Le double discours des Caraïbes concernant les protocoles relatifs au COVID-19

De nouvelles dispositions juridiques en vigueur depuis le 31 août à Trinité-et-Tobago, concernant la pandémie.

Capture d'écran de l'introduction des dispositions légales de santé publique ayant trait au COVID-19 à Trinité-et-Tobago.

Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais.

Dans les Caraïbes, la pandémie du COVID-19 a renforcé [fr] les inégalités sociales — à savoir les traitements différenciés réservés aux citoyen·ne·s qui enfreignent les consignes de sécurité.

À Trinité-et-Tobago, les restrictions dues au COVID-19 devraient s'appliquer à tout le monde, mais plusieurs exemples récents révèlent une différence flagrante quant à la manière dont la police traite les manquements, en fonction de la classe et du statut des personnes.

Se fondant sur des ordonnances de santé publique actualisées [pdf], les autorités interdisent les rassemblements publics de plus de cinq personnes, et le port du masque ainsi que la distanciation physique sont obligatoires.

Cependant, lors d'une fête d'anniversaire composée de plus de 20 invité·e·s dans un espace piscine communautaire dans la résidence Bayside Towers, un immeuble de prestige, personne ne portait de masque. Selon certaines sources, les gestionnaires de la résidence ont demandé à plusieurs reprises aux convives de respecter les protocoles relatifs au COVID-19. Essuyant un refus, ils ont appelé la police, qui a été informée de la situation. À l'arrivée de la police, les quelques invité·e·s restant·e·s s'en sont tiré·e·s avec un avertissement, malgré le non-respect de plusieurs règles édictées par l'ordonnance de santé publique, notamment le fait de se réunir dans une piscine publique à des fins récréatives, et le non-respect de la distanciation sociale ou du port du masque.

[La législation prévoit que] le non-respect de ces obligations de sécurité entraîne [pdf] le paiement d'amendes élevées et, le cas échéant, un emprisonnement de trois jours au plus.

Selon le préfet de police Gary Griffith, il existe un vide juridique dans la mesure où la propriété elle-même est considérée comme privée, bien que le rassemblement ait eu lieu dans un espace commun — une explication mal reçue par les usagers des réseaux sociaux, qui ont accusé les forces de l'ordre d'avoir deux poids deux mesures lorsqu'il s'agissait de faire appliquer la règlementation relative au COVID-19.

Au mois d'avril, en vertu de directives similaires émanant d'une ordonnance de santé publique, la police a arrêté 27 jeunes — dont plusieurs étaient mineurs — qui s'étaient rassemblés en groupes dont le nombre de personnes dépassait la limite autorisée, dans le quartier défavorisé de Sea Lots. Une vidéo, devenue virale, montre la police faisant allonger le groupe à plat ventre, sur une plage de galets, et leur demandant de présenter des excuses à Gary Griffith alors que des armes sont pointées sur eux.

Gary Griffith a aggravé la situation en revenant clairement sur les déclarations qu'il avait faites en avril, lorsqu'il a affirmé que la police était habilitée à interrompre les soirées chez des particuliers. La soirée de la piscine de Bayside, a-t-il déclaré, était une « zone grise », suggérant qu'il était nécessaire de clarifier la définition d'espace privé et public.

Le député de l'opposition Dinesh Rambally a exprimé son soutien à Gary Griffith, qualifiant la législation elle-même de « vague, incertaine et imprécise ». Ceci, a-t-il assuré, conduit à une mise en application arbitraire et inéquitable.

Alors que le ministre de la Santé, Terrence Deyalsingh, a confirmé que les règlements existants « parlent plus ou moins d'espaces publics », il a ajouté : « Nous n'avons pas besoin d'argument constitutionnel pour dire aux gens que la manière dont ils ou elles se conduisent sur leur propriété privée peut tout faire capoter. »

Dans un message à Wired868, Lasana Liburd a dénoncé l'hypocrisie de ces propos :

Commissioner of Police Gary Griffith tried to turn the table on persons critical of the Trinidad and Tobago Police Service’s handling of a pool party in Bayside Towers, by suggesting that they were the ones with a ‘hang-up’ on race and class—and not his lawmen. […]

Nobody was charged, although the public health ordinance carries a TT$1,000 fine [US$148)] for failure to wear masks — even if it is in your own vehicle alongside a single family member.

