Lettre ouverte d'un défenseur des droits de l'homme bahreïnien au président Obama

Une manifestation à Manama, capitale du Bahreïn, en 2011. Photo par Bahraini Activist via Wikimedia (CC BY-SA 3.0)

Des manifestants à Manama, Capitale du Bahreïn, en 2011. Photo par Bahraini Activist via Wikimedia (CC BY-SA 3.0)

Cet article a été initialement publié sur Global Voices le 12 mai 2015.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

Le Royaume de Bahreïn est connu pour sa grande richesse pétrolière et de plus en plus pour ses violations des droits humains ainsi que des libertés religieuses. Cette nation de seulement 1 300 000 habitants est depuis longtemps un allié des Etats-Unis qui maintiennent une base militaire sur l’île depuis 1947.

Les Bahreïniens ont demandé, lors du soulèvement populaire de 2011, une plus grande responsabilité et un strict respect des normes relatives aux droits humains de la part du gouvernement. Depuis lors, beaucoup ont témoigné de la discrimination systématique et de la marginalisation des musulmans chiites par le régime. Les Al Khalifa, la famille au pouvoir à Bahreïn, [fr] est sunnite. La population pour sa part, est majoritairement chiite. Marc Lynch écrit dans le magazine Foreign Policy à l’heure des manifestations : « Le gouvernement Bahreïnien a répondu (aux manifestations) non seulement par l’usage d’une force violente, mais aussi en encourageant un sectarisme odieux dans le but de diviser le mouvement populaire et de mettre en place une structure nationale et régionale pour l’organisation d’une répression.»

Le régime est réputé être l’un des oppresseurs les plus impitoyable du discours politique en ligne. De nombreux journalistes, blogueurs, photographes et activistes numériques ont été arrêtés et emprisonnés pour leurs efforts visant à faire la lumière sur les violations des droits humains et à promouvoir leurs protections. Parmi eux se trouvent deux membres de notre communauté : Ali Abdulemam et Mohamed Hassan [fr]. Ils ont tous les deux été emprisonnés à cause de leur travail et vivent actuellement en exil. En février dernier (2015) le Bahreïn a révoqué la nationalité de 72 citoyens Bahreïniens (notamment Abdulemam). Bon nombre d’entre eux sont journalistes ou blogueurs.

Le président américain, Barack Obama, doit rencontrer aujourd’hui le prince héritier de Bahreïn, Salman bin Hamad bin Isa al-Khalifa, dont la famille règne sur la nation insulaire depuis le 18ème siècle.

Dans la lettre ci-dessous, Sayed Yousif AlMahafdah demande au président Obama « d’être la voix du peuple bahreïnien » et de souligner l’importance de la protection des droits humains pour tous les bahreïniens durant cette entrevue. Monsieur AlMahafdah est le vice-président du Centre de Bahreïn pour les droits humains, une organisation à but non-lucrative basée à Bahreïn et au Danemark. AlMahafdah se trouve à Berlin où il est forcé de vivre en exil depuis 2013 après avoir été la cible d’arrestations arbitraires et de torture pour ses actions en faveur des droits humains à Bahreïn.

Cher Président Obama,

Martin Luther King a associé la lutte pour la liberté, l’égalité et la justice pour les Afro-Américains à la lutte des peuples partout dans le monde : « L’injustice où qu’elle soit est une menace pour la justice partout. » Je vous écris aujourd’hui à propos de la lutte de mon peuple à Bahreïn.

À Bahreïn, nous souffrons de l’injustice et de l’inégalité depuis des décennies. Nous nous battons pour nos droits depuis plus longtemps. La famille royale, les Al Khalifa, et leur gouvernement ciblent et suppriment toutes les voix qui expriment la moindre opposition à leurs nombreuses violations contre leur propre peuple.

Les autorités gouvernementales s’attèlent constamment et systématiquement à cibler les musulmans chiites. Le gouvernement a détruit 38 mosquées chiites en 2011, ils ont autorisé la diffusion de discours haineux contre les chiites dans les médias, ils ont emprisonné des milliers de chiites et ne cessent d’utiliser une force excessive contre les manifestants chiites. Les chiites ne sont pas autorisés à travailler dans l’armée, ou à exercer d’importants postes au sein du gouvernement. Nous sommes traités comme des citoyens de seconde zone.

La lutte et les souffrances du peuple bahreïnien sont semblables aux combats menés par les Afro-Américains à l’époque des lois Jim Crow et à la lutte des Noirs Sud-Africains sous l’apartheid.

Laissez-moi vous raconter l’histoire de mes amis incarcérés à la prison de Jaw. C’est la plus grande prison pour hommes de Bahreïn, on y effectue les longues peines. Le traitement que subissent les prisonniers reflètent la discrimination des chiites hors des murs de la prison.

Le 10 mars à Jaw, des centaines de chiites, hommes et enfants, ont été battus collectivement, torturés et affamés. Les prisonniers ont utilisés des téléphones cachés pour poster des photos de leur torture sur les réseaux sociaux. Des gardiens ont agressé les chiites et ont moqué leur culte. Les gardiens les ont empêchés de pratiquer leur croyance et de faire leur prière. Certaines familles n’ont pas pu avoir de nouvelles de leurs proches emprisonnés ; et ce, des semaines durant.

En outre, les autorités persécutent quiconque ose relater ces crimes. Plus récemment, elles ont arrêté mon collègue, l’éminent défenseur des droits de l’homme Nabeel Rajab. Il a été condamné à 10 de prison pour avoir poster des tweets dénonçant ces faits et d’autres violations des droits de l’homme. Les tortures et abus se poursuivent à l’heure où je vous écris. Malheureusement, personne ne semble pouvoir mettre un terme à cela. D’ailleurs, personne ne semble s’en soucier.

Malgré cette discrimination nous sommes résolus à instaurer l’égalité, la liberté, et la démocratie que nous méritons comme tout autre peuple. Nous croyons aux paroles de Martin Luther King : « Notre vie se termine le jour où nous devenons silencieux à propos de choses qui comptent. » Si nous devions retranscrire les mots du Docteur King dans la réalité du peuple de Bahreïn : « Notre but, c’est d’être libres. Nous pensons que nous allons y parvenir, car, même si elle n’est pas à portée de main, le but de Bahreïn c’est d’atteindre la liberté. »

Nous vous exhortons à marcher sur les pas du pionnier de la défense des droits américains, Martin Luther King, et de soutenir notre combat. Soyez la voix du peuple bahreïnien lors de votre rencontre avec notre prince héritier.

Cordialement,

Sayed Yousif AlMahafdah
Défenseur des droits de l’homme et ancien prisonnier politique à Bahreïn
Vice-président du Centre de Bahreïn pour les droits humains

@saidyousif

Reportages de Global Voices sur les droits humains à Bahrëin

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