Un ouvrage récemment publié met en lumière les actrices de la résistance ayant combattu la dictature brésilienne de 1964 à 1985

Sur la couverture de l'ouvrage sont accolées les photographies de 9 des 15 héroïnes dépeintes dans le livre

Couverture du livre « Les héroïnes de cette histoire ». Cet ouvrage recueille les récits de 15 femmes en quête de justice pour leurs proches victimes des atrocités de la dictature et ayant œuvré pour la justice et la préservation de la mémoire collective au Brésil | Image reproduite avec autorisation.

L’article d’origine a été publié en anglais le 13 octobre 2020.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en portugais, ndlt.]

Marli a été témoin du meurtre de son frère, perpétré par un gendarme. Le mari de Clarice a été victime de torture, avant que sa mort ne soit déguisée en suicide. Après son arrestation par les forces de l'ordre, Damaris a subi des actes de torture, avant d'être contrainte d'assister à l'assassinat de son compagnon sous les yeux du reste de sa famille. Crimeia, une ancienne militante politique, a fini par intégrer les rangs des groupes armés de la guérilla. Ces femmes figurent parmi les 15 personnalités dépeintes dans le récent ouvrage Heroinas desta historia (Traduction libre : Les Héroïnes de cette histoire), offrant une retrospective des différentes expériences vécues au cours de la dictature militaire [fr] du Brésil entre 1964 et 1985.

Au cours des 21 années de dictature, amorcées par le coup d'État de 1964 [fr], le pays a été gouverné successivement par cinq présidents ayant imposé un régime militaire dans le pays. Selon les estimations, ces régimes sont associés à au moins 434 décès et disparitions. Cet opus constitue la première phase d'un projet d'envergure initié par l’Institut Vladimir Herzog, baptisé ainsi en mémoire du journaliste dont l'assassinat par des agents de l'armée brésilienne [fr] en 1975 a été maquillé en suicide. Clarice Herzog, l'épouse du défunt, est l'une des « héroïnes » de ce livre, elle a longtemps contesté la version officielle concernant le décès de son mari. 

Global Voices a échangé par e-mail avec Tatiana Merlino, l'une des coordinatrices du projet, sur le rôle déterminant des femmes dans la résistance et sur la nécessité d'aborder leurs histoires durant le mandat de Bolsonaro.

Global Voices (GV) : Quel rôle les femmes ont-elles joué dans la résistance à la dictature brésilienne de 1964 ?

Tatiana Merlino: Elas participaram dos espaços de resistência na cidade e no campo, nas universidades e movimento estudantil, nos clubes de mulheres nas periferias, entraram em organizações de esquerda, na luta armada, enfrentando até os próprios companheiros de organização que não acreditavam em sua capacidade de resistir. Participaram da guerrilha do Araguaia; participaram de greves operárias, como a de 1968, em Contagem (Minas Gerais, a primeira grande greve sob o regime militar) e Osasco (SP). A de Contagem foi a primeira e dirigida por uma mulher, Conceição Imaculada de Oliveira, do Sindicato dos Metalúrgicos. Nos anos de 1970, ainda sob a vigência do AI-5, as mulheres da periferia tiveram seu protagonismo ao saírem às ruas, nos movimentos contra a alta do custo de vida. As mulheres que lutaram contra a ditadura foram presas e torturadas. Foram alvo sistemático de violações sexuais. Sofreram estupros e abortamentos forçado devido a chutes na barriga ou foram colocadas em “cadeiras do dragão”, levando choques elétricos na vagina, na barriga, nos seios, na cabeça. Houve aquelas que tiveram seus bebês nos DOI-CODIs.

Tatiana Merlino (TM) : Elles ont été des actrices essentielles tant en milieu urbain que rural, au sein des universités, des mouvements étudiants, ainsi que dans les associations de femmes en banlieue. Impliquées au sein d'organisations de gauche, ces femmes ont activement participé à la guérilla, affrontant même des réticences internes de la part de camarades doutant de leur potentiel de résistance. Certaines d'entre elles ont également joué un rôle crucial dans des événements tels que la guérilla de l'Araguaia [fr] (l'un des principaux mouvements armés contre la dictature), ainsi que dans les grèves ouvrières de Contagem (la première grande grève sous la dictature dans l'État de Minas Gerais) et d'Osasco (dans l’État de São Paulo). La première grève de Contagem, menée par Conceição Imaculada de Oliveira du Syndicat de la métallurgie, a marqué les années 1970. Au cours des années 1970, alors que l’acte institutionnel numéro 5 [fr] [AI-5, un décret qui suspendait les droits des citoyen·ne·s et donnait au régime le pouvoir de punir ceux qui s'y opposaient] était en application, les femmes de banlieues se sont mobilisées en tête des manifestations contre la hausse du coût de la vie. Malheureusement, les femmes qui se dressaient contre la dictature étaient arrêtées, subissaient des tortures et étaient systématiquement victimes d'agressions sexuelles. Certaines femmes ont été victimes de viols, d'autres ont enduré des fausses couches provoquée par des coups au ventre ou par la méthode cruelle de la « chaise du dragon », par laquelle des chocs électriques leur était infligés au niveau du vagin, du ventre, des seins et de la tête. Certaines d'entre elles ont même accouché dans l'enceinte du DOI-Codis [un département annexe de l'armée].

