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Se laver les mains régulièrement est considéré comme l'un des aspects les plus essentiels de la prévention du COVID-19 [fr]. Toutefois, des centaines des milliers de personnes au Salvador affrontent le COVID-19 sans accès fiable à l’eau [en]. Selon les Nations Unies, plus de 600 000 personnes n’avaient accès à aucun type de services d’eau potable ou d’assainissement en 2016, et plus d’un million de personnes avaient l’accès seulement à des services déficients d’approvisionnement en eau. Selon les médias, la situation a peut-être empiré en raison de la pandémie.
Rosa Amelia Mendoza, qui a 45 ans et est mère de trois enfants, réside à Colonia Altavista, une municipalité à environ 15 kilomètres du centre-ville de San Salvador. Elle se trouvait sans eau courante chez elle depuis le début de la pandémie en mars 2020. En réalité, l'arrivée d'eau au robinet est irrégulière depuis deux ans. Lors d’un entretien téléphonique avec Global Voices, elle a expliqué sa situation :
“Yo tengo miedo por mi familia, todos nos recomiendan que nos lavemos las manos con regularidad, sólo para asegurarnos de que el virus no nos llegue. Pero, ¿cómo puedo hacer eso si no hay agua para hacerlo? No hay ningún río o pozo cercano al que podamos ir a traer agua, y no tenemos los recursos para pagar un camión cisterna con regularidad. En este momento no estoy trabajando.”
Je suis inquiète pour ma famille, tout le monde préconise de se laver les mains régulièrement pour se protéger du virus. Mais comment est-on censé faire ça s’il n’y a pas d’eau ? Il n’y a pas de rivière ou de puits d'où nous pourrions tirer de l’eau, et on n’a pas les moyens de payer un camion-citerne régulièrement. Je suis sans emploi en ce moment.
L’histoire de Mme Mendoza est similaire à celle vécue par de milliers de communautés de la capitale de San Salvador et ses alentours. Les villes comme Illopango, Mejicanos, Soyapango, Ciudad Delgdo, Altavista et certaines zones de San Salvador, où vivent de nombreux ouvriers, sont considérées parmi les plus touchées. Selon l’agence de presse EFE, l’une de ces communautés, Soyapango, a également connu le deuxième taux de contagion du COVID-19 le plus élevé du pays.
L’absence d’eau courante dans les maisons n'est pas un problème récent. Pourtant, le COVID-19 a rendu la situation encore plus catastrophique puisque l’eau est cruciale pour le maintien des mesures d’hygiène contre le virus. Le journaliste Santiago Levia a confié à Global Voices par SMS :
“El agua es un tema tan oxidado como las cañerías que la sirven ocasionalmente, y es tan profundo, que a pesar de las protestas de calle que se hicieron en el pasado nunca hubo eco en los gobiernos pasados, y sigue siendo un líquido que aún no termina de privilegiar a toda la población.”
L’histoire de l’eau est aussi vieille que les tuyaux qui l'acheminent occasionnellement. Le problème de l’eau est si profond que malgré les manifestations qui ont eu lieu par le passé, ces préoccupations n'ont trouvé aucun écho auprès des gouvernements antérieurs. L’eau n’a jamais atteint toute la population salvadorienne.
Quelle est la source du problème de l’eau au Salvador ?
L’accès à l’eau n’est pas légalement reconnu comme un droit fondamental au Salvador, et la sécheresse menace le pays [en]. Même si le manque de régulation concernant l’eau et le changement climatique sont deux des raisons expliquant le déficit global d’eau au Salvador, l’absence des services publics est le problème le plus urgent dans les zones urbaines. Les communautés touchées à San Salvador, mentionnées ci-dessus, sont alimentées en eau par l’usine de traitement de Las Pavas [en], une ancienne usine de traitement d’eau qui devrait avoir été mise hors d’usage ou rénovée il y a des années avec les fonds approuvés par l’assemblée législative en 2012, 2016 et 2018. Le travail n’a jamais été terminé.
Las Pavas est la seule usine qui approvisionne en eau la grande zone métropolitaine de San Salvador. Pourtant, aujourd'hui, l'usine ne produit pas assez d'eau propre pour plus d'un million de personnes qui en dépendent. Si les installations devaient tomber en panne pendant la pandémie, comme au mois de janvier 2020, la situation deviendrait encore plus catastrophique
Les accusations et les affaires de corruption au sein de l'organisme responsable des services d'approvisionnement en eau (Administración Nacional de Acueductos y Alcantarillados, ou ANDA) se sont manifestées depuis le milieu des années 1990 [pdf]. Par exemple, Carlos Perla, président de ANDA de 1994 à 2002, vient de sortir de prison après une peine d'emprisonnement de 15 ans pour corruption. Récemment, Frederick Benites, président de ANDA sous le gouvernement de Nayib Bukele, informait le procureur général du Salvador de graves affaires de mauvaise gestions des fonds publics à hauteur de millions de dollars, qui durent depuis plusieurs années.
