Pourquoi le Malawi a besoin de toute urgence d'une loi sur la protection des données

Une manifestation dans la capitale Lilongwe, organisée par la Coalition des défenseurs des droits de l'homme, au cours des élections frauduleuses de 2019, qui avaient été finalement annulées. Photo prise par Steve Sharra.

Cet article fait partie d’UPROAR [en], une initiative de Small media, qui exhorte les gouvernements à relever les défis des droits numériques lors de l'examen périodique universel.

Au Malawi, les autorités requièrent de plus en plus des citoyens qu'ils acceptent de livrer leurs informations personnelles pour leurs activités quotidiennes, que ce soit pour utiliser un téléphone mobile ou pour participer aux élections.

Cependant, sans une loi claire sur la protection des données, les droits des citoyens à la vie privée sont menacés.

En 2017, le gouvernement du Malawi a mis en place un système d'identification à l'échelle nationale. Tout Malawien âgé de 16 ans et plus est tenu de s'enregistrer au registre national et d'obtenir une carte d'identité nationale.

Cette mesure a été prise suite à la mise en place du système national d'identification et d'enregistrement en janvier 2010, en vertu de la loi nationale d'enregistrement instaurée par l'ancien président Bingu wa Mutharika. Il a fallu cinq ans pour que le système devienne opérationnel, le 1er août 2015.

Selon le Bureau national d'enregistrement (NRB), le système national d'identification servirait à de nombreuses fins [en] en acquérant « des informations sur la population » qui permettraient « aux décideurs politiques d'utiliser la planification basée sur les données » pour le développement et les prestations de services. Pour les individus, cela leur donnerait « une preuve de leur nationalité et des informations personnelles afin qu'ils puissent les utiliser pour réclamer leurs prestations ».

La saga d'inscription des électeurs

Tout récemment, ces systèmes d'identification ont été remis en question dans les jours qui ont précédé l'élection de juin au Malawi, lorsque le candidat de l'opposition de l'époque, Dr. Lazarus Chakwera, de Tonse Alliance, a déclaré [en] que les enfants mineurs avaient été enregistrés dans le cadre d'un complot visant à truquer la nouvelle élection.

Sur les réseaux sociaux, les internautes ont posté des photos d'enfants faisant la queue, soi-disant pour être enregistrés [en] dans le système national d'enregistrement, synchronisé avec l'inscription des électeurs. Le Bureau national d'enregistrement (NRB) a rejeté ces allégations.

La Coalition des défenseurs des droits humains a écrit [en] au Bureau national d'enregistrement (NRB) pour lui faire part de ses préoccupations à ce sujet, et la Commission des droits humains du Malawi a ouvert [en] une enquête.

La Cour suprême d'appel a décidé que lors des nouvelles élections, seul les électeurs précédemment inscrits lors de l'élection initiale en 2019 pouvaient voter, les nouveaux électeurs n'étant pas éligibles [en]. Cette décision a été prise lorsque l'ancien président Peter Mutharika a contesté la décision de la Cour constitutionnelle qui avait ordonné la tenue de nouvelles élections.

Enregistrement des cartes SIM et protection des données

Le processus d'identification nationale est désormais lié à l'enregistrement de la carte SIM.

En janvier 2018, l'Autorité de régulation des communications du Malawi (MACRA) a annoncé un processus d'enregistrement obligatoire de la carte SIM nationale [en].

En vertu de la Loi 2016 sur la communication, toute personne ayant un numéro de téléphone dans le pays devra faire enregistrer sa carte SIM. L'Autorité de régulation des communications du Malawi (MACRA) a alors fixé au 31 mars 2018 la date limite d'enregistrement des cartes SIM et indiqué que passé cette date, tous les numéros non enregistrés seraient suspendus. Cette date limite a ensuite été prolongée au 30 septembre avec l'obligation d'enregistrer toutes les cartes SIM nouvellement achetées dans un délai de sept jours.

En octobre 2018, environ 9 millions de Malawiens s'étaient enregistrés au Registre national.