Photographie de Carolina Rewaptu arborant un t-shirt à l'effigie de son peuple, les Xavante Marãiwatsédé

Carolina Rewaptu, cheffe du peuple indigène Xavante Marãiwatsédé, a été expulsée de ses terres durant la dictature. Elle est l'une des femmes dépeintes dans le livre  | Image : Mariana Leal / Institut Vladimir Herzog, reproduite avec autorisation.

GV : Sur quels critères vous êtes-vous appuyé pour choisir les femmes qui ont témoigné dans ce livre ?

TM: Partimos de uma pesquisa longa nos principais documentos e livros que tratam dos atingidos pela ditadura: o relatório final da Comissão Nacional da Verdade, o livro Direito à Memória e À Verdade (editado pela Secretaria dos Direitos Humanos) e o Dossiê Ditadura Mortos e Desaparecidos Políticos no Brasil, da Comissão de Familiares de Mortos e Desaparecidos. Lemos as histórias dos 436 mortos e desaparecidos (o Dossiê lista 436 e a CNV 434) e fizemos uma grande lista com todos os casos onde havia mulheres citadas. (Destaco aqui o protagonismo dos familiares de mortos e desaparecidos na luta pelo direito à memória, verdade e justiça e sobretudo das mulheres). Fizemos uma lista com mais de 70 nomes. Também ressalto aqui que certamente havia uma mulher na busca por memória e verdade nos demais casos, mas nossa pesquisa só conseguiu fazer o levantamento das que já estavam citadas nos dossiês.

A partir dos 70 nomes utilizamos alguns critérios para chegar aos 15 escolhidos. Também achamos importante ter uma diversidade de perfis de mulheres: mulheres que também combateram a ditadura, as que nunca tiveram militância e viraram ativistas após a morte de familiares, estudantes, intelectuais, operárias, camponesas, indígena e uma mulher que teve familiar assassinado pela violência policial.

Outro critério foi a diversidade regional, já que nos preocupamos em não ter só perfiladas do eixo Rio-São Paulo. Temos também histórias de demais Estados do país, que mostram a abrangência da violência cometida durante a ditadura civil-militar.

TM : Nous avons débuté nos recherches en explorant des archives ainsi que des ouvrages portant sur le thème des victimes de la dictature, incluant des références telles que le rapport final de la Commission nationale de la vérité (CNV) et le livre Droit à la mémoire et à la vérité, consacré aux morts et disparus politiques pendant la dictature au Brésil et rédigé par la Commission des familles de morts et de disparus. Nous avons par la suite examiné en détail les circonstances entourant les 436 morts et disparus (le livre en répertorie 436 et la CNV, 434), dressant une liste des cas impliquant des femmes. (Je tiens à souligner le rôle primordial des familles dans la quête de mémoire collective, de vérité et de justice, en mettant particulièrement en lumière celui des femmes). Nous nous sommes finalement retrouvées avec une liste contenant plus de 70 noms. Assurément, des femmes étaient impliquées dans chaque histoire, mais nos investigations se sont limitées à celles mentionnées dans les dossiers.

À partir de cette liste de 70 noms, nous avons défini des critères pour choisir les 15 femmes présentes dans le livre. Nous avons jugé essentiel d'assurer une diversité de parcours parmi les personnes présentées. Ainsi, certaines se sont engagées immédiatement contre la dictature, tandis que d'autres, qui n'étaient pas militantes politiques au départ, ont embrassé cette cause suite à la perte d'un proche. Il y a des étudiantes ; des intellectuelles ; des ouvrières ; des agricultrices ; des femmes autochtones ainsi que des femmes dont les proches ont été les victimes de violences policières.

