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L’indépendance du Belize me rappelle l’héritage compliqué de la colonisation

Catégories: Bélize, Gouvernance, Histoire, Médias citoyens, The Bridge
Devant un sapin de Noël, une petite fille, l’auteure pose avec sa grand-mère, cheveux gris, lunettes et tenant une canne.

Ma grand-mère, Bernice, et moi. Photo de l’auteure.

Cet article a été initialement publié en anglais sur le site Central American News [1].

Être historienne : tel était mon destin. Étant enfant, quand je n’étais pas inscrite aux activités de vacances d'été, je passais la plus grande partie de mon temps chez mes grands-parents dans le quartier d'Adams-Normandie à Los Angeles. J’ai toujours été une enfant curieuse (Comprenez : fouineuse). Ainsi, j’aimais beaucoup regarder les albums photos de ma grand-mère, et fouiller dans ses placards et ses boîtes pleines de souvenirs, et dans lesquelles se trouvaient des objets de collection, des assiettes et des posters à l'effigie de la reine Elizabeth II.

Ma grand-mère, comme beaucoup à travers le monde, aimait énormément la princesse Diana et la famille royale britannique en général (y compris les scandales). Entre les feuilletons américains en début d’après-midi et les infos et jeux télévisés en fin de soirée, que ma grand-mère aimait regarder, elle sortait parfois ses cassettes VHS du mariage ou des funérailles de la princesse Diana, et nous les regardions du début à la fin. Après le décès de ma grand-mère, il m’a fallu des années pour vraiment repenser à ces moments et réaliser pourquoi les partager avec moi, sa plus jeune petite-enfant, était si important pour elle qui avait grandi au Belize en tant que sujet colonial dans une colonie britannique.

Le Belize a été le dernier pays d’Amérique centrale à obtenir son indépendance le 21 septembre 1981. La longue route du Belize vers l’autonomie a été marquée par des conflits liés à l’esclavage, à la confiscation des terres et à des différends territoriaux. Par exemple, le Guatemala revendiquait le territoire bélizien, bien que le Belize ait été officiellement déclaré colonie de la Couronne britannique en 1862. En raison de cette revendication, le chemin parcouru par le Belize pour obtenir son indépendance au début des années 80, a été plutôt long. En 1992, le Guatemala a finalement reconnu le Belize comme un État souverain, même si des évènements récents ont conduit le Belize et le Guatemala à présenter leurs causes respectives à la Cour internationale de justice en 2019.

La colonisation britannique au Belize, comme dans de nombreux autres endroits des Caraïbes, était intrusive et omniprésente, touchant par le biais de la culture, de la politique, de l’éducation et d’activités commémoratives, toutes les facettes de la vie au Belize et dans sa diaspora. Les représentations archaïques de l’esclavage au Belize ont souvent été présentées comme bénignes et moins violentes que dans d’autres endroits en Amérique latine et aux Caraïbes – un argument contesté par de nombreux universitaires et historien·nes bélizien·nes.

Si l’esclavage au Belize n’était pas lié aux plantations, il a néanmoins été violent et a favorisé des formes particulières de résistance et la création d’une certaine identité. Les esclaves hommes travaillaient dans les camps de bûcherons pendant la majeure partie de l’année, tandis que les esclaves femmes étaient astreintes aux travaux domestiques et s’occupaient des ménages coloniaux de la ville. En comparaison avec d’autres colonies dans la région des Caraïbes, les préjugés, aussi bien politiques qu’académiques, sur l’esclavage au Belize étaient « minimes », mais ont néanmoins influencé la perception des relations raciales dans la colonie tout au long de cette période et des décennies qui ont suivi. Par exemple, la commémoration du 10 septembre comme jour férié découle d’un mythe de collaboration et de loyauté entre les colons noirs et les colons blancs qui se sont battus « côte à côte » pour se défendre contre une expédition navale espagnole – ce qui est devenu un récit de partenariat interracial spécifique au Belize. En fin de compte, les conditions historiques de l'esclavage, qui ont fait du Belize une exception dans la région, ont également contribué à établir une identité bélizienne qui s'est maintenue jusqu'à son passé colonial très récent.

