infractions au confinement. Mais à ce moment-là, la population s'inquiétait davantage [27] de l'état de l'économie que du bien-être des ouvriers du thé.

Harihar Nagbansi, correspondant communautaire de VideoVolunteers [28], dont la famille vit et travaille au domaine Bhatkawa dans le Bengale Occidental, raconte [29] :

While the whole country is under lockdown to combat coronavirus, work continues as is in the tea estates of [the] Alipurduar district of West Bengal. These estates are in such far off areas that information regarding the virus has not reached everyone and they are willing to work without any protective [gear]. Quite obviously, the tea garden owners also don’t care what this pandemic will do to these workers.

Pendant que le pays entier est confiné pour combattre le coronavirus, le travail continue comme d'habitude dans le district d'Alipurduar du Bengale Occidental. Ces plantations sont tellement éloignées de tout que les informations sur le virus n'ont pas atteint tout le monde, et ils consentent à travailler sans [équipement de] protection. De toute évidence, les propriétaires des plantations de thé ne se préoccupent pas non plus de ce que cette pandémie peut faire à ces ouvriers.

Au moment de la publication de cet article [le 5 septembre 2020], le nombre de cas de COVID-19 [30] en Inde avait dépassé le seuil de cinq millions : presque 0.4 % de sa population [31].

Au Bengale Occidental, on constate environ 212 383 cas et 4 123 décès. Dans l'Assam, environ 148 969 cas et 511 décès. Mais il n'existe aucune information sur le nombre d'ouvriers des plantations de thé ayant contracté le virus.

Selon un rapport [32] issu d'une initiative commune du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et de l'Association indienne du thé (ITA), des ouvriers des plantations de ces deux régions avaient réussi à empêcher l'entrée du COVID-19 dans les plantations jusqu'à la troisième semaine de mai. Cette initiative consistait à inscrire les travailleurs à des programmes d'hygiène obligatoires afin d'améliorer leurs normes sanitaires.

Manifestations

Dans un autre reportage vidéo, cette fois en provenance du domaine Madhu Tea dans le nord du Bengale Occidental, Harihar Nagbansi explique [33] que les ouvriers n'ont pas reçu le minimum de cent jours de travail stipulés dans la Loi nationale de garantie de l'emploi rural (Mahatma Gandhi National Rural Employment Guarantee Act [34], MGNREGA).

Quand leur vie est devenue encore plus difficile à cause des restrictions dues au virus, les ouvriers ont organisé une manifestation, le 29 juin, réclamant de recevoir deux cents jours de travail et une augmentation du salaire journalier à six cents roupies (environ 6,90 euros) :

Pourtant, les ouvriers des plantations de thé indiennes manifestent contre leurs bas salaires [35] depuis des années, sans succès.

“La coupe est pleine de malheurs”

Dans une étude de février 2019 intitulée “Un coupe pleine de malheurs” [“A cup full of woes” [36], non traduit en français], Subhashri Sarkar et Reji Bhuvanendran examinaient l'échelle des salaires des ouvriers et révélaient l'état de crise dans lequel se trouve ce secteur en Inde.

Une concurrence âpre, l'augmentation des coûts de production et la fermeture de plusieurs plantations due à une baisse de la demande ont entraîné des pertes énormes qui entravent [37] la durabilité de l'industrie.

Le problème des salaires inéquitables est aggravé par une myriade de facteurs, notamment le manque d'intérêt des directions, la non-application des lois et l'absence de contrôle efficace par le gouvernement central.

Pendant ce temps, le taux de contamination au COVID-19 continue d'augmenter.