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Entre conflits frontaliers et contentieux commerciaux, les relations indo-népalaises sont dans l'impasse

Catégories: Asie du Sud, Inde, Népal, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Gouvernance, Guerre/Conflit, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Relations internationales
Photographie de la frontière indo-népalaise franchie par de nombreuses personnes à pied et à vélo. [1]

La frontière indo-népalaise à Sonauli. Image Flickr d’Axel Drainville [1], sous licence CC BY 2.0 [2].

L’article d’origine [3] a été publié en anglais le 17 septembre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Entre l'Inde et le Népal [4], les liens autrefois amicaux, forgés par une contiguïté culturelle et religieuse, se sont considérablement dégradés au cours des dix derniers mois. Cette détérioration est imputable à une série de contentieux liés à des conflits frontaliers persistants depuis des décennies, ainsi qu'à l'accroissement de l'influence chinoise dans la région.

La dégradation des relations a débuté en novembre 2019, moment où l'Inde a rendu publique une cartographie réformée [5] redéfinissant ses frontières et affirmant sa souveraineté sur les régions contestées de Kalapani, Lipulekh et Limpiyadhura, des territoires revendiqués par les deux pays.

Il s'agit d'un ancien contentieux datant de l'époque du Traité de Sugauli [6]. Ce traité, ratifié à la suite de la guerre anglo-népalaise (1814-1816), stipule que toutes les régions à l'est de la rivière Kali appartiennent à l'État népalais. Néanmoins, des différends persistent, l'Inde considérant que la rivière Kali prend sa source à Lipulekh, tandis que le Népal affirme qu’elle provient de Limpiyadhura [7].

Face à cette situation, Katmandou a transmis une note diplomatique [8] à New Delhi, sans toutefois obtenir de réponse. Le 20 mai dernier, le gouvernement népalais a publié [9] une nouvelle carte officielle du pays, revendiquant à son tour la souveraineté sur les zones litigieuses.

En mai dernier, la tension s'est accrue suite à l'inauguration [10] par l'Inde d'une route dans la région de Kalapani. En juin, le Népal a amendé [11] sa constitution pour officialiser l'inclusion des régions de Limpiyadhura, Lipulekh et Kalapani sur les nouvelles cartes du pays. Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a vivement critiqué [12] cette décision, la qualifiant d'« empiètement forcé… dépourvu de tout fondement historique ou de preuve ».

Lors de la présentation officielle de la nouvelle carte du Népal, le Premier ministre népalais K.P. Sharma Oli a plaidé en faveur de pourparlers [13] avec New Delhi.

La nouvelle carte, incluant les territoires de la région de Kalapani, a été ratifiée [14] par les deux Chambres du Parlement et par le Président. Elle est désormais officiellement intégrée à la constitution népalaise et figure sur l'emblème national.

En juin dernier, Katmandou a transmis son nouveau tracé géopolitique [15] aux Nations Unies ainsi qu'à Google.

Manisha Koirala, actrice et auteure népalaise, a posté sur Twitter :

Merci d’avoir préservé l’intégrité de notre petite nation … Nous attendons avec impatience le dialogue à la fois pacifique et respectueux qui aura lieu entre nos trois grandes nations.

[Tweet de Pradeep Gyawali, ministre des Affaires étrangères népalais] Décision du Conseil des ministres concernant la publication la carte du Népal qui comprend 7 provinces, 77 districts et 753 divisions administratives locales, et qui comprend également Limpiyadhura, Lipulek et Kalapani. Le ministère de la Gestion du territoire dévoilera prochainement la version officielle de la carte.

En juin [18], le ministère des Affaires étrangères indien a déclaré :

“It is contrary to the bilateral understanding to resolve the outstanding boundary issues through diplomatic dialogue. Such artificial enlargement of territorial claims will not be accepted by India.”

La résolution des questions frontalières en suspens par le seul biais d'un dialogue diplomatique ne concorde pas avec nos accords bilatéraux. L'Inde juge inacceptable tout empiètement forcé sur les territoires revendiqués.

Lors d’un débat télévisé [19] diffusé en juillet sur la chaîne indienne Zee News, le Premier ministre Oli fut accusé d'être sous l'influence de l'ambassadeur chinois. Katmandou a alors réagi en censurant [20] toutes les chaînes d'information indiennes du paysage audiovisuel népalais.

L'ancien diplomate indien Krishan Chander Singh [21], manifestement très contrarié, a exprimé sa colère sur Twitter :

Le Népal a pris la décision de censurer les chaînes d'information indiennes arguant d’une « propagande sans fondement » dirigée contre le gouvernement et le Premier ministre Oli. Oli porte atteinte à la coexistence pacifique et à renoncé à toute bonne foi. Ce qui prouve qu'il pense que la sécurité de son gouvernement est assurée grâce au soutien de la Chine.

