Pakistan : des journalistes accusés de sédition en vertu de la loi sur la cybercriminalité

L'image est une copie d'écran d'un texte de loi. Il est écrit en noir sur un fond blanc. Il est daté du 19 août 2016 et est en anglais.

La loi sur la prévention des crimes électroniques (Prevention of Electronic Crimes Act, PECA) a été votée par l'Assemblée nationale du Pakistan en 2016. Copie d'écran de la loi.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt.]

Trois journalistes pakistanais ont été accusés de sédition, entre le 11 et le 16 septembre, en vertu de la loi pakistanaise de 2016 sur la prévention des crimes électroniques [pdf] (PECA), loi suscitant de nombreuses critiques en raison de son impact sur les droits des citoyens à l'expression et à la vie privée.

Les journalistes concernés sont : Asad Toor, producteur d'une émission de télévision diffusée à une heure de grande écoute, intitulée “Sawal with Amber“, régulièrement très critique à l'égard du gouvernement et de l'armée ; Bilal Farooqi, rédacteur en chef du quotidien pakistanais The Express Tribune ; Absar Alam, ancien président de l'Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA), et ancien présentateur sur la chaîne d'information AAJ (chaîne de télévision pakistanaise d'information 24 heures sur 24).

Asad Toor a été arrêté suite à une plainte déposée par un certain Hafiz Ehtesham Ahmed, habitant de la ville de Rawalpindi, alléguant que le journaliste “a usé d'un langage désobligeant pour évoquer des institutions gouvernementales de haut niveau, dont l'armée pakistanaise”. Asad Toor a publié une copie de la plainte sur les médias sociaux :

Ok, la police de Rawalpindi m'a inculpé au titre du PECA et a enregistré cette FIR (First Information Report, Premier rapport d'information), le 12 septembre 2020, sur la plainte du mandataire Hafiz Ehtisham. Voici la copie de la FIR. Cette situation est regrettable pour moi qui suis journaliste, car je ne tiens pas à faire, moi-même, partie de l'actualité.
— Asad Ali Toor (@AsadAToor) September 14, 2020

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L'image représente la copie du premier rapport d'information concernant une plainte. Il est écrit en urdu.

Asad Toor a confié à Global Voices, via WhatsApp, que le premier rapport d'information (FIR) était inscrit sous les sections 499 (diffamation), 500 (peine pour diffamation) et 505 (déclarations conduisant à des méfaits publics) du Code pénal pakistanais, et les sections 11 (discours de haine), 20 (atteintes à la dignité d'une personne), et 37 (contenu en ligne illégal) de la loi pakistanaise sur les crimes électroniques [pdf] (PECA) de 2016.

Mercredi 16 septembre 2020, la Haute Cour d'Islamabad a octroyé une mise en liberté provisoire d'une semaine en faveur d'Asad Toor.

Bilal Farooqi a été interpellé devant son domicile, dans la nuit du 11 septembre, après le dépôt d'une plainte par un habitant de Landhi, Karachi, affirmant que Bilal Farooqi aurait échangé du “contenu hautement répréhensible” et “calomnié” l'armée pakistanaise, sur ses comptes Twitter et Facebook.

Le journaliste Mubashir Zaidi a tweeté :

La FIR est enregistrée contre @bilalfqi pour la publication de messages anti-militaires et prétendument sectaires sur les médias sociaux
— Mubashir Zaidi (@Xadeejournalist) September 11, 2020

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L'image représente la copie du premier rapport d'information concernant une plainte. Il est écrit en urdu.

Bilal Farooqi a été remis en liberté, au petit matin du 12 septembre, sous couvert de la “garantie personnelle” de son avocat, Jibran Nasir.

Une plainte similaire a été déposée contre Absar Alam dans la ville de Jhelum par l'avocat Khursheed Alam, lequel a affirmé qu'Absar Alam aurait tenu des propos désobligeants à l'encontre des institutions et des personnalités de l'État sur son compte Twitter, et a alors demandé qu'il soit poursuivi pour sédition.

Bilal Farooqi et Absar Alam sont tous deux sous le coup de l'article 20 (atteintes à la dignité d'une personne) de la loi PECA de 2016.

