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En Crimée, la blogueuse Liza Bogoutskaïa et son point de vue pro-ukrainien sont malvenus

Catégories: Russie, Ukraine, Droit, Droits humains, Médias citoyens, Advox
La blogueuse Liza Bogoutskaïa pose devant sa voiture en minijupe, débardeur et lunettes de soleil.

La blogueuse Liza Bogoutskaïa brave les routes de Crimée à bord d'une voiture décorée aux couleurs de l'Ukraine. Photo tirée de Facebook.

Cet article fait partie d'une recherche approfondie de RuNet Echo [1] sur la blogosphère russophone en Ukraine de l'Est. Retrouvez la série d'interviews complète sur la page Eastern Ukraine Unfiltered [2] (Ukraine de l'Est sans filtre). 

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Liza Bogoutskaïa compte plus de 20 000 abonnés sur sa page Facebook [3]. Bien que cette page animée par la blogueuse originaire de Simferopol ait été au départ essentiellement un espace de sociabilité sans but politique, son franc-parler contre ce qu'elle considère comme une occupation illégale par la Russie de sa Crimée natale a fait d'elle une favorite des pro-ukrainiens en ligne. Mais cela a également fait d'elle une ennemie de l'État russe, qui dirige désormais la Crimée.

Le lundi 8 septembre, Liza Bogoutskaïa a été réveillée très tôt par des voix inconnues devant chez elle, avant d'entendre des coups de feu.

Когда я еще спала, я услышала голоса у себя во дворе. У меня частный дом, и приватный дом. Моя собака отреагировала. И ествественно выскочила на улицу. Я тогда услышала выстрелы. Стреляли в мою собаку. Они не убили собаку, но они прострелили щеку моей собаке.

Alors que je dormais, j'ai entendu des voix devant chez moi. Je vis dans une maison indépendante, pas dans un appartement. Ma chienne a réagi. Tout naturellement, elle a couru en direction de la rue. C'est à ce moment que j'ai entendu des coups de feu. Ils étaient en train de tirer sur ma chienne. Ils ne l'ont pas tuée, mais ils lui ont effleuré la joue.

Il s'est alors avéré que ces inconnus devant chez elle étaient des représentants du gouvernement russe qui étaient venus perquisitionner sa propriété.

Моя дочь успела схватить мой телефон и убежала быстро в другую комнату. Зашла в телефоне на мою страничку Фейсбука и написала что у нас дома обыск.

Ma fille a réussi à prendre mon téléphone et elle s'est vite réfugiée dans une autre pièce. Elle est ensuite allée sur ma page Facebook sur mon téléphone et a écrit que notre maison était en train d'être perquisitionnée.

Les hommes qui perquisitionnaient la maison de Liza Bogoutskaïa cherchaient des armes, des drogues ou des « œuvres littéraires interdites ». La blogueuse a décrit les enquêteurs comme suit :

Четыре человека в масках… автоматчики крупного телосложения такого… человек в штатском… и два свидетеля, которых они привезли со собой… Это их лица, это не независимые лица.

Quatre personnes portant un masque… des hommes d'une très forte corpulence armés de mitrailleuses… une personne en habits civils, et deux « témoins » qu'ils ont amenés avec eux… Mais ces personnes étaient des leurs, ce n'étaient pas des individus impartiaux.

Bien que les enquêteurs « n'aient jamais trouvé ni caché » quoi que ce soit d'illégal dans la maison de Liza Bogoutskaïa, ils ont tout de même confisqué tous ses appareils électroniques.

Они изъяли у меня компьютеры. Изъяли другие носители информаций, флеш-карты изъяли… и естественно все телефоны изъяли.

Ils ont confisqué mes ordinateurs. Ils ont confisqué d'autres dispositifs d'information, mes clés USB et bien évidemment tous les téléphones.

Lors d'un entretien pour RuNet Echo, à la question de savoir si elle pensait que la perquisition de sa propriété était liée à ce qu'elle pouvait écrire en ligne, la blogueuse a été catégorique. « C'est sans aucun doute lié », a-t-elle dit.

