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Pakistan : des femmes organisent une manifestation nationale en réaction à un viol choquant

Catégories: Asie du Sud, Pakistan, Droit, Droits humains, Femmes et genre, Jeunesse, Manifestations, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique
Rassemblement de femmes, toutes portent un masque de protection faciale. Elles tiennent des banderoles avec des revendications en urdu et en anglais. Une inscription est visible en bas de l'image. Il y est écrit la "marche Aurat" en anglais, en rose et vert ainsi qu'une phrase en urdu, sur un fond noir. [1]

Marche Aurat Azadi (libération des femmes) au rond-point du Lahore Liberty, le 12 septembre 2020. Extrait de la vidéo YouTube d'Ilme Alim. Traduction : Pourquoi les femmes d'avant-garde sont-elles contre la peine capitale ?

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Le 12 septembre, des femmes pakistanaises ont mené des manifestations de masse dans les principales villes du pays [2] pour obtenir justice et exiger que les auteurs de violences sexuelles répondent de leurs actes, après un viol [3] très médiatisé commis dans la région de Lahore.

Le 9 septembre, une femme, conduisant de nuit avec ses trois enfants de Lahore à Gujranwala (97 km), a été victime d'un vol et d'un viol sous la menace d'une arme par trois hommes, suite à une panne d'essence de sa voiture, sur l'autoroute Lahore-Sialkt.

Selon la police du Pendjab, l'autoroute, nouvellement ouverte, ne dispose pas de patrouille de police [4].

Les médias sociaux se sont déchaînés après que l'officier de police de la capitale Lahore (Capital City Police Officer, CCPO), Umar Sheikh, a reproché [5] à la victime sa décision de se déplacer la nuit, lors d'une interview télévisée.

Peu après, un hashtag [6] exigeant la démission d'Umar Sheikh a fait le tour de Twitter.

Shireen Mazari, ministre fédérale des Droits humains du Pakistan, a fustigé la déclaration du CCPO :

Il est intolérable qu'un officier reproche pour ainsi dire à une femme d'avoir été victime d'un viol collectif, en lui disant qu'elle aurait dû prendre la route GT [la Grand Trunk Road ou simplement G.T. Rd, grande route transcontinentale] ou remette en cause la raison pour laquelle elle était sortie la nuit en compagnie de ses enfants, et je me suis saisie de cette affaire. Rien ne saurait justifier le crime de viol. Fin de la discussion.

L'avocate Khadija Siddiqui, agressée brutalement [8] par un camarade de classe dans une rue de Lahore en mai 2016, a également dénoncé les propos du CCPO :

Le CCPO prétend que dans notre société, les femmes et enfants ne sont pas autorisés à sortir après minuit et demi ! Qui êtes-vous pour nous poser des limites de temps ?
J'ai été poignardée 23 fois en plein jour ! Ne nous dites pas que le “moment” est directement associé à l'occurrence d'un délit !

[description vidéo]
On y voit s'exprimer Umar Sheikh, officier de police de la capitale Lahore à propos des possibles raisons du viol survenu sur l'autoroute. Il s'exprime en urdu lors d'une conférence de presse. Il est plutôt âgé, porte des lunettes et une moustache, et est vêtu de son uniforme de policier. Il est cadré au niveau du visage.

Un des grands slogans [2] des rassemblements du 12 septembre était « Mera Jism Meri Marzi » (en français : « Mon corps, mon choix »).

Les organisateurs de la Marche Aurat [12] (en français : « Marche des femmes »), qui ont participé à la mobilisation dans différentes villes, ont publié une charte de revendications, prévoyant notamment l'opposition aux pendaisons et le renforcement des réformes judiciaires et policières pour garantir « que nos corps soient en sécurité et que les auteurs de violences rendent des comptes ».

Notre charte de revendications dans le cadre de la manifestation d'aujourd'hui, au rond-point de Liberty, à 17h.
Nous nous opposons aux pendaisons publiques et appelons à une réforme significative garantissant la protection de nos corps et l'obligation de rendre des comptes pour les actes de violence.
— ⁧عورت مارچ لاہور⁩ – Aurat March Lahore (@AuratMarch) September 12, 2020

[description vidéo]
La vidéo présente sur un fond violet les 8 revendications inscrites dans une charte. Tout à la fin s'affiche un texte d'opposition aux pendaisons et à la peine de mort. La vidéo dure 1 minute et se termine avec le slogan « Mon corps, mon choix ».

Nous, en tant qu'organisateurs de la manifestation, tenue à la lumière de cette attaque scandaleuse sur l'autoroute, exigeons une justice rapide pour toutes les victimes de violences sexuelles MAIS nous nous opposons à la peine capitale et à la violence génératrice de violence. Voici notre liste de revendications.
— Aurat Azadi March Islamabad (@AuratAzadiMarch) September 11, 2020

[image]
L'image montre les 10 revendications de la charte. Elles sont inscrites sur un fond marron, en anglais.