Absar Alam a indiqué que ces accusations et ces dossiers sont une récompense pour lui et qu'il ne subira aucune pression.

Affronter un procès pour trahison est un honneur dans le cadre de la lutte contre un régime fasciste. Si Pervez Musharraf (président du Pakistan du 20 juin 2001 au 18 août 2008) ne peut pas nous faire taire, mon amour, alors qu'en pense le général Bajwa ? Donnez-nous des preuves #Bajwaleaks

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L'image est la plainte qu'Absar Alam a reçu, émanant d'un avocat. Elle relate des faits de sédition.

“Montrez-nous les preuves”, dans ce contexte, fait référence à une enquête du site web Fact Focus révélant la corruption au sein de l'armée pakistanaise.

Un rapport du Freedom Network fait état de plus de 90 affaires d'attaques et de violations contre des journalistes au Pakistan, survenues au cours de la période allant de mai 2019 à avril 2020.

Farieha Aziz, co-fondatrice de Bolo Bhi, une organisation locale de défense des droits numériques, a tweeté :

Je ne sais même pas comment exprimer cette absurdité. On retrouve dans ces FIR le schéma des sections sur la diffamation du Code pénal pakistanais et des sections 11 et 20 du PECA (toutes deux non identifiables). Mais la nouveauté est l'ajout de l'article 37 qui ne constitue même pas une infraction au PECA ! Quelle créativité !
— Farieha Aziz (@FariehaAziz) September 14, 2020

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L'image représente la copie du premier rapport d'information concernant une plainte, écrit en urdu.

Des plaintes similaires ont récemment été déposées contre un militant pachtoune des droits humains, Ihtesham Afghan.

Il y a un jour, j'ai découvert qu'une FIR avait été enregistrée à mon encontre, au motif de ma position supposément “anti-État et pour avoir fait de la propagande contre l'armée sur les médias sociaux”. Très similaire à la façon dont @bilalfqi @AbsarAlamHaider @AsadAToor ont été ciblés. De telles tactiques ne me réduiront pas au silence.
— Ihtesham Afghan (@IhteshamAfghan) September 14, 2020

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L'image représente, sur deux plans, le premier rapport d'information concernant une plainte, écrit en urdu.

La Commission des droits humains du Pakistan a fait une déclaration en signe de solidarité.

The alarming increase in such actions against journalists confirms that the government is bent on muzzling freedom of expression. HRCP demands that the rights of citizens be respected and that both the government and state adopt course correction.

La multiplication effarante de ces actions contre les journalistes atteste de la volonté du gouvernement de museler la liberté d'expression. La Commission des droits humains du Pakistan exige que les droits des citoyens soient respectés et que le gouvernement et l'État adoptent tous deux un changement de cap.

Madan Bhimarao Lokur, ancien juge de la Cour suprême, a déclaré, le 14 septembre 2020, que “le gouvernement manie la loi sur la sédition d'une main de fer pour brider la liberté d'expression en réaction disproportionnée face à l'opinion du peuple”.

Railler les militaires est désormais un crime

Le 17 septembre, l'Assemblée nationale pakistanaise a adopté un amendement au Code pénal, criminalisant les tentatives de moquerie à l'égard du personnel des forces armées.

Le projet de loi a été présenté par le député Amjad Ali Khan, membre du parti au pouvoir, le PTI (Pakistan Tehreek-e-Insaf, en français : Mouvement du Pakistan pour la justice). Il stipule que “se moquer des forces armées ou de leurs membres, ternir leur réputation ou les diffamer délibérément  serait considéré comme un crime. Ceux qui le font pourraient être condamnés à deux ans de prison et à une amende de 500 000 roupies (environ 3 000 dollars US), voire des deux”.

La journaliste et commentatrice Gul Bukhari, a tweeté :

Le nouveau projet de loi, criminalisant toute critique de l'armée, est une tentative fasciste de l'armée de faire du Pakistan une Corée du Nord, où personne ne peut remettre en question ses méfaits et sa criminalité, et où l'impunité est garantie par la loi. Je mets en garde TOUS les parlementaires contre le simple fait d'y PENSER.
— Gul Bukhari (@GulBukhari) September 16, 2020

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