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Le calvaire des femmes incarcérées pendant la pandémie de COVID-19

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Amérique latine, Argentine, Indonésie, Jamaïque, Nigéria, Venezuela, Droits humains, Médias citoyens, COVID-19
Une main de femme s'accroche à un grillage.

Image sous licence Pexels [1], domaine public.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages web en anglais.

Lorsque le Covid-19 a fait son apparition dans les prisons du monde entier, il a atteint des endroits surpeuplés, insalubres et oubliés, où les femmes constituent la minorité et doivent faire face à des risques spécifiques. Les femmes représentent environ 2 à 10 % [2] de la population carcérale dans le monde, mais leur nombre augmente plus rapidement que celui des hommes.

Pourtant, les femmes sont rarement représentées dans les données ventilées par genre. Elles sont rarement mentionnées dans les médias, voire pas du tout. Il existe par exemple des rapports sur la propagation du COVID-19 en prison. Mais le public ne sait pas si les femmes incarcérées font partie de cette population affectée.

Olivia Rope, directrice des programmes et du plaidoyer international à Penal Reform International, a déclaré [3] que :

The smaller proportion of women in prison populations is one reason criminal justice systems too often remain designed and run with men in mind, and often by male decision-makers. Where governments have taken action to prevent or address COVID-19 in prisons, they too seem to have men in mind, mostly overlooking the different and unique impacts they may have on women.

La proportion très réduite des femmes en prison est l'une des raisons qui expliquent que le système pénitentiaire soit trop souvent conçu pour une population masculine et géré en fonction de leurs besoins, et que les décisions soient souvent prises par des hommes. Dans les pays où les gouvernements ont pris la décision de lutter contre le COVID-19 dans les prisons, ils semblent juste penser aux hommes, en négligeant les différentes conséquences de cette pandémie sur les femmes.

La majorité des femmes passent des années en détention préventive ou en prison pour des délits mineurs, tels que des infractions bénignes dans des affaires de drogue [4][pdf] et l'autodéfense contre la violence basée sur le genre [5] [es], auxquels s'ajoutent dans certains pays l'avortement, les fausses couches [6] [es] ou encore l'activisme politique.

En mai, le projet Marshall a recensé [7] 13 décès de femmes dues au COVID-19 dans les prisons aux États-unis. Le projet a aussi révélé que “[leurs histoires] relatent les raisons malheureusement communes qui les ont toutes conduites en prison. Il s'agit notamment de la toxicomanie et de l'autodéfense contre la violence qu'elles subissent de la part des hommes qui partagent leur vie.”

Dans ce contexte isolé, les femmes font aussi face aux risques élevés d'abus sexuel et d'insultes à caractère sexuel. En avril notamment, des articles de presse sur les suicides présumés [8] de deux femmes détenues dans deux provinces différentes d'Argentine, ont mis en exergue la violence sexiste institutionnelle dans le système carcéral qui sévissait déjà lourdement [9] bien avant la pandémie.

Les représentants d'ONU Femmes et des autres organisations ont mentionné [10] [pdf] en mai [dans le rapport sur la justice pour les femmes durant la pandémie] que :

Not only are women at risk of contracting COVID-19, they are also exposed to an increased threat of sexual violence during the pandemic due to decreased security in prisons.

Les femmes ne courent pas seulement le risque de contracter le COVID-19, elles font aussi face à l'augmentation des menaces de violence sexuelle pendant la pandémie à cause du relâchement des mesures de sécurité dans les prisons.

Les femmes qui reçoivent d'habitude moins de visites [11] que leurs codétenus hommes, n'en n'ont reçu aucune à cause des restrictions liées au COVID-19. En Jamaïque, Maria Carla Gullotta, fondatrice de l'ONG Stand Up for Jamaica, dont l'objectif est de veiller au bien-être des prisonniers et à leur réhabilitation, a fait savoir à Global Voices que :

Now, with the pandemic, contact with their children is non-existent, apart from an occasional Skype session.

Maintenant avec la pandémie, le contact avec leurs enfants est inexistant, excepté quelques appels occasionnels sur Skype.

Ceci contribue chez ces détenues à un sentiment d'isolation. En début de pandémie au Brésil, l'organisation brésilienne Pastoral Carcerária Nacional a mentionné [12] [pt] dans une lettre ouverte ce qui suit : 

Ouvimos relatos do quão terrível está sendo enfrentar a pandemia dentro da prisão, sem poder receber visita ou ir à escola, que fica dentro do presídio. Não basta estar presa, a mulher tem que ser oprimida, se despir de toda a sua individualidade. Agora que elas não têm atividade nenhuma, até esquecem quem são, perdem a identidade.

Nous avons reçu des témoignages sur les conditions terribles auxquelles font face les détenues pendant la pandémie. Elles ne peuvent plus recevoir de visites, ni aller à l'école qui se trouve au sein de la prison. Comme si cela ne suffisait pas d'être en prison, les femmes sont opprimées et dépouillées de leur individualité. Maintenant qu'elles n'ont plus aucune activité, elles ont même oublié qui elles sont. Elles ont perdu leur identité.

