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Nicaragua : 18 dirigeant·es indigènes et noir·es détenu·es après avoir documenté des accaparements de terres dans leur réserve

Catégories: Nicaragua, Dernière Heure, Droits humains, Environnement, Médias citoyens, Peuples indigènes
Quatre membres de la communauté Kriol assis en rang, l'air pensif et triste.

Princesse Barberena ainsi que d'autres membres de la communauté Kriol. Photo prise par l'auteure en novembre 2019.

Le 27 septembre, princesse Barberena [1] [en], une militante écologiste et féministe kriol noire du Nicaragua a été arrêtée [2] [en] par des soldats nicaraguayens, qui se sont aussi saisis du garde forestier Kriol Roger Joseph et de 16 autres dirigeants, avocats et gardes forestiers noirs et indigènes de la communauté Rama-Kriol. Les 18 militant·es ont été détenu·es dans une maison près de Boca de Sabalos [3] [en], dans le sud-est du pays. 17 d’entre eux ont été relâché·es plus tard dans la nuit. Jaime McCrea Williams, président du gouvernement territorial Rama et Kriol, a été emmené par l'armée et n'a pas été revu depuis. Selon le journaliste Gerall Chavez [4], McCrea aurait été conduit à Boca de Sabalos pour un complément d’enquête.

Les dirigeants Rama et Kriol ont été privés de leur liberté alors qu'ils documentaient les dégradations écologiques et l'accaparement des terres dans la réserve naturelle d’Indio Maiz, selon l'ONG environnementale locale Fundacion del Rio [2] [es]. 70 % de la réserve appartient [5] [en] légalement aux Rama et Kriol, qui jouissent de droits territoriaux politiques sur leurs terres depuis 2002. Indio Maiz est l'une des deux réserves nicaraguayennes reconnues [6] [en] par l'UNESCO pour sa diversité. Elle joue aussi un rôle clé dans le corridor biologique mésoaméricain. Depuis 2015, les gardes forestiers Kriol et Rama, qui se sont formés en autodidactes, surveillent [5] [en] la déforestation et l'accaparement des terres dans la réserve biologique, car les gardes forestiers de l'État se font de plus en plus rares.

Au Nicaragua, la pression s'est accrue sur les communautés indigènes et afro-descendantes autonomes de la côte caraïbe au cours de la dernière décennie. Le président Daniel Ortega prévoyait de recevoir des investissements de la société chinoise HKND pour construire un canal interocéanique [7] à travers le pays, empiétant ainsi sur les terres autochtones – projet qui s'est heurté à une résistance massive [8] [es] de la part des communautés indigènes et du grand public. Le projet reste donc en suspens pour l'instant. Mais, pour les avocats, les universitaires et les résidents locaux Rama et Kriol, cela expliquerait [9] [en] pourquoi le gouvernement Ortega ne fait rien pour empêcher la déforestation dans la réserve. Les colons sont des agriculteurs, des mineurs et des pasteurs chrétiens. Ils mettent du bétail sur les terres, y bâtissent des communautés, en vendent des arpents ou s'engagent dans le commerce de ressources naturelles. Entre 2000 et 2018, Indio Maiz a perdu [10] [en] 52 % de son manteau forestier. L'ONG environnementale nicaraguayenne Centro Humboldt a sonné l’alerte [11] [en] en 2017 : si la déforestation continue à ce rythme, les forêts du Nicaragua auront disparu d'ici 2028.

Cinq hommes se tiennent devant une maison. tous portent une casquette. Les 4 premiers portent un T-shirt et le dernier une chemise.

Gardes forestiers Kriol. Photo prise par l'auteure en novembre 2019.

Depuis 2018, le gouvernement Ortega a intensifié sa répression contre l'opposition politique et les ONG. Au cours de manifestations anti-gouvernementales, plus de 300 jeunes sont morts [12] [en] sous les balles des forces de sécurité anti-émeute et des paramilitaires de l'État. Daniel Ortega, le président, est accusé [13] de crimes contre l'humanité. Depuis lors, plus de 50 journalistes ont fui le pays et 86 militant·es démocrates et membres de l'opposition politique sont toujours derrière les barreaux [14] [en], près d'un an après la libération [15] [es] de 96 prisonniers et prisonnières politiques. Beaucoup auraient été torturé·es [16] [es ; pdf] dans les prisons nicaraguayennes.

Les communautés indigènes et créoles du Nicaragua ont obtenu des droits légaux sur leurs terres grâce à la loi 445 [17] de 2002, qui définit leur régime de propriété communautaire. Dans la vidéo ci-dessous prise pendant sa détention, Princesse Barbarena explique au chef des casernes militaires ces droits légitimes sur leurs terres.

Voilà comment est arrivé le chef de la caserne militaire dans cette communauté indigène : flanqué de plusieurs membres de l'armée, avec des fusils AK afin d’intimider les chefs indigènes qui tentaient de documenter les invasions de leurs terres – invasions encouragées par le Front sandiniste de libération (FSLN).

Barberena et d'autres femmes afro-indigènes ont exigé que les soldats arrêtent de pointer leurs AK-47 sur le président indigène Jaime Williams au moment de son arrestation. Selon le communiqué de presse [4] [es] publié ultérieurement par l’armée nicaraguayenne, les forces armées procédaient à un contrôle d’identification de routine sur les personnes traversant la réserve.

Un contingent de l'armée sandiniste [Armée du gouvernement de Daniel Ortega, chef du parti sandiniste] prend en otage des chefs indigènes du gouvernement territorial Rama et Kriol. Ici, on peut voir des soldats se comporter de manière agressive, pointant leurs AK-47 sur un homme désarmé et qui ne fait aucun geste de résistance.

Remarque : Le terme “indigène” traduit ici de manière littérale, désigne les peuples qui ont une continuité historique antérieure à la colonisation et qui ne s'identifient pas aux peuples qui les ont colonisés. En Amérique latine, ce terme recouvre notamment une revendication de résistance à l’expansion de la civilisation occidentale.