.@FredckBenitez: Hemos encontrado una mala gestión en los últimos 15 años, por eso ahora tenemos un déficit anual de $33 millones. pic.twitter.com/N4c8bRxZGr
— ANDA (@ANDASV) June 26, 2019
Nous avons constaté la mauvaise gestion de l'usine pendant les 15 dernières années, alors nous avons maintenant un déficit annuel de 33 millions de dollars.
L'administration de Nayib Bukele [fr] a affirmé que l'usine de traitement d'eau de Las Pavas a été mal entretenue et n'a pas été mise à niveau depuis la présidence de Francisco Flores, de 1999 à 2004. Le président Bukele a partagé des photos et a expliqué l'impact de la négligence et de la corruption de ces dernières années sur l'état de l'usine de Las Pavas.
Con solo ver las fotografías, les dije: “¿Cómo es posible que esto esté así? ¿Se imaginan el daño a la salud que le han estado haciendo a nuestra gente?
Por eso tanta insuficiencia renal, por eso tantas enfermedades estomacales”. pic.twitter.com/1V1Ri7dI0M
— ?? (@nayibbukele) October 26, 2019
Je leur ai dit en regardant les photos “Comment est-ce possible ? Pouvez-vous imaginer les répercussions sur la santé de notre peuple ?
C'est pourquoi il y a tant d'insuffisance rénale, tant de maladies d'estomac.”
Recours à l'eau minérale comme une intervention d'urgence
Dans l'immédiat, l'État, en collaboration avec ANDA, distribue de l'eau minérale aux communautés touchées, et a affrété des camions citernes. Le gouvernement a également prévu de creuser de nouveaux puits afin de fournir de l'eau et de ne plus dépendre de l'usine de traitement de Las Pavas. Selon leur site officiel, ANDA va prévoir de nouveaux équipements pour Las Pavas. ANDA a posté le 18 août sur Twitter que cela faisait partie du nouveau « Programme national pour l'eau » du gouvernement :
Periódicamente nuestro departamento de pipas y agua embotellada permanecen abasteciendo con agua potable a los usuarios de Sierra Morena 2.
Este día realizamos la entrega de 25 mil botellas con agua.
Continuaremos apoyando a zonas que presentan irregularidad en el suministro. pic.twitter.com/CT1PNuRfvn
— ANDA (@ANDASV) August 18, 2020
Nos tuyaux et notre service de distribution d'eau minérale vont continuer d'alimenter de façon périodique les consommateurs de Sierra Morena 2 en eau potable.
Aujourd'hui, nous avons livré 25 000 bouteilles d'eau.
Nous continuerons de soutenir les zones où l'approvisionnement en eau est irrégulier.
Toutefois, les résidents de Colonia Altavista se plaignaient de l'absence de service. Mme Mendoza, qui a reçu de l'eau minérale, est parmi les citoyens frustrés. Elle a expliqué :
La pipa de agua llega quizás una vez al mes, lo que no es suficiente para sobrevivir todo el mes. Estoy tan frustrada y enojada que estoy considerando dejar El Salvador una vez que termine la pandemia. La única razón por la que no me he ido a los Estados Unidos es que tengo niños pequeños.
Le camion citerne ne vient qu'une seule fois par mois, ce qui n'est pas suffisant pour survivre tout le mois. Je suis tellement frustrée et en colère que j'envisage de quitter le Salvador une fois la pandémie terminée. J'ai des enfants en bas âge, c'est la seule raison qui me retient de partir aux États-Unis.
En janvier, le président Bukele a proposé de rouvrir le débat, qui dure depuis 14 ans, sur l'accès à l'eau en tant que droit fondamental, et sur la possibilité de laisser le secteur public en charge de sa gestion, limitant ainsi sa privatisation. Les 7 et 8 septembre, une commission de l'assemblée législative, dirigée par l'opposition, a commencé l'étude des propositions de loi. Peut-être qu'à l'avenir, des milliers de Salvadoriens auront accès à l'eau courante pour boire et se laver les mains.