Un autre critère important était la diversité régionale. Nous avions des appréhensions quant au fait de se focaliser uniquement sur des femmes originaires de l'axe Rio de Janeiro / São Paulo. Par conséquent, nous avons rassemblé des témoignages provenant de différentes régions, soulignant ainsi l'ampleur des violences perpétrées durant la dictature civilo-militaire.

GV : Le livre recueille les témoignages de mères, d'épouses et de sœurs de citoyen·e·s enlevé·e·s et torturé·e·s, les décrivant comme les « héroïnes de l'histoire ». Ont-elles pu se faire une place dans les livres d'histoire brésiliens au cours de ces dernières années ?

TM: O Brasil fez uma transição para a democracia e demorou muito a fazer a chamada Justiça de Transição. O trabalho da Comissão Nacional da Verdade foi super importante, mas demoramos muito, décadas, para que ela fosse criada. Por isso, o ônus de buscar provas sobre as circunstâncias em que os mortos e desaparecidos foram assassinados, quem foram os autores, testemunhas, documentos, ficou sob a responsabilidade dos familiares, em especial as mulheres, que tiveram grande protagonismo e que não havia sido bem documentado até então. Veja, se ainda lutam para conseguir o esclarecimento de todas as circunstâncias em que os atingidos foram mortos e se ainda não conseguiram justiça pelos crimes, fica ainda mais complicado haver espaço para falar desse protagonismo de luta. Por isso que a abordagem desse livro é inédita. Até hoje essas mulheres, com algumas exceções, eram desconhecidas, tratadas como “a mulher de..”, “a irmã do…”, etc. Era mais do que hora de dar-lhes o devido lugar na história, o de heroínas. É o que pretendemos com esse livro.

TM : Le Brésil a accompli le passage vers un régime démocratique, cependant l'instauration d'une justice transitionnelle s'est révélée être une entreprise délicate. Bien que la Commission nationale de la vérité ait joué un rôle fondamental, des décennies ont été nécessaires pour la rendre pleinement opérationnelle. Jusqu'à récemment, le fardeau de la recherche de preuves d'assassinats ou de disparitions, l'identification des auteurs et des témoins, ainsi que tout le travail administratif, reposait largement sur les familles en général, et sur les femmes en particulier. Tant que ces personnes doivent se battre pour élucider les circonstances entourant des décès et que la justice ne fait pas son travail, il leur est compliqué de se rendre disponible pour évoquer leur rôle dans ce combat. C'est là que l'approche de ce livre est inédite. Jusqu'à présent, la plupart de ces femmes, à quelques exceptions près, étaient anonymes, souvent réduites au simple statut de « femme de » ou de « sœur de ». Il était grand temps de leur accorder la place qu'elles méritent dans l'Histoire : celle d'héroïnes. C'était notre objectif.

Photographie de Clarice Herzog

Le mari de Clarice Herzog, le journaliste Vladimir Herzog, a subi des actes de torture, puis le régime a maquillé sa mort en suicide | Photo : Carolina Vilaverde / Institut Vladimir Herzog, reproduite avec autorisation

GV : Le livre souligne l'importance de mettre en avant la vie de ces femmes, particulièrement à l'heure où Jair Bolsonaro occupe la présidence. Pourriez-vous développer cette idée ?

TM: Porque temos um presidente que nega a ditadura, exalta tortura e torturadores, ataca mortos e desaparecidos. Além do elogio à tortura e torturadores, há um movimento forte de negacionismo, revisionismo. Além disso, esse governo destruiu as políticas de memória e verdade, quando demitiu a procuradora regional da República, Eugênia Augusta Gonzaga da presidência da Comissão de Mortos e outros membros e no lugar colocou defensores da ditadura. A Comissão de Anistia também foi ocupada por revisionistas e negacionistas. O que esse governo não consegue destruir, ele esvazia.

O tema da memória é verdade da ditadura é alvo do Bolsonaro. E isso não é novidade, afinal as homenagens dele à Ustra antecedem sua chegada à Presidência. Quando do processo de impeachment de Dilma, seu voto de homenagem à Ustra deveria ter sido motivo de prisão, responsabilização. E ele não poderia ter se candidatado à presidência, já que quem defende crimes de lesa humanidade não pode se candidatar à presidência.

Mas se candidatou, ganhou e segue nessa investida contra o tema da ditadura e todas nossas conquistas ao longo de décadas de luta. Por isso é fundamental, imperativo contar essas e outras histórias sobre a ditadura: lembrar que ela existiu, matou, torturou, sequestrou e que centenas de famílias e mulheres dedicaram décadas para conseguir verdade e justiça por esses mortos e desaparecidos.