Dans certains contextes, comme c'est le cas au Moyen-Orient, en Afrique du Nord ou en Argentine, l'absence de droit de visite implique aussi le manque de nourriture, de médicaments, de vêtements et de serviettes hygiéniques. Selon certaines associations de défense des droits humains, ces visites représentent un moment critique de la vie [13] des femmes, qui comptent sur ces produits essentiels. Pastoral Carcerária a récemment constaté [14] [pt] que l'interdiction des visites aux prisonnières n'avait guère contribué à endiguer le COVID-19 dans les prisons du Brésil, et que cette mesure rendait difficile le contrôle de l'usage de la torture dans ces institutions.

En 2018 au Venezuela, 80 % [15] des détenus dépendaient déjà des visites de leurs proches pour la nourriture et les produits essentiels, car ils et elles souffraient de malnutrition. Les rapports de 2019 montrent que beaucoup de femmes incarcérées sont victimes de violences sexuelles et sont contraintes de proposer des services sexuels au personnel pénitentiaire [16] en échange de nourriture. Il n'y a presque pas eu de couverture médiatique sur les femmes en prison, particulièrement pendant les mois de confinement, excepté lors d'évènements précis comme une grève de la faim [17] [es] et la mort d'une détenue par malnutrition [18] [es].

En juillet, l'ONG Observatorio Venezolano de Prisiones [l'Observatoire vénézuélien des prisons, ndlt] a mis en lumière le cas de 107 détenues en garde à vue dans un poste de police [19], “suppliant” les tribunaux d'ouvrir afin de pouvoir reprendre le cours de leurs procédures judiciaires suspendues pendant quatre mois en raison du confinement lié au Covid-19.

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‪107 mujeres detenidas en la comisaría Eduardo Ramón Vizcaino en San Félix claman por celeridad en los procesos judiciales, pues ya cumplen 4 meses sin ser atendidas por los tribunales del estado #Bolivar ‬ [20]

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107 détenues réclament des procédures rapides. Les femmes enfermées au poste de police Eduardo Ramón Vizcaino de San Félix réclament des procédures judiciaires plus rapides, puisqu'elles ont déjà purgé 4 mois sans être prises en charge par des tribunaux de l'État du Bolivar.

Comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessus, les prisons et les commissariats de police sont très souvent surpeuplés, augmentant le risque de contagion. Selon le Consortium sur les politiques internationales relatives aux stupéfiants [22] [pdf], la Thaïlande garde en détention environ 125 000 personnes de plus que sa capacité normale ;  la plus grande prison du Cambodge détient cinq fois plus de prisonniers que sa capacité maximale ; quant à la surpopulation dans les prisons des Philippines, elle a atteint 534 % en mars cette année.

Bien que les prisons d'Amérique latine [23] sont parmi les plus surpeuplées au monde, ce problème concerne aussi les pays européens [24] ainsi que les États-Unis —  qui détient le record mondial du taux d'incarcération [25]. Des témoignages émanant de lanceurs d'alerte dans les centres de détention pour migrants aux États-Unis signalent une négligence généralisée concernant le COVID-19. Récemment, des hystérectomies forcées pratiquées sur des femmes détenues ont fait la une [26].

Le gouvernement nigérian a cherché à décongestionner les prisons afin de minimiser l'impact du COVID-19 et à relâcher [27] en mai “des prisonniers à faible risque de contamination” ainsi que d'autres groupes. Cependant, les rapports [28] [pdf] montrent que seulement une femme sur 2 600 prisonniers a bénéficié de ce programme du gouvernement.

Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la mise en liberté a été irrégulière. Même si des milliers [29] [fr] de détenus ont été mis en liberté conditionnelle durant les mois passés, les personnes considérées comme prisonniers politiques sont restées derrière les barreaux [30].  En juillet dernier, deux Égyptiennes ont été condamnées [31] à dix ans de prison ferme pour violation des valeurs familiales sur TikTok. En Arabie Saoudite, [32] l'activiste féministe Loujain al-Hathloul, qui a mené une campagne de protestation contre l'interdiction de conduire pour les femmes, est encore détenue et n'a que peu ou pas de contact [33]avec le monde extérieur.

Au Brésil, les tribunaux continuent d'ignorer la mesure adoptée par la Cour suprême en 2018, puisque plus de 3 000 mères [34] [pt] et femmes enceintes sont toujours enfermées au lieu d'être assignées à résidence. Un article de The Intercept a ensuite révélé [35] [pt] le lourd impact du sexisme ordinaire qui pèse sur la décision des juges. La majorité des femmes emprisonnées au Brésil ont commis des crimes sans violence. D'après les données de Infopen Mulher, [36] 62 % des femmes dans les prisons du Brésil sont noires et 74 % d'entre elles sont mères.

Face à ces difficultés, certains médias locaux indépendants se battent pour faire connaitre l'histoire des femmes incarcérées. En Indonésie, le magazine progressiste Magdalene [37] a formé des femmes détenues à écrire et à publier des histoires [38] derrière les barreaux afin de partager leurs activités, leurs pensées et leurs espoirs.