L'Autorité de régulation des communications du Malawi (MACRA) a souligné que le processus d'enregistrement des cartes SIM [en] est important pour plusieurs raisons : premièrement, il prévient une pratique frauduleuse appelé « sim boxing » [en] ; il aide à retrouver les téléphones volés ; il offre une protection contre les messages violents, menaçants ou haineux ; il inculque la « discipline » aux agresseurs ; il aide les forces de maintien de l'ordre à résoudre les crimes et permet de contrôler les fraudes et les vols commis au moyen de téléphones portables.

Les banques et les entreprises de télécommunications effectuant des services de transfert d'argent se sont lancées dans un processus « d'identification du client » [en] au cours duquel les Malawiens devaient présenter leur carte d'identité nationale pour effectuer tout type de transaction. Ils ont annoncé que toutes personnes ne présentant pas de carte d'identité nationale verrait son compte gelé.

Jimmy Kainja, chercheur à l'université du Malawi, a souligné en août 2019 que les Malawiens ont été obligés de donner une bonne partie de leurs informations personnelles à des institutions privées et publiques, alors que le pays ne disposait pas d'une loi sur la protection des données. Dans son article, « Les Malawiens entrent-ils dans un état de surveillance ? », Kainja estime que le pays devrait avoir une loi sur la protection des données avant que les Malawiens ne soient obligés de fournir toutes leurs données personnelles.

Comme l'indique le NRB, les données collectées pour le Registre national [en] comprennent les nom et prénom du citoyen, la nationalité, la date et le lieu de naissance. Le NRB collecte également les données telles que le genre, le lieu de résidence actuel, le poids, la couleur des yeux, le numéro de passeport, le statut matrimonial et les informations sur les parents. Le bureau recueille également des informations biométriques, notamment les dix empreintes digitales, une photo et une signature.

Ces données personnelles sont-elles en sécurité ? Qu'est-ce qui prouve que des tiers ne pourront pas avoir accès à ces données ? Qui serait tenu responsable en cas de violation de ces données ?

Le journaliste Gregory Gondwe a observé, en juillet, que la surveillance numérique [en] s'infiltrait lentement au Malawi au moyen d'instruments juridiques. Gondwe a souligné que le pays manquait d'un « cadre de gouvernance de données spécifiques » laissant les citoyens à « la merci de ceux qui ont la garde de ces données personnelles car ils pouvaient les utiliser contre eux ou, pire encore, les mettre en gage pour en tirer un profit ».

Zangaphee Chimombo, un expert en technologie de l'information, a déclaré à Global Voices que l'enregistrement des SIM était nécessaire, d'autant plus que le pays s'interroge sur l’introduction de la cryptomonnaie [en].

Toutefois, il met en garde contre les risques de violation des données des cartes SIM par le personnel des opérateurs de télécommunications et les autorités gouvernementales. Dans le cas où cela s'avère nécessaire, « il faudra utiliser des mandats de perquisition délivrés par la police », a exhorté Chimombo.

Une loi sur la protection des données en cours d'élaboration

Selon Kainja et Gondwe, le gouvernement est actuellement en train de rédiger une loi sur la protection des données, mais l'adoption de cette loi par le processus législatif pourrait s'avérer une tâche difficile.

Edge Kanyongolo, spécialiste en droit à l'université du Malawi, a dit à Gondwe que la loi sur la protection des données personnelles aurait plus de chance d'être adoptée si des pressions coordonnées étaient exercées par des groupes partageant les mêmes idées, tels que les défenseurs des droits humains, les médecins, les avocats et les membres de l'opposition.

Suite à la nouvelle élection qui s'est tenue au Malawi le 23 juin, Dr Lazarus Chakwera est devenu le nouveau président du pays. Il a depuis promis aux Malawiens une nouvelle ère dans laquelle l'état de droit serait prioritaire, entre autres réformes capitales.

Kainja espère que la promulgation d'une loi sur la protection des données fera partie de ces réformes. Les Malawiens ont été trop disposés à communiquer leurs informations personnelles sans garantie de sécurité et de protection de leurs données, observe-t-il.

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