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Nigeria : des élèves et leur enseignante kidnappé·e·s à Kaduna, dans un contexte d'explosion du banditisme

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Nigéria, Cyber-activisme, Education, Gouvernance, Guerre/Conflit, Jeunesse, Médias citoyens
L'image montre plusieurs enfants d'origine africaine. Il y a des garcons et des filles. Les filles sont habillées avec une tenue islamique. Tous les enfants font face à la caméra. Ils sont à l'extérieur, dans une école. Dans la cour, on distingue des poteaux de couleur verte. Un des poteaux se trouve au centre de la photo, sur lequel deux enfants se tiennent.

Des écoliers dans l'État de Kaduna, au Nigeria. Photographie de Jeremy Weate [1], 15 janvier 2010 via Flickr, sous licence CC BY 2.0 [2].

L’article d'origine [3] a été publié en anglais le 11 septembre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Des bandits armés ont attaqué une école secondaire à Kaduna, au nord-ouest du Nigeria, le 24 août, faisant un mort et kidnappant quatre écoliers et une enseignante, selon le média en ligne nigérian SaharaReporters [4].

Ces hommes armés, arrivés à moto vers 7h45 au village de Damba-Kasaya, dans la circonscription administrative locale de Chikun, dans l'État de Kaduna, ont d'abord fait une descente dans le quartier, où ils auraient abattu [5] Benjamin Auta, agriculteur, selon le journal nigérian en ligne Premium Times.

Les hommes armés se sont alors dirigés vers l'école secondaire Prince Academy, dans laquelle ils ont kidnappé la professeure Christianah Madugu et quatre élèves : Favour Danjuma, 9 ans, Miracle Danjuma, 13 ans, Happy Odoji, 14 ans, et Ezra Bako, 15 ans.

Isiaka Odoji, le père de Happy, a déclaré au quotidien nigérian Daily Trust [6], que les hommes armés réclamaient une rançon de 20 millions de nairas (environ 53 000 dollars américains) en échange de la libération de leurs enfants – une somme que les parents ne sont pas en mesure de payer.

Les élèves kidnappé⸱e⸱s étaient en dernière année de collège et passaient leurs examens de fin d'études. En raison de la pandémie COVID-19, seul⸱e⸱s les élèves en fin de cycle ont été autorisé⸱e⸱s à revenir à l'école.

Le gouvernement fédéral et celui de l'État de Kaduna ont, tous deux, gardé le silence [7] sur le sort des collégien⸱ne⸱s enlevé⸱e⸱s et de leur professeure.

« Une journée normale au Nigeria »

Ndi Kato, utilisateur de Twitter, a qualifié l'incident de tragique pour la nation :

Aujourd'hui, dans l'État de Kaduna, des élèves en fin de cycle, appelé·e·s à reprendre l'école, ont été kidnappé⸱e⸱s par des hommes armés. L'un d'entre eux aurait été tué. Un petit garçon dont la vie a été trop tôt fauchée. Les autres enfants ont été enlevés et nous risquons de ne plus jamais en entendre parler.
Cela devrait bouleverser n'importe quelle nation…

Néanmoins, c'est encore « une journée normale au Nigeria » a ironisé Chima Chigozie, sur Twitter :

Des écoliers ont été kidnappés à Kaduna, l'un des écoliers a été assassiné au cours de l'attaque. La vie de ce garçon a été abrégée, les écoliers sont maintenus dans la terreur. Cette situation devrait faire bondir la nation mais NON, c'est une journée normale au Nigeria.

Jaja tient la politique pour responsable de l'absence d'empathie et d'indignation de la part des pouvoirs publics vis-à-vis des élèves kidnappé⸱e⸱s :

Les garçons de Kaduna enlevés ne recevront pas le même soutien et la même attention que les filles de Chibok car, tout d'abord, ce sont des garçons, et ensuite, Goodluck Ebele Jonathan n'est plus président. [Contrairement à ce que laisse entendre ce tweet, il semblerait qu'il y ait plusieurs filles parmi les élèves kidnappé⸱e⸱s, ndlt.]

Goodluck Ebele Jonathan dirigeait le Nigeria quand, en avril 2014, 276 écolières d'un lycée public avaient été kidnappées par des militants de Boko Haram, dans la ville de Chibok, au nord-est du pays. Cette affaire a donné naissance à un mouvement mondial autour du hashtag #BringBackOurGirls [11] (Ramenez nos filles), lequel a trouvé un écho auprès de millions de personnes à travers le monde.

Le 19 février 2018, Boko Haram a également raflé 110 écolières [13] de l'École supérieure scientifique et technique pour filles de Dapchi, dans l'État de Yobe, au nord-est du Nigeria.

L'enlèvement des élèves de Damba-Kasaya et de leur enseignante provoque un effroyable sentiment de déjà vu.

Seule différence : cette fois-ci, les responsables de cet épouvantable drame sont des bandits armés et non Boko Haram.  

Le fléau des bandits de Kaduna

La violence du banditisme a explosé dans les États de Zamfara, Kaduna, Niger, Sokoto, Kebbi et Katsina, au nord-ouest du Nigeria.

L'ACAPS, un groupe de réflexion humanitaire indépendant, considère que [15] cette violence armée est « sans lien avec l'insurrection de Boko Haram dans le nord-est » :

The banditry violence began as a farmer/herder conflict in 2011 and intensified between 2017 to 2018 to include cattle rustling, kidnapping for ransom, sexual violence and killings. By March 2020, more than 210,000 people have been internally displaced.

Les actes de violence liés au banditisme ont éclaté en 2011, sous la forme d'un conflit entre agriculteurs et éleveurs et se sont intensifiés entre 2017 et 2018, avec des vols de bétail, des enlèvements contre rançon, des violences sexuelles et des meurtres. En mars 2020, plus de 210 000 personnes avaient été déplacées sur le territoire national.

Les communautés rurales ont été livrées à la merci de ces bandits qui, entre janvier et juin de cette année, ont massacré au moins 1 126 personnes dans le nord du pays.

Les villages du sud de Kaduna restent les plus touchés, avec 366 vies sacrifiées au cours du premier semestre 2020, selon Amnesty International [16].  

La circonscription locale de Chikun (Local Government Area, LGA), où résident les écoliers kidnappés, avait été victime d'une série d'attaques de milices ayant entraîné des morts, des enlèvements, et « 45 communautés délogées [17] et sous occupation depuis 2019 », selon [18] l'Union des peuples du sud de Kaduna.  

Les habitants du sud de Kaduna avancent que les bandits [19] seraient des bergers peuls, chargés d'une mission de confiscation des terres avec le consentement passif du gouvernement fédéral et celui de l'État.

Cependant, le gouverneur de l'État de Kaduna, Nasir El-Rufai, a démenti tout lien entre le carnage [20] et la spoliation des terres, ou une quelconque justification ethnoreligieuse.

Ainsi, le 22 août, le gouvernement de l'État de Kaduna a assoupli le couvre-feu [21], qui est désormais observé de 18 heures à 6 heures du matin [au lieu de 24 h/24, comme c'était le cas depuis le 11 juin 2020 [22]]. Cette mesure avait été imposée dans certaines parties de l'État pour juguler le banditisme.

Néanmoins, Luka Binniyat, porte-parole de l'Union des peuples du sud de Kaduna (Southern Kaduna Peoples Union, SOKAPU), se désole que « la faim nous ronge aussi parce que nous ne pouvons pas accéder à nos fermes. Notre peuple est sans défense. »