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Thaïlande : devant l'échec à faire passer les manifestants pour des personnes violentes, le gouvernement lève l'état d'urgence

Catégories: Asie de l'Est, Thaïlande, Censure, Droits humains, Gouvernance, Jeunesse, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Pourquoi la jeunesse thaïlandaise est descendue dans la rue
L'image montre un large rassemblement compact de personnes dans la rue, sur un pont. La grande majorité tient leur portable allumé, en l'air. On distingue des habitations et des bâtiments tout autour. L'image est prise de nuit et en hauteur. [1]

Une manifestation pro-démocratie a eu lieu le 19 octobre au carrefour Kasetsart, nonobstant l'interdiction des rassemblements de masse. Photographie de Prachatai, reproduite avec autorisation.

[Sauf mention contraire, tous les liens renvoient vers des pages en anglais, ndlt]

La version originale [2] de ce reportage a été publiée par Prachatai, site d'information indépendant en Thaïlande, avant d'être remaniée et republiée sur Global Voices dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

Le Premier ministre thaïlandais, Prayut Chan-o-cha, a levé l'état d'urgence, le 22 octobre, selon la Gazette royale.

L'état d'urgence, instauré le 16 octobre, a entraîné des restrictions à Bangkok et dans ses environs. Ces restrictions prévoyaient notamment l'interdiction de rassemblements publics de plus de cinq personnes, l'interdiction de communiquer des informations susceptibles de menacer l'ordre public ainsi que le contrôle des transports et de l'accès à certains bâtiments, conformément aux ordres du Premier ministre.

L'état d'urgence strict était décrit comme une “urgence dans l'urgence” du fait de l'utilisation préexistante du décret d'urgence, pour répondre à l'épidémie de coronavirus, et prolongé par le gouvernement pour la septième fois, jusqu'à fin novembre.

Chaque jour depuis le 14 octobre, des manifestants se mobilisent dans les rues de Bangkok et des autres provinces pour exiger la démission du Premier ministre, Prayut Chan-o-cha, des amendements constitutionnels et la réforme de la monarchie.

Le dernier décret sur l'état d'urgence était censé se poursuivre jusqu'en novembre, et son annulation constitue une victoire pour les manifestants pro-démocratie, lesquels ont bravé l'annonce six jours de suite.

Prayut Chan-o-cha a prononcé, le 22 octobre, une allocution dans laquelle il invitait tous les groupes à prendre du recul et demandait aux manifestants de se fier au processus parlementaire pour faire bouger les choses. Le 20 octobre, le Cabinet a voté une session spéciale du Parlement en vue d'un débat les 26 et 27 octobre.

Échec d'une tentative de diabolisation des manifestants

La manifestation anti-dictature, organisée le 14 octobre, était une réponse attendue suite au report de 30 jours des débats sur les amendements constitutionnels par le Parlement, le 24 septembre dernier, provoquant la déception des manifestants qui avaient défilé devant le Parlement ce jour-là.

Le gouvernement a déclaré que l'état d'urgence strict avait été décrété en raison de manifestations illégales enfreignant la loi sur les rassemblements publics, et a spécifiquement mentionné un incident [4] survenu lors du passage d'un cortège royal sur un lieu de protestation.

Trois manifestants, Ekkachai Hongkangwan, Boonkueanoon Paothong et Suranat Paenprasoet, ont été poursuivis pour avoir prétendument porté atteinte [5] à la liberté de la Reine, en vertu de l'article 110 du code pénal, rarement utilisé, entraînant une peine de “prison à vie ou de seize à vingt ans”.

Néanmoins, le gouvernement a échoué dans sa tentative de diabolisation des manifestants, dans la mesure où une grande majorité de l'opinion publique ne croyait pas à la volonté des manifestants de nuire à la Reine. À en croire les nombreux reportages des médias, les manifestants ont, en réalité, ouvert un passage au cortège royal.

Défiant les restrictions du gouvernement, les manifestants se sont à nouveau rassemblés le 16 octobre. Le gouvernement a décidé de disperser [6] les manifestants pacifiques au moyen de canons à eau, qui contenaient en outre un colorant et un irritant chimique. Les manifestants, parmi lesquels se trouvaient des étudiants, n'ont pas fait preuve de violence, ce qui a suscité des critiques à l'encontre du gouvernement pour la sévérité excessive de ses mesures, et encouragé encore plus de personnes à descendre dans la rue.

Les autorités ont cherché à contrôler une nouvelle fois le récit des événements, en ordonnant [7] la suspension des médias ayant largement couvert les protