Le manque d’infrastructures de soins de santé dans les zones rurales du Malawi : une question de vie ou de mort

Nouveau-né dans les bras de sa maman.

Mphatso Gumulira, 15 ans, avec son fils Zayitwa à l'hôpital Queen Elizabeth à Blantyre, au Malawi. Photo de DFID/Flickr, CC BY 2.0.

L’article initial a été publié en anglais le 9 octobre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais. Ndlt]

Note de l’éditeur : Cette histoire a été écrite par Kondwani Magombo dans le cadre du projet PROTECT financé par le gouvernement britannique pour ARTICLE 19 et est publiée ici dans le cadre d’un accord de partenariat.

Lorsque Jazira Afiya, une jeune femme de 27 ans et mère de 3 enfants, a voté lors de la dernière élection présidentielle du Malawi en juin dernier, elle n’a émis qu’un seul souhait : que le nouveau gouvernement fournisse des services de soins de santé là où elle vit.

Jazira vit à Kanyenga, un village isolé au bord du lac dans le district touristique de Mangochi. L’infrastructure de santé publique la plus proche se trouve à 40 kilomètres de chez elle et le moyen le plus simple pour s’y rendre est la moto-taxi, dont l’aller-retour coûte 6 000 kwacha malawite (un peu moins de 7 euros) ; une somme considérable pour les agriculteur·trice·s de subsistance comme Jazira.

Le salaire minimum au Malawi est de 1 346 kwacha malawite (1,52 euro) par jour. La moto-taxi équivaut donc à cinq jours de revenu.

Les habitants de Kanyenga ne connaissent que trop bien les malades qui meurent sur le chemin de l’hôpital, ou encore les femmes enceintes qui accouchent pendant le trajet et qui perdent parfois leur bébé.

Jazira fait partie de ces femmes qui ont commencé le travail de l’accouchement et qui ont lutté pour arriver à temps à l’hôpital.

« J’ai cherché partout dans le village une moto à louer, mais je n’en ai pas trouvé », déclare-t-elle à ARTICLE 19. « Vers 3 heures du matin, j’ai donné naissance à un petit garçon, chez moi, avec l’aide de femmes de mon quartier. »

« Le lendemain matin, je suis parvenue à louer une moto et quand je suis enfin arrivée à l’hôpital, on m’a dit que mon bébé avait attrapé une grave pneumonie, apparemment due au froid sur le trajet. D’un coup, juste comme ça, j’ai perdu mon bébé », a expliqué Jazira à ARTICLE 19.

L’accès aux services de soins de santé est laborieux pour la plupart des Malawites et, en particulier, pour les 84 % de la population qui vivent dans les zones rurales. Au cœur des lacunes béantes du Malawi en matière de soins de santé se trouvent les femmes et les enfants qui ont besoin de services particuliers tels que des soins prénataux, des soins de maternité et des soins destinés aux enfants de moins de cinq ans.

Le Plan Stratégique national II dans le secteur de la santé (2017-2022) [pdf] indique que « 56 % des femmes adultes malawites citent encore la distance qui les sépare des infrastructures de soins de santé comme obstacle principal à l’accès aux soins ». Le système de soins de santé pâtit d’une faible capacité en ressources humaines et d’un taux de vacance moyen de 67 % pour les postes cliniques, d’infirmier·e·s et techniques essentiels ».

La situation est loin de répondre aux objectifs malawites et internationaux. En effet, dans sa constitution, le Malawi s’engage à « fournir des soins de santé appropriés, en adéquation avec les besoins de la société malawite et aux normes internationales en matière de soins de santé ».

L’objectif des Nations Unies et de l’Organisation mondiale de la santé est de parvenir à une couverture sanitaire universelle d’ici à 2030.

En raison de toutes ces difficultés, les services de soins de santé sont apparus comme un enjeu crucial de campagne lors des dernières élections. Le nouveau gouvernement de l’Alliance Tonse doit son élection à une série de promesses, notamment concernant la prestation de soins de santé essentiels dans le pays.

Tandis que Jazira et ses voisin·e·s attendent que le nouveau gouvernement tienne ses promesses, les organisations de la société civile du pays entendent les appels de la communauté locale et demandent que des mesures soient définies.

« Par le biais du National Advocacy Forum, nous intervenons auprès du gouvernement sur des questions concernant les atteintes aux droits de la population », explique Emma Kaliya, militante pour l’égalité des sexes et directrice du Malawi Human Rights Resource Centre (MHRRC). « Nous avons présenté notre programme au président à propos de l’accès aux soins de santé essentiels pour les femmes et les enfants ».

Emma Kaliya demande au gouvernement de mettre en place au plus vite des cliniques mobiles pour se rendre dans des régions éloignées et difficiles d’accès comme le village de Kanyenga.

« Les questions relatives aux soins de santé maternelle et infantile doivent être une priorité pour contribuer à réduire les taux de mortalité et de morbidité qui restent très élevés », déclare Dorothy Ngoma, militante des soins de santé, qui, jusqu’en 2018, était présidente de l’Organisation nationale des infirmières et sages-femmes du Malawi.

Dorothy Ngoma demande que le gouvernement construise davantage de maisons d’accueil et de maternités, et recrute plus d’infirmières, de médecins et ainsi que d’autres personnels cliniques.

« Je voudrais dire au nouveau gouvernement que la société civile et le peuple du Malawi nous regardent et n’accepteront rien d’autre », a-t-elle déclaré à ARTICLE 19.

Le gouvernement déclare qu’il continuera à agir afin de répondre à ces préoccupations, en évaluant les interventions et les ressources disponibles pour les individus, en particulier dans les zones rurales.

Le Dr Charles Mwansambo, du ministère de la Santé du Malawi, a déclaré à ARTICLE 19 : « Nous avons élaboré un plan qui donne notamment la priorité à la construction d’infrastructures de soins de santé dans les zones éloignées et périlleuses afin d’améliorer l’accès aux services de soins santé essentiels pour tous les Malawites. Cependant, l’enveloppe des ressources est limitée et, en ce sens, nous ne pouvons construire qu’à un rythme plus lent que ce que nous aurions préféré. Dès lors, le ministère s’affaire également à mobiliser davantage de ressources auprès des partenaires de développement locaux et internationaux afin que nous puissions construire d’autres installations ».

Outre la pression exercée sur les services de soins de santé pendant la pandémie, un nouvel enjeu considérable se profile : l’augmentation du nombre de grossesses et de mariages d’enfants. Le district de Mangochi a enregistré près de 7 400 grossesses d’adolescentes entre janvier et juin de cette année ; 1 000 de plus par rapport à la même période en 2019.

Dorothy Ngoma craint d’éventuelles complications à l’avenir, car beaucoup de jeunes filles pourraient opter pour un avortement, qui n’est légal au Malawi que dans le cas où la vie de la femme est en danger.

« Nous devons être prêt·e·s à fournir des services post-avortement aux jeunes filles enceintes, et nous devrons soutenir les parents dont les filles sont concernées par cette situation », a-t-elle déclaré.

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