To date, the TTPS has charged 179 persons for failure to wear masks. So […] did the police choose not to hold someone accountable at Bayside Towers because it is an affluent neighbourhood?

Le préfet de police Gary Griffith a tenté de renverser les rôles, faisant croire que les personnes qui critiquent le comportement des services de police de Trinité-et-Tobago (TTPS) lors d'une soirée piscine à Bayside Towers, seraient celles qui ont un complexe au regard de la race et de la classe—et non pas ses hommes. […]

Personne n'a été sanctionné, bien que l'ordonnance de santé publique prévoie une amende de 1 000$TT (148 dollars US) pour non-port du masque — même si on se trouve dans sa propre voiture accompagné d'un seul membre de sa famille.

À ce jour, le TTPS a verbalisé 179 personnes pour non-port du masque. Donc, […] est-ce que la police a choisi de ne relever aucune infraction à Bayside Towers parce qu'il s'agissait d'un quartier aisé ?

Gary Griffith a indiqué que, sous son commandement, le TTPS avait mené des opérations dans des quartiers riches, entendant ainsi démontrer qu'il était au-dessus des préjugés.

Cependant, lors d'une conférence de presse, un journaliste a demandé pour quelles raisons le contrôle de police à Bayside n'avait pas été filmé et diffusé sur les réseaux sociaux par le TTPS, alors que cela avait été le cas lors d'autres opérations. Gary Griffith a reproché aux médias de se livrer à des chicanes.

Lorsque des représentant·e·s des médias ont insisté, le préfet de police a répliqué qu'il n'avait pas les détails du déroulement des faits, mais que l'enquête suivait son cours. Il a également ajouté que certain·e·s des invité·e·s n'étaient peut-être pas des ressortissant·e·s de Trinité-et-Tobago, et que la police devait vérifier leurs papiers d'identité.

L'organe de presse Wired868 s'est, cependant, moqué de la tentative de reformulation du problème :

Griffith did not explain why the deportation of Venezuelan refugees — whose reason for being at the Bayside Towers event is uncertain — might be considered a suitable response to an arrogant, reckless Bayside resident’s failure to show due consideration to COVID-19 regulation.

Gary Griffith n'a pas expliqué en quoi l'expulsion des réfugié·e·s vénézuélien·ne·s — dont la raison de la présence à l'événement de Bayside Towers reste à déterminer — pouvait être considérée comme une réponse acceptable au manque de respect arrogant et irresponsable du résident de Bayside à l'égard de la règlementation sur le COVID-19.

Sur Facebook, Ian y. Dass a partagé des sentiments similaires :

So let me get this straight…

A party with 40 persons at Bayside Towers is not a breach of the public health ordinance because it's in private property. I'm pretty sure all these persons aren't living under the same roof. And I'm pretty sure they will be mingling with the public at some point in the near future.

Meanwhile, if a family who lives in the same house is seen in their PRIVATE vehicles not wearing masks, they get charged $1000 (inclusive of children over the age of 8).
Make. It. Make. Sense.

You see, I have no problem with there being laws in place to help reduce the spread of the virus. BUT…these laws should be ACROSS THE BOARD. I guess in sweet T&T, some are above the law. Injustice and unfairness in big daylight. Right in front we eyes.

But we like it so.

Je voudrais que l'on m'explique…

Une soirée avec 40 personnes à Bayside Towers ne constitue pas un manquement à l'ordonnance de santé publique parce qu'elle a lieu sur une propriété privée. Je ne pense pas que toutes ces personnes vivent sous le même toit. Et je suis pratiquement sûr qu'elles vont se mêler à la population à un certain moment.