L'Inde a réagi en imposant une censure [24] sur toutes les radios népalaises dans la région frontalière, arguant que ces stations diffusaient une propagande visant à soutenir les revendications de Katmandou concernant les territoires contestés.

En septembre, l’ambassadeur [25] népalais en Inde, Nilambar Acharya, s’est entretenu avec le conseiller indien à la sécurité nationale, Ajit Doval, afin de « dissiper les malentendus résultant des récentes tensions frontalières ». Cette démarche a été interprétée par les expert·e·s comme un signe annonciateur de la volonté des deux parties de résoudre leurs divergences.

Les affrontements suscitent une vive préoccupation parmi les habitant·e·s des zones frontalières. À Banbasa, une ville indienne située à la frontière, des commerçant·e·s ont déclaré au Hindustan Times [26] que 80 % de leurs revenus provenaient directement de la clientèle népalaise. Ces tensions sont également source d'inquiétude pour le Népal, car 68 % de ses exportations sont destinées à l’Inde [27].

La Chine entre en lice

Vu de Chine, le Népal occupe une position stratégique dans le cadre du programme du développement d'infrastructures transcontinentales pour la nouvelle Route de la soie  [28][fr]. Au fil de ces dernières années, la Chine a effectué des investissements massifs dans des projets tels que des constructions d'aéroports, des développements de réseaux autoroutiers et la mise en place d'installations hydroélectriques [29] dans la région himalayenne du Népal. En parallèle, les diplomates chinois ont progressivement renforcé leurs liens avec les politiques népalais·es.

Les relations entre la Chine et l'Inde sont actuellement à un niveau historiquement bas [30], marquées par des troubles frontaliers persistants dans la région de Ladakh depuis juin. Cette situation a conduit l'Inde à expulser [31] 150 ressortissants chinois, alimentant ainsi les craintes d'une véritable guerre commerciale entre les deux pays.

C’est sur la base de ces éléments contextuels que des médias indiens de droite, dont Swarajya [32] et Republic, ont accusé les responsables népalais·es de modifier leur cartographie dans le but de s’attirer les grâces la Chine. Ces allégations ont été réfutées par Katmandou.

Indranil Mukherjee, un photo-reporter de Mumbai, a publié ceci sur Twitter :

Le Premier ministre et la belle ambassadrice. Pourquoi le Premier ministre népalais Oli confère-t-il les pleins pouvoirs à l'ambassadrice chinoise ? #inde #FrontièreIndeChine #Népal #chine #frontièreindonépalaise

Dans un article [publié sur le site] du Conseil des relations internationales [Council on Foreign Relations [40]], Sujeev Shakya met en garde :

Disputes require talks for resolution, and therefore, the sooner India engages in discussion, the better. Nepal also needs to learn from its own mistakes, such as not being well-prepared for talks due to the lack of thorough research, and failure to communicate well.

Lorsque de telles tensions surviennent, il est impératif d'entamer des négociations pour parvenir à une résolution. La participation rapide de l'Inde à ces discussions est donc essentielle. De son côté, le Népal doit également tirer les leçons de ses erreurs. Le pays a, en effet, souffert du fait de ne s’être pas suffisamment préparé à ce type de pourparlers, négligeant des analyses approfondies. La capacité à communiquer de façon efficace lui a également fait défaut.

Achyut Wagle exprime ses préoccupations dans [un article paru dans] le Kathmandu Post [41] : 

Neither party is likely to gain from the current deadlock in Nepal-India relations. The present resigned approaches evident on both sides does not contribute to elevating the age-old relations from, perceivably, now at their lowest point in history. If the Indian establishment is testing its strategy of making Nepal realize the putative ‘small country predicament’ in diplomacy, it will have a greater unforeseen cost.

Aucune des deux nations, que ce soit le Népal ou l’Inde, ne semble en mesure de bénéficier de l'impasse dans laquelle elles se trouvent. La résignation manifeste chez chacun des deux protagonistes entrave la résolution de ces querelles ancestrales qui atteignent aujourd'hui leur paroxysme. Si les haut·e·s responsables indien·ne·s persistent dans leur stratégie visant à faire prendre conscience au Népal de sa « situation diplomatique délicate en tant que petit pays », le tribut à payer sera encore plus lourd.

L’Inde et le Népal se réuniront d’ailleurs en octobre prochain dans le cadre d’une rencontre entre leurs ministres des Affaires étrangères [42] respectifs. La dernière réunion [43] de ces deux ministres a eu lieu en août 2019, à Katmandou.

Le Népal se trouve clairement pris en étau entre la guerre commerciale sino-américaine et le conflit en cours à la frontière indo-chinoise. Il reste à savoir si ces deux alliés historiques pourront restaurer des liens désormais fragilisés uniquement par le biais de discussions diplomatiques.