After her house was searched, Liza Bogutskaya pendant son arrestation. On distingue une voiture de police et un homme en treillis, de dos.

Après la perquisition de son domicile, Liza Bogoutskaïa a été détenue et interrogée pendant des heures. Photo de Shevket Namatullaev sur Facebook.

Mme Bogoutskaïa pense que la perquisition était liée aux élections locales en Crimée [4] qui se sont déroulées le dimanche 14 septembre, et à sa volonté d'écrire sur la situation désespérée des Tatares de Crimée, dont les maisons et les mosquées ont subi des attaques  [5]ces dernières semaines, et dont les dirigeants ont été bannis de Crimée. Elle pense également que la perquisition était liée à sa très grande visibilité à Sébastopol (elle conduit une voiture décorée de vieux motifs traditionnels ukrainiens et porte souvent des vêtements bleus et jaunes).

Ну естественно это я все пишу, об этом я говорю… и всегда говорила достаточно смело и достаточно жестко. И разумеется что нынешним властям не нравится мое поведение и не нравится то, что я пишу обо всем и очень свободно передвигаюсь по городам, очень свободно себя чувствую.

Naturellement, j'écris sur tous les sujets… et j'ai toujours été assez courageuse et assez dure dans ma façon de parler. Et il s'avère que les autorités actuelles n'aiment pas mon comportement et n'aiment pas que j'écrive sur tout, que je voyage assez librement de ville en ville, me sentant plutôt libre.

Après avoir été interrogée en tant que « témoin » pendant plusieurs heures, Liza Bogoutskaïa a été relâchée. Ne se sentant plus libre d'écrire et de parler de ce qui se passe actuellement en Crimée, elle a quitté le territoire et vit maintenant à Kiev. Son départ a été une évidence pour elle :

Нужно уехать, потому, что мне не дадут возможность больше писать там. Я уеду. Смогу дальше писать. Смогу дальше говорить и я смогу доносить свои мысли до моих читателей.

Je devais partir, car on ne m'aurait pas donné la possibilité de continuer d'écrire là-bas. Donc je suis partie. Je vais pouvoir écrire plus. Je vais pouvoir parler plus et je vais pouvoir transmettre mes pensées à mes lecteurs.

Liza Bogoutskaïa pense que ses mises à jour sur Facebook, qui reçoivent souvent des milliers de mentions “j'aime”, attirent des lecteurs essentiellement en raison de leur résonance émotionnelle, contrairement aux analyses ou reportages traditionnels plutôt ennuyeux.

Я пишу свои статьи сердцем. Я стараюсь повлиять на эмоции людей, я стараюсь взывать к их эмоциям. Надо действовать так, чтобы люди могли оценить все, что происходит… Я думаю что, из-за того что я пишу сердцем… очень много рассказываю о своей семье, очень много рассказываю о своем прошлом, люди мне сочувствуют и понимают, что я не абстракт.

J'écris avec le cœur. J'essaye d'émouvoir les gens. J'essaye de les toucher émotionnellement parlant. Il faut agir de cette façon pour que les personnes puissent vraiment réaliser ce qu'il se passe… Je pense que c'est parce que j'écris avec le cœur… que je parle beaucoup de ma famille, que je parle beaucoup de mon passé, que les gens compatissent avec moi et comprennent que je ne suis pas une abstraction.

Liza Bogoutskaïa a beau tenir tête aux autorités russes et de Crimée, son cas montre clairement que l'expression aussi ouverte d'une différence d'opinion ne sera plus tolérée. Bien que la Russie ait introduit une pléthore de lois ayant pour but de maîtriser la blogosphère, cette affaire met en évidence le fait que, tandis que les lois obligeant les blogueurs à s'inscrire et les dispositifs de fermeture d'Internet proposés pourraient être des sources de préoccupation, au bout du compte, l'intimidation à l'ancienne peut être tout aussi efficace.