En même temps, si on voit une famille vivant au même domicile, dans leur véhicule PRIVÉ, ne portant pas de masques, ils reçoivent une amende de 1 000 $ (y compris les enfants âgés de plus de 8 ans).
Essayez. De. Trouver. Une. Logique.

Vous voyez, je n'ai pas de problème avec le fait qu'il y ait des lois en place pour aider à endiguer la propagation du virus. MAIS… Ces lois doivent S'APPLIQUER À TOUT LE MONDE. Je crois que, dans notre cher pays, Trinité-et-Tobago, certain·e·s sont au-dessus des lois. L'injustice et l'iniquité en plein jour. Juste sous nos yeux.

Mais on l'aime tellement.

Les mèmes et les parodies n'ont pas tardé à faire apparition. Mais au-delà de ces boutades, les usagers des réseaux sociaux sont bien conscients de la gravité de la question, mise en évidence par un autre incident au cours duquel une jeune femme a affirmé que la législation [pdf] — qui stipule que « le fait de se trouver sur une plage ou dans la mer […] ou dans toute étendue d'eau » constitue une infraction — ne s'appliquait ni à sa personne ni à sa famille, du fait qu'ils se trouvaient sur leur propriété privée. Il n'y a pas de plages privées à Trinité-et-Tobago.

Bien que la règlementation appliquée ne soit pas la même dans les différents pays des Caraïbes, des scénarios de ce type se sont déroulés de manière comparable dans la région.

En Jamaïque, les réseaux sociaux se sont enflammés suite à la fête d'anniversaire organisée par Usain Bolt, le 21 août. Des vidéos de l'événement ont montré le peu de cas que faisait l'athlète superstar des protocoles relatifs au COVID-19 en vigueur en Jamaïque. Cependant, plusieurs semaines plus tard, la police a confirmé que Usain Bolt avait obtenu une autorisation. Les autorités sont pourtant dans l'attente de savoir si plusieurs des invité·e·s de haut vol venu·e·s de l'étranger pour assister à la soirée avaient respecté, à leur arrivée, les protocoles de mise en quarantaine prévus.

Le gouvernement a d'ores et déjà affirmé que Usain Bolt ne recevrait aucun traitement de faveur, et qu'une enquête était en cours pour des atteintes éventuelles à la Loi sur la quarantaine du pays.

La Jamaïque, comme Trinité-et-Tobago, connaît actuellement une transmission communautaire, et les représentant·e·s du gouvernement continuent de réviser et de mettre à jour les protocoles liés au COVID-19 si nécessaire, au travers d'amendements à la Loi sur la gestion des risques de catastrophe, qui sont publiés au Journal officiel du Parlement.

Trois jours après la soirée, Usain Bolt a été testé positif au COVID-19, obligeant plusieurs de ses invité·e·s à se soumettre à leur tour à une mise en quarantaine.

La Jamaïque représente une destination populaire pour les célébrités. Madonna et son entourage s'y sont rendu·e·s pendant la pandémie pour fêter les soixante ans de l'icône de la pop. Des vidéos et des photos diffusées sur les réseaux sociaux ont montré que, bien que la soirée d'anniversaire ait eu lieu en extérieur, les invité·e·s n'ont pas respecté les règles de distanciation sociale ni le port du masque.

D'un autre côté, devant le nombre croissant de cas de COVID-19, la police jamaïcaine a arrêté plusieurs citoyen·ne·s pour non-port du masque dans les lieux publics. Le 1er septembre, plusieurs jeunes hommes ont été arrêtés dans le quartier animé de Half Way à Kingston. Ces actions sont maintenant contestées par certains juristes puisque, contrairement à Trinité-et-Tobago, les mesures de sécurité publique comme le port du masque n'ont pas été adoptées sous forme de loi, mais sont des recommandations.

Cependant, le ministre de la Santé et du Bien-être de la Jamaïque, le Dr Christopher Tufton, a clairement indiqué que les contrevenants aux protocoles liés au COVID-19 s'exposaient à des amendes jusqu'à un million de dollars jamaïcains (un peu moins de 7 millions de dollars américains) ou à une peine de six mois d'emprisonnement.

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