L'interdiction de Tiktok au Pakistan est levée sous plusieurs conditions

Une main fini un puzzle avec écrit Tiktok sur fond vert

Puzzle Tiktok de Christophe Scholz cc

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article renvoient vers des pages en anglais.

Le 19 octobre, l'Autorité pakistanaise des télécommunications (PTA) a levé l'interdiction de TikTok, seulement 10 jours après l'avoir instaurée.

L'instance de régulation a affirmé avoir changé sa décision après avoir reçu la garantie que l'entreprise chinoise ByteDance allait modérer le contenu conformément aux lois pakistanaises.

La PTA a déclaré, dans un communiqué du 9 octobre, avoir ordonné l'interdiction à la suite de manquements aux instructions officielles demandant à l'application de vidéo mobile d'adopter « des mécanismes efficaces pour une modération proactive du contenu en ligne illégal ».

Au vu du nombre de plaintes de différents groupes de la société contre le contenu immoral/indécent de l'application de partage de vidéos TikTok,

[image] Capture d'écran du communiqué de presse de la PTA instaurant le blocage de TikTok.

En vertu de la loi pakistanaise sur les crimes électroniques (PECA 2016), qualifiée de draconienne par les militants des droits numériques, la PTA a le pouvoir d'ordonner aux prestataires de services de bloquer ou retirer n'importe quel contenu en ligne.

Précédemment, la PTA a bloqué un certain nombre de services, dont YouTube qui a fait l'objet d'une interdiction de 2013 à 2016. Cette suspension de trois ans a pris fin après que le site de partage de vidéos appartenant à Google a créé une version locale qui permet au gouvernement de demander la suppression de contenu qu'il considère comme offensif.

En août, la PTA a encore une fois écrit à YouTube pour demander le retrait de contenu répréhensible de sa plateforme. Le 1er juillet, l'autorité a également bloqué le jeu en ligne sud-coréen PUBG ; l'interdiction a été levée le 30 juillet après que la PTA a trouvé un accord avec les représentants légaux de Proxima Beta Pte Ltd (PB), le fabricant du jeu.

Il y a eu beaucoup de débats en ligne concernant l'interdiction de TikTok depuis que sa popularité a grimpé au Pakistan ces deux dernières années.

En juillet 2019, une requête civile a été déposée à la Haute Cour de Lahore, demandant une interdiction nationale de TikTok, faisant valoir l'argument que l'application était « un grand méfait des temps modernes » et qu'elle « détruisait la jeunesse et faisait la promotion d'activités immorales ».

En juillet dernier, Arslan Khalid, conseiller en médias numériques auprès du Premier ministre pakistanais Imran Khan, a posté un tweet déclarant que :

L'exploitation récente des femmes utilisatrices de TikTok, l'objectification et la sexualisation des jeunes filles sur TikTok provoquait une souffrance énorme chez les parents et s'avérait préjudiciable pour notre société. TikTok a reçu un dernier avertissement leur demandant de travailler sur leurs filtres afin d'empêcher la publication de contenu indécent.

Le 2 octobre, le gouvernement a revu ses règles concernant le blocage du contenu en ligne. Selon le site pakistanais d'observation des droits numériques Digital Rights Monitor, le gouvernement fédéral a annoncé la mise en place de nouvelles règles concernant les médias sociaux, mais le projet proprement dit n'est pas encore disponible sur le site de la PTA et du ministère des Technologies de l'information et des télécommunications (MOITT) :

The Federal Government had issued a notice for the notification of Rules for Removal and Blocking of Unlawful Online Content (Procedure, Oversight and Safeguard) Rules 2020 on the 16th of October 2020. The Rules, that have been drafted under Section 37 of Prevention of Electronic Crimes Act (PECA) 2016, have continued to amass criticism from local civil society and media organisations and local and international private sector technology companies.

Le 16 octobre 2020, le gouvernement fédéral a émis un avis concernant la notification des nouvelles règles de retrait et de blocage du contenu en ligne illégal (procédure, surveillance et sauvegarde). Les règles, qui sont énoncées à la section 37 de la loi de 2016 sur les crimes électroniques (PECA), ont continué d'accumuler les critiques de la société civile locale, des organisations médiatiques et d’entreprises technologiques locales et internationales du secteur privé.

Un groupe de 12 organisations de la société civile et syndicats de journalistes et plus de 49 individus ont publié un communiqué montrant leur inquiétude à propos de ces nouvelles règles. Ils ont déclaré qu'il n'y a eu aucune concertation avec tous les intervenants sur le projet de texte révisé.

We would like to remind the cabinet and the government that drafting of rules that stand to have a detrimental impact on the digital ecosystem, economy, and online expression is not a task that should be rushed through without paying attention to the inputs of all involved stakeholders. […] The lack of transparency is not only alarming, it projects the intention of the government to disregard the concerns of individuals that have time and again been raised and communicated to government departments and officials.

Nous aimerions rappeler au cabinet et au gouvernement que la rédaction des règles qui peuvent avoir un véritable impact sur l'écosystème numérique, l'économie, et la répression en ligne n'est pas une tâche qui devrait précipitée sans prêter attention aux contributions de tous les intervenants impliqués. […] Le manque de transparence n'est pas seulement alarmant, cela projette la volonté du gouvernement d'ignorer les inquiétudes soulevées et communiquées par certaines personnes à maintes reprises auprès des départements et représentants du gouvernement.