Avec l’anniversaire de la bataille de St George’s Caye le 10 et l’indépendance le 21, le mois de septembre est l’un des moments les plus importants pour la communauté bélizienne, surtout à l’étranger. Les grandes fêtes qui ont lieu à Hollywood Park, à Inglewood et à Rancho Park dans le sud de Los Angeles ont été mon introduction aux festivités béliziennes. C'est l’occasion pour les Bélizien·nes de se rassembler dans la géographie racialisée de Los Angeles afin de célébrer l'indépendance d'un pays qu'elles et ils ont quitté il y a des années – voire pour certain·es, des décennies.

Il fait nuit. Une grande foule, sur laquelle tombe quelques confettis, est rassemblée devant une estrade. Certaines personnes dans la foule agite le drapeau du Belize. Au premier plan, sur l’estrade, une femme en jean et T-shirt blanc tient un micro et fait face à la foule. Derrière elle, une jeune fille semble danser, et une autre femme derrière encore souri. Devant elle, un homme marche tenant un projecteur a la main.

Photo reproduite avec l'aimable autorisation de BelizeInAmerica.net illustrant les célébrations du mois de septembre à Los Angeles, États-Unis, 2015.

Compte tenu du nombre considérable de Bélizien·nes qui ont émigré vers les États-Unis dans les années 1970 – émigration due à une récession économique au lendemain de l'ouragan Hattie en 1961 – les souvenirs du Belize qui étaient chers aux migrant·es, tels mes parents, étaient ceux d'avant l'indépendance. Les Bélizien·nes comme ma grand-mère, qui avait quitté le pays plusieurs années après l'indépendance, avaient pour mission de perpétuer ses traditions par le biais d’histoires, de cuisine et de fêtes. Ce travail de mémoire qui accompagne souvent les immigrant·es est imprégné de nostalgie et de mélancolie nationales.

En raison de cette histoire et de l’émigration de ma famille vers les États-Unis, mon expérience du Belize s'est faite dans une optique pré- et post-coloniale compliquée.

Par exemple, dans nombre de cas, les immigrant·es bélizien·nes de Los Angeles parlaient l'anglais (souvent appelé « l'anglais de la Reine »), plutôt que le créole, dans les espaces publics. Cela leur permettait de naviguer la rhétorique anti-immigration d’une ville qui a toujours connu des violences envers les communautés noires et brunes – alors que parler créole contribuait parfois à les assigner à l'existence énigmatique d'une identité anglo-caribéenne sur la côte ouest des États-Unis.

Penser à ma grand-mère et à ses allusions aux Bélizien·nes en tant que « Britanniques noir·es » (« Black British people ») me ramène à une génération et au moment historique de négociation de l’identité bélizienne, aussi bien avant qu’après l'indépendance. L'identité noire de ma grand-mère et son attachement à la Couronne britannique m'ont fourni certaines de mes premières leçons sur les complexités et les particularités de ce que signifie être Noir·e dans la diaspora. Je me suis souvent demandé si le fait de se percevoir comme Anglaise mais aussi Noire était aussi sa façon à elle de parler de l'hostilité et des préjugés envers les personnes noires dans la région – en se raccrochant à un système qui avait endoctriné la plupart des communautés caribéennes (et africaines) anglophones.

L’indépendance du Belize ouvre des perspectives sur les nombreuses façons dont l’Empire britannique a marqué les Caraïbes et certaines régions de l’Amérique centrale. En tant que chercheuse universitaire sur la diaspora bélizienne et aussi d’ascendance bélizienne, je vois le Belize à travers des lunettes à la fois affectueuses et critiques.

Je réfléchis à mes ancêtres et à mes proches et à la splendide culture qu’ils ont pu cultiver et préserver. Ensuite, je réfléchis aussi à l’histoire complexe qui doit faire l’objet d’un traitement critique et honnête en ce qui concerne le sort de nos populations noires et autochtones derrière le rideau de la colonisation.

Avec l’annonce récente [2] de la décision de la Barbade de devenir une république, révoquant la Reine Elizabeth II comme cheffe d'État, j’ai immédiatement pensé à ma grand-mère et à ce qu’elle en penserait. Comme au plus fort de la décolonisation dans les années 1960 et 1970 en Asie, en Afrique et en Amérique latine, je ne peux m’empêcher de penser, et d’entendre ma grand-mère dire avec son accent : « Ce n'est pas comme autrefois. » (« Dis ya time no stan like befo time »)

Les choses changent dans les Caraïbes, et le Belize pourrait suivre cette voie dans un proche avenir, abandonnant la Reine. Pourtant, je garde à l’esprit, encore et toujours, l’héritage compliqué de la colonisation dans la vie des Bélizien·nes.