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Les chauffeurs routiers sont blâmés pour la propagation du COVID-19 en Afrique de l'Est

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Kenya, Ouganda, Rwanda, Tanzanie, Zambie, Action humanitaire, Droits humains, Economie et entreprises, Femmes et genre, Gouvernance, Guerre/Conflit, Idées, Manifestations, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Politique, Santé, Travail, Voyages

Un camion chargé de bière de la marque Kilimanjaro garé dans la ville de Karatu en Tanzanie. Photo par Pernille Bærendtsen, reproduite avec son autorisation.

L’article d'origine [1] a été publié en anglais le 15 mai 2020.

Le nombre de cas de coronavirus demeure relativement faible [2] [en] en Afrique de l'Est, mais les responsables de la santé indiquent que les passages frontaliers, à travers lesquels les camionneurs passent quotidiennement avec les produits essentiels, sont devenus des points sensibles de contamination.

Alors que la plupart des pays d'Afrique de l'Est ont vécu différents degrés de confinement  [3][en], les camionneurs sont le pouls du commerce régional, parcourant les routes de la région en tant que travailleurs essentiels.

Les frontières entre les pays d'Afrique de l'Est notamment la Tanzanie, le Rwanda et le Kenya sont devenues des lieux de confusion, de chaos, d'embouteillage et des manifestations alors que les camionneurs font face à une avalanche de nouvelles restrictions temporaires liées au COVID-19.

Kenya : test obligatoire

Le Kenya a mis en place des tests obligatoires de COVID-19 au poste-frontière de Namanga, entraînant des retards massifs et laissant les camionneurs coincés avec des marchandises périssables.

Dépistage des camionneurs
Deuxième journée du dépistage des camionneurs venant de Tanzanie
Les camionneurs exhortent les responsables à réduire le temps nécessaire pour faire le test #CitizenWeekend

Depuis le 14 mai, 33 camionneurs [7] [en] au moins ont testé positif à la frontière entre la Tanzanie et le Kenya dans la ville de Namanga.

Le Kenya envoie une équipe médicale d'urgence à la frontière avec la Tanzanie pour des tests de dépistage obligatoire pour les camionneurs au passage frontalier de Namanga, en raison des problèmes de transmission liée au Covid19 en provenance du pays voisin.

Les camionneurs kényans qui ont testé positif ont été autorisés à entrer à Kenya et à s'isoler mais les camionneurs tanzaniens ont été interdits d'entrer et ont été forcés de rentrer chez eux. On ne sait pas s'ils ont été emmenés dans des établissements de santé pour se mettre en quatorzaine ou s'ils devaient s'isoler chez eux.

Panneau indicateur de l'hôtel First & Last de Namanga, situé du côté tanzanien de la frontière avec le Kenya. Les villes frontalières d'Afrique de l'Est sont souvent des zones de forte affluence, qui, en plus de l'immigration et des douanes, fournissent des services tels que des bars, restaurants et des hôtels. Photo par Pernille Bærendtsen, reproduite avec son autorisation.

Mercy Mwangangi, la ministre kényane de la Santé, explique qu'outre les frontières poreuses, “les camionneurs sont en train de devenir l'autre maillon faible dans la lutte contre le virus”, comme l'indique [7] [en] The Citizen, un journal tanzanien.

Avant de quitter le Kenya ou d'y entrer, les camionneurs kényans doivent maintenant présenter un certificat [14] [en] au niveau des douanes pour prouver qu'ils ne sont pas infectés.

Les responsables kényans envisagent fermer les frontières [15] [en] avec la Tanzanie pour limiter la propagation du virus, mais aucune décision n'a été prise jusqu'à présent.

Rwanda : retards et manifestations

Au début du mois de mai, les camionneurs tanzaniens étaient mécontents lorsque, arrivant à la frontière rwandaise de Rusomo chargés de marchandises essentielles, ils ont été informés qu'ils devaient confier leurs camions à de nouveaux chauffeurs.

Cette mesure [16] [en]  de “relais” a été mise en place par les autorités rwandaises qui ont constaté une hausse des cas d'infection parmi les camionneurs. La directive aurait mené à des actes de violence au poste-frontière de Rusomo, ce qui est ensuite devenu un sujet de débat sur Twitter :

Si tel est le cas, les camionneurs rwandais sont alors en danger. #covid19Tanzanie

Cet internaute a décrit ces tensions comme de la xénophobie :

Que quelqu’un sauve nos chauffeurs de cette xénophobie

Plus de 90 % [16] [en] des marchandises du Rwanda sont importées via la capitale culturelle de la Tanzanie, Dar es Salam, à travers le poste-frontière de Rusomo, qui a enregistré le nombre le plus élevé de cas en une journée.

Abdul Ndarubogoye, le président de l'Association de camionneurs du Rwanda a affirmé [14] [en] que la plupart des chauffeurs conduisaient sans équipement de protection tels que des masques ou des gants.

Ouganda : famine, vols, embouteillages

Pour les pays enclavés comme l'Ouganda et le Soudan du Sud, les camionneurs sont un lien vital pour le transport de marchandises vers l'intérieur des terres depuis les villes portuaires côtières comme Dar es Salaam, en Tanzanie et Mombasa, au Kenya.