La notification partagée par le gouvernement déclare que l'Autorité pakistanaise de télécommunication a le droit de retirer n'importe quel contenu en ligne jugée illégale. Les critères d'illégalité sont décrits dans la sous-section (1) de la section 37 du texte de loi, qui indique que « la PTA peut et doit, sans aucun préjudice, retirer n'importe quel contenu en ligne qu'elle considère comme allant à l'encontre de la gloire de l'islam, l'intégrité, la sécurité, et la défense du Pakistan, ou l'ordre public, la santé, la sécurité, la décence, ou la moralité ».

Toutes les entreprises de médias sociaux comme TikTok, Facebook, Instagram, ou Twitter devront mettre en place un règlement communautaire conforme à la réglementation locale pour leurs utilisateurs pakistanais. Les plateformes avec plus d'un demi-million d'utilisateurs pakistanais devront s'enregistrer auprès de la PTA et établir un siège social dans le pays dans les neuf mois qui suivent l'application des règles.

L’Asia Internet Coalition (Coalition asiatique d'Internet, AIC), une association du secteur numérique comprenant des entreprises comme Amazon, Apple ou Twitter, a écrit une lettre au Premier ministre Imran Khan exprimant le regret de ne pas avoir été consultée pendant l'élaboration de ces règles.

Les réactions

L'interdiction de TikTok a fait face à beaucoup de critiques.

Deux requêtes civiles remettant en cause l'interdiction ont été soumises au début du mois à la Haute Cour d'Islamabad et la Haute Cour de Singh.

Ces requêtes soutenaient que TikTok « offre une plateforme pour que les citoyens pakistanais talentueux puissent exercer leur droit de parole et faire preuve de créativité », et que l'interdiction était « une violation de l'article 19 de la constitution », qui assure la liberté d'expression.

Le militant des droits numériques Asad Baig, qui est à la tête de Media Matters for Democracy, a tweeté :

La PTA a interdit TikTok. Nous avons reçu la décision quelques semaines après les déclarations [du Premier ministre] Imran Khan, exprimant son mécontentement face à « l'obscénité et la vulgarité » de la plateforme.

Les suspensions arbitraires comme celles-ci pourraient renvoyer le Pakistan à l'âge de pierre. Nous aliénons des entreprises milliardaires et nous nous attirons une humiliation mondiale.

Amnesty International Asie du Sud a tweeté :

PAKISTAN : au nom de la campagne contre la vulgarité, les gens sont privés du droit d'expression en ligne. Le #TikTokBan (suspension de TikTok en français) se produit dans un contexte où des voix sont réduites au silence à la télévision, des rubriques disparaissent des journaux, des sites sont bloqués et des publicités à la télévision sont interdites.

Beaucoup de stars pakistanaises de TikTok ont également critiqué cette interdiction. Le créateur Ashfaq Jutt, qui est également le vice-président principal de la Fédération pakistanaise de kickboxing, a envoyé un avis juridique à la PTA, l'exhortant d'annuler cette interdiction, étant donné qu'elle viole ses droits constitutionnels à l'information et à la liberté d'expression.

Pendant ce temps sur Twitter, les hashtags tels que #UnBanTikTok (Levez l'interdiction de TikTok) faisaient le buzz.

Bakhtawar Bhutto, la fille de la défunte Première ministre Benazir Bhutto, a déclaré :

Le contenu immoral n'est pas sur TikTok, il est ancré dans notre société sexiste, où les femmes ne peuvent pas porter des caleçons de yoga à la télévision ou conduire la nuit, et les enfants sont attrapés et brutalisés. Nous nous sommes tellement dégradés. Regardez ce qui se passe dans les madrassas [écoles d'enseignement coranique, ndlt], dans les espaces publics ouverts, le problème n'est PAS TikTok.

Marvi Soomro, un militant et également tiktokeur, a déclaré :

Pour rappel @PTIofficial

À moins que vous n'arrêtiez cette interdiction de la culture et que vous n'adoptiez de bonnes lois pour modérer le contenu illégal conformément aux lois du Pakistan, rien ne va s'arrêter. TikTok a été remplacé par bien d'autres applications.  #LevezL'interdictionDeTikTok

Nasir Khan Jan, un artiste et mannequin, a surnommé le Pakistan « bannistan » [jeu de mots sur le verbe « ban », qui signifie « interdire »] :

TikTok a été interdit. Abh sub theek hojaye ga, na rapes hongay, na ghalat kaam hoga. Bienvenue au Bannistan, où on interdit la musique, l'art, la poésie, et la capacité à mettre en doute notre existence, mais où ensuite on s'apitoie [sur notre sort] en se demandant pourquoi les gens sont des extrémistes et pourquoi il y a tant de violence au Pakistan ! ❤️?

Malgré tout, certaines personnes ont soutenu l'interdiction :

#TikTok vient d'être #INTERDIT au #Pakistan. SUPER! Grâce à ça, le nombre de viols va baisser.

Les gens s'inquiètent de la suspension [de TikTok] mais ne se soucient pas du Coran qu'ils gardent fermé chez eux. C'est ça les musulmans d'aujourd'hui.

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