Nous, les organisateurs de la manifestation Mera Jism Meri Marzi à Karachi, exigeons que justice soit faite, que [les personnes concernées prenennt] leurs responsabilités, que cesse de la violence et que des réformes structurelles [soient mises en place]. Nous exigeons un changement radical au sein de nos institutions publiques afin de faire cesser cette culture de la violence et du contrôle patriarcal.
— Aurat March – عورت مارچ (@AuratMarchKHI) September 12, 2020

[image]
L'image présente les revendications de la charte, insistant sur l'opposition aux pendaisons publiques et à la peine de mort.  Elles sont inscrites sur un fond jaune, en anglais.

En 2019, 3 881 cas de viols et 1 359 cas d'abus sexuels d'enfants ont été répertoriés [21] rien qu'au Pendjab. Selon les statistiques de la police du Pendjab [22], 2 043 cas de viols ont été signalés au cours des six premiers mois de l'année 2020.

La police poursuit son enquête sur l'agression survenue sur l'autoroute. Si des suspects ont été identifiés [23], aucune arrestation n'a encore eu lieu.

Débat autour de la peine de mort sur les médias sociaux

Au Pakistan, chaque fois qu'un viol fait la une des médias, les gens réclament la peine de mort pour les hommes accusés de viol. La situation n'est guère différente aujourd'hui, et le hashtag #HangRapistsPublically [25] (Pendez les violeurs en public) est devenu incontournable sur les médias sociaux.

La section féminine du Jamat-e-Islami [26] [fr], un parti politique religieux qui a également organisé des manifestations en réponse à l'incident de l'autoroute, figurait parmi les comptes ayant tweeté ce hashtag.

La secrétaire générale de la section féminine du Jamat-e-Islami (JI Women Wing), Mme Durdana Siddiqui, est intervenue aujourd'hui au Khi Press Club lors de la manifestation. Elle a sollicité la protection des femmes et a réclamé la pendaison publique des violeurs.
— Jamaat e Islami Karachi (Official) (@KarachiJamaat) September 11, 2020

[image]
On distingue quelques femmes entièrement voilées. Deux femmes font face à la camera. La première s'exprime au micro. On devine un journaliste homme au vu de sa main, son visage est hors caméra. La seconde porte une affiche entre ses mains, avec une revendication en anglais : « Protect Women and Children » (Protégez les femmes et les enfants). En bas figure une indication de leur affiliation à la section féminine du parti religieux Jamat-e-Islami.

Dans une interview, le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a également plaidé en faveur des pendaisons. « Ils [les violeurs] devraient recevoir des punitions exemplaires. À mon avis, ils devraient être pendus au chowk [carrefour] », a déclaré [31] Imran Khan.

Le gouvernement fédéral du Pakistan a également fait écho aux vues du Premier ministre, tout en favorisant la « castration chimique » comme châtiment afin de préserver le pays des éventuelles critiques émanant de l'Occident.

Pour ma part, je considère que les pédophiles et les violeurs doivent être pendus publiquement, mais il semble que nous ferions face à des retombées internationales. Le statut SPG de l'Union Européenne pour les échanges avec le Pakistan [Système généralisé de préférences, programme de préférences commerciales pour les biens provenant des pays en développement] risque d'être affecté par ces pendaisons publiques. Je pense donc que la castration chimique est préférable pour ces criminels.
— PTI (@PTIofficial) September 14, 2020

Cependant, d'autres se sont opposés à de telles mesures punitives. La journaliste Mehreen Zahra Malik a ainsi déclaré :

En vertu du système de préférences généralisées (SPG-plus) de l'Union Européenne, octroyé au Pakistan en 2014, le respect des conventions internationales, telles que les droits humains, est une condition sine qua non. Ne croyez pas qu'ils se réjouiront des castrations chimiques et des exécutions publiques. #affairedelautoroute #incidentdelautoroute
— Mehreen Zahra-Malik (@mehreenzahra) September 14, 2020

Reema Omer, conseillère juridique à la Commission internationale des juristes, a indiqué :

Outre la pendaison publique, certains députés ont également suggéré la « castration chimique » comme sanction pour le viol
Une proposition similaire a été faite au Comité J. Verma (J. Verma Committee [39], constitué pour réformer la loi après le viol collectif de Delhi) en Inde.
Le Comité l'a rejeté pour les raisons suivantes :

[capture d'écran de la décision du Comité J. Verma indiquant que la castration chimique comporte des effets secondaires et enfreint les normes en vigueur en matière de droits humains.]

— Reema Omer (@reema_omer) September 14, 2020

Le journaliste Zarrar Khuhro a tweeté :

Il faut parler de réforme systémique. Castration chimique, pendaison publique, dissolution dans l'acide… tout cela vient après. La plupart des cas de viol ne sont pas dénoncés à cause de difficultés auprès de la police, de conflits juridiques et sociétaux. Et, parmi ceux qui arrivent au tribunal, 96 % sont acquittés.
— Zarrar Khuhro (@ZarrarKhuhro) September 14, 2020