Loukachenka ou Loukachenko ? Pourquoi les médias anglophones utilisent des orthographes différentes pour le dirigeant bélarusse

Une sélection de titres de médias anglophones montrant diverses pratiques éditoriales pour la transcription du nom de famille du dirigeant du Bélarus. Carte des provinces du Bélarus par Golbez (CC BY-SA 3.0). Image d’Alexandre Loukachenko par Serge Serebro, Vitebsk Popular News (CC BY-SA 4.0). Image remixée par Georgia Popplewell (CC BY 3.0).

Alors que la Bélarus fait la une des journaux du monde entier depuis les élections présidentielles controversées du 9 août, plusieurs orthographes du nom du président sont apparues dans la presse internationale anglophone. Loukachenka ou Loukachenko : lequel est exact ?

La réponse est : les deux. Le nom Loukachenko a deux orthographes différentes : en bélarusse, il s'écrit Аляксандр Лукашэнка, et en russe, Александр Лукашенко. Par conséquent, la translittération anglaise basée sur l'original bélarusse sera Alyaksandr Lukashenka, tandis que celle basée sur l'orthographe russe sera Aleksandr (ou l'équivalent anglais Alexander) Lukashenko.

Le russe et le bélarusse ont tous deux le statut de langue officielle en République du Bélarus, où la population est majoritairement bilingue à des degrés divers. Alors que les deux langues sont souvent mutuellement intelligibles, comme toutes deux appartiennent à la branche orientale des langues slaves, elles sont néanmoins distinctes. Aujourd'hui, le bélarusse peut être vu et entendu lors des cérémonies officielles de l'État, sur les panneaux de signalisation et les ministères à travers le pays. Cependant, une grande partie de la vie quotidienne dans les grandes villes se déroule en russe et la présence du bélarusse a diminué ces dernières années, en partie en raison du déclin de son usage dans le système éducatif public [en].

Alors que des médias tels que le Guardianle New York Times [en] et la BBC [en] ont utilisé la romanisation basée sur le russe (Lukashenko), Radio Free Europe, qui diffuse également en bélarusse, utilise la version bélarusse (Lukashenka). Fait intéressant, nous avons trouvé un article paru en 2006 dans le New York Times [en], qui utilisait la version bélarusse Lukashenka.

Une distinction similaire peut être observée concernant le nom de famille de la cheffe de l'opposition : son nom est Sviatlana Tsikhanouskaya en anglais, romanisé à partir de l'orthographe bélarusse Святлана Ціханоўская. Mais elle devient Svetlana Tikhanovskaya lorsqu'elle est transcrite du russe, Светлана Тихановская.

Alors que les manifestations ont gagné tout le pays, nous pourrions également nous questionner sur l'orthographe de diverses villes bélarusses. Les travailleurs ont-ils fait grève à Grodno (russe) ou à Hrodna (bélarusse), les manifestations se sont-elles déroulées à Gomel ou à Homyel ? Les médias internationaux anglophones ont parfois orthographié les noms de lieux bélarusses de manière incohérente.

Pour compliquer les choses, le bélarusse, bien que maintenant écrit en cyrillique, possède également son propre alphabet latin, appelé Łacinka [en], qui a été utilisé au 19e et au début du 20e siècle ainsi que pendant l'occupation nazie de la Biélorussie au début des années 1940. Une autre norme orthographique connue sous le nom de Taraškevica est utilisée par certain·e·s locuteur·ice·s du bélarusse à l'étranger ; cette graphie utilise à peu près le même alphabet cyrillique que le bélarusse standard actuel, mais rejette certaines des réformes linguistiques introduites par le gouvernement soviétique en 1933.

De plus, à partir du XVe siècle, la minorité musulmane tatare vivant au Grand-Duché de Lituanie, qui comprenait le Belarus d'aujourd'hui, a également écrit le bélarusse en utilisant une forme adaptée de l'écriture arabe, appelée Кітаб [Kitab] ou ارابیصا [Arabitsa]. Cette population a progressivement abandonné sa langue turcique et adopté la langue slave bélarusse, tout en restant fidèle à l'islam.

Ce débat peut rappeler à certain·e·s lecteur·ice·s l’Ukraine, voisine méridionale du Bélarus. Après les événements de 2014 et la guerre qui a suivi dans l'est du pays, l'Ukraine a occupé de plus en plus d'espace dans les pages des journaux internationaux. Un débat houleux a conduit plusieurs publications à déclarer qu'elles épelleraient la capitale du pays, anciennement Kiev, avec la translittération ukrainienne Kyiv. Le russe est parlé couramment par des millions de personnes en Ukraine, dont beaucoup sont des Ukrainien·ne·s de souche, mais ce n'est pas une langue officielle – par conséquent, les villes orientales de Kharkiv et Louhansk sont par convention épelées dans leurs formes ukrainiennes, plutôt que Kharkov et Lougansk, comme beaucoup de leurs habitant·e·s les appelleraient.

La situation politique et sociolinguistique du Bélarus est très différente de celle de l’Ukraine. Mais ces problèmes continueront de tourmenter les rédacteurs et rédactrices en chef du monde entier. Une partie de la presse allemande continue de qualifier le pays de Weissrussland (littéralement « Russie blanche ») plutôt que de Bélarus, comme le préfèrent les Bélarusses. Le pays est largement appelé Белороссия (Biélorussie) dans la presse russe, malgré les objections des Bélarusses.

Des moments comme ceux-ci continueront de contraindre les rédacteurs en chef du monde entier à se demander à qui ils doivent rendre des comptes – à la politique linguistique de l'État, aux pratiques linguistiques des habitant·e·s d'un pays ou au public étranger qui connait souvent les contrées lointaines par des noms totalement différents, parfois archaïques ? Il n'y a pas toujours de réponses faciles. Mais lorsque l'attention du monde est fixée sur un pays inconnu, la transparence est la meilleure politique – permettant aux lecteurs et lectrices de comprendre l'importance d'une seule lettre.

Pour en savoir plus sur la crise que connaît le Bélarus, cliquer ici.

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