TM : Parce que nous avons un président qui nie la réalité de la dictature, qui vénère la torture et les tortionnaires et qui adopte une position hostile envers les victimes décédées ou disparues. Outre la promotion de la torture et des tortionnaires, une tendance au déni et au révisionnisme gagne du terrain dans le pays. Le gouvernement a sapé les initiatives en faveur de la mémoire collective et de la vérité en révoquant la procureure régionale de la République, Eugênia Augusta Gonzaga, de la présidence de la Commission pour les Morts et les Disparus, ainsi que plusieurs autres membres, les remplaçant par des partisans de la dictature. La Commission pour l'Amnistie [chargée de déterminer les indemnisations liées aux violations commises par le régime] s'est également penchée sur le sujet des négationnistes et des révisionnistes. Ce gouvernement vide de sa substance ce qu'il ne peut détruire.

Bolsonaro s'en prend régulièrement aux thématiques de la mémoire et de la vérité, une attitude qu'il cultivait bien avant d'accéder à la présidence. Préalablement à son élection, il a rendu hommage à Ustra à plusieurs reprises [Carlos Alberto Brilhante Ustra [fr], l'un des principaux tortionnaires de la dictature civilo-militaire]. Lors du vote sur la destitution de Dilma Rousseff, le simple fait que Bolsonaro dédie son vote à Ustra aurait dû être suffisant pour le conduire en prison ou qu'il écope au minimum d'une sanction. Il n'aurait jamais dû être autorisé à briguer la présidence, car les individus soutenant des crimes contre l'humanité ne devraient pas être éligibles.

Malgré cela, il a réussi, remportant l'élection présidentielle et persistant dans son effort de glorification de la dictature et de ses exploits. C'est la raison pour laquelle il est fondamental de relater tous les récits relatifs à cette période. Il est primordial de se souvenir que ces événements ont eu lieu, qu'il y a eu des meurtres, des actes de torture et des enlèvements, et que des centaines de familles et de femmes seules se sont battues durant des décennies pour obtenir vérité et justice en mémoire de ces morts et disparus.

GV : Dans d'autres pays latino-américains ayant connu des dictatures, comme l'Argentine et l'Uruguay, les femmes ont tenu un rôle central dans la recherche de mémoire, de vérité et de justice. Ce schéma a-t-il été comparable au Brésil ?

TM: Aqui a liderança e o protagonismo também foi de mulheres, elas se juntaram, se apoiaram, criaram o Comitê Brasileiro de Anistia, a Comissão de Familiares de Mortos e Desaparecidos, entraram com ações na Corte Interamericana de Direitos Humanos, pesquisaram os arquivos do IML, pressionaram para a criação da Lei 9140. Elas fizeram e fazem muito, mas a luta delas é menos conhecida que a das Mães da Praça de Maio, por exemplo, por conta das diferenças como os países lidaram com a questão após o fim da ditadura. A Argentina revogou a lei de ponto final e de obediência devida, puniu os torturadores. Aqui, até hoje, não conseguimos responsabilizar penalmente nenhum agente envolvido nas mortes e desaparecimentos. Seguimos com a pendência em relação à Lei de Anistia, e embora o MPF tenha movido dezenas de ações contra agentes, a Justiça brasileira não aceita as ações com base na lei de anistia. E segue a impunidade, que reflete no Brasil que vivemos hoje.

TM : Au Brésil, des femmes ont joué des rôles clés en créant le Comité brésilien pour l'amnistie et la Commission des familles de morts et disparus, en déposant des requêtes devant la Cour interaméricaine des droits humains et en contribuant à l'adoption de la loi 9140 [qui considère toute personne, disparue entre 1961 et 1988 pour des motifs politiques, comme morte]. Malgré ces efforts, leur combat reste moins manifeste que celui des Mères de la place de Mai [fr] [en Argentine]. Les conséquences de la dictature varient selon les pays, et au Brésil, aucune condamnation pénale n'a encore été prononcée à l'égard des responsables des morts et disparitions. La loi d'amnistie, toujours en vigueur, gracie tant les prisonniers politiques que les agents gouvernementaux impliqués dans la répression. La justice brésilienne a systématiquement rejeté les multiples poursuites engagées par le Ministère public brésilien contre les agents liés au régime, en se retranchant derrière la loi d'amnistie, perpétuant ainsi un climat d'impunité caractéristique du contexte actuel au Brésil.

Commentez

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.