L'Ouganda a été l'un des premiers pays à exiger des protocoles de dépistage stricts à ses frontières :  les chauffeurs doivent se présenter à des arrêts obligatoires pour effectuer des tests et désinfecter les véhicules.

John Wanjiku, un chauffeur du Kenya, a déclaré qu'il avait dû effectuer jusqu'à 11 tests de dépistage en un seul voyage de Nairobi à la frontière ougandaise, et affronter un embouteillage de près de 29 km. Les chauffeurs ont expliqué [24] [en] qu'ils avaient peur de manquer de nourriture et d'être victimes de vols la nuit.

La station de radio Speak FM a signalé [25] [en] à plusieurs reprises la situation des camionneurs à Gulu, au nord de l'Ouganda, une ville de transit pour les camions quittant vers le Soudan du Sud. 13 cas positifs ont été répertoriés le 9 mai après un dépistage de 2 421 camionneurs à la frontière, alors que les échantillons des résidents locaux étaient négatifs.

21 nouveaux cas de COVID-19 [26] [en] ont été confirmés le 14 mai après une opération de dépistage auprès de 1 593 camionneurs en Ouganda, portant le nombre total de cas de coronavirus dans le pays à 160.

Zambie : fermeture des frontières

Edgar Lungu, le président zambien, a ordonné la fermeture  temporaire des frontières entre la Zambie et la Tanzanie à compter du 11 mai, alors que Nakonde, la ville frontalière, était en confinement.

Après avoir testé plus de 900 personnes [27] [en] entre le 13 et le 14 mai, le ministère zambien de la Santé a signalé [28] [en] un total de 654 cas au 15 mai. Parmi les personnes infectées, 398 [29][en] étaient des résidents de Nakonde, des employés des services d'immigration et de douane ainsi que des camionneurs et des travailleurs du sexe.

La Tanzanie et la Zambie font partie de la Communauté de développement d'Afrique australe, et le passage frontalier est une plaque tournante pour les exportations zambiennes de cuivre et de cobalt, et les importations de carburant.

La frontière a été rouverte [30] [en] le 15 mai pour le fret seulement, et le confinement a été levé mais on s’attend à ce qu’il soit de nouveau imposé, ainsi que d’autres tests

Manque de vigilance de la Communauté des États d'Afrique de l'Est ?

Au milieu de la pandémie de COVID-19, les camionneurs ont fait face à une vague de stigmatisation en Afrique de l’Est. Les médias et les autorités gouvernementales les ont qualifiés de « vecteurs » [31] [en], de « super propagateurs » [14] [en] et de « maillon faible » [en] dans la lutte contre la propagation du coronavirus.

Les professionnels du sexe, étroitement liés aux camionneurs [32] [en] par les communautés généralement formées autour des villes frontalières de transit en Afrique de l’Est, ont également attiré l’attention des médias, tandis que les autorités sanitaires les testent et les suivent le long des itinéraires des camionneurs.

Dans une action insolite, le ministère de la Santé de l'Ouganda a collaboré avec Bad Black, une mondaine ougandaise et travailleuse du sexe [33]autoproclamée [33] [en], qui, dans un message vidéo, s'adressait aux professionnelles du sexe pour les inciter à cesser de recevoir les camionneurs.

De nombreux internautes se demandent si les gouvernements en font assez pour protéger les camionneurs et les communautés frontalières dans leur ensemble.

Le 12 mai, les dirigeants de la Communauté des États d'Afrique de l'Est (CAE) ont convenu d’interventions conjointes [34] [en] pour lutter contre le COVID-19 et ont reconnu la nécessité d’améliorer les conditions d'exercice du travail de chauffeur routier.

Mais Evelyn Lirri a tweeté ses doutes sur la CAE et exprimé des inquiétudes pour les conducteurs :

Puisque la CAE est endormie, ou a peut-être fermé boutique il y a de nombreuses années, que font les entreprises qui embauchent ces camionneurs pour réduire le risque que les conducteurs soient infectés par le COVID-19 ? Ou bien ont-ils été laissés à l'abandon ?

Rosebell Kagumire est d’accord, soulevant des questions sur la santé et la sécurité au travail pour les camionneurs :

Bonne question ! À quoi ressemble la santé et la sécurité au travail pour les camionneurs, qui sont le plus touchés par le Covid19 en Afrique de l’Est ?

Ces derniers temps, nous avons tendance à les voir comme des vecteurs [du virus], et chaque mise à jour répète [en boucle] les chauffeurs de camion, les chauffeurs de camion, les chauffeurs de camion.

Ces récentes tensions frontalières mettent en évidence des questions politiques plus vastes au sein de la Communauté des États d'Afrique de l'Est en termes d’intégration régionale et de commerce durable dans la zone.

La mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) en Afrique de l’Est “pourrait entraîner des gains socioéconomiques de 1,8 milliard de dollars pour l’Afrique de l’Est, stimuler les exportations intra-africaines à hauteur de plus de 1,1 milliard de dollars et créer plus de 2 millions de nouveaux emplois”, affirme un nouveau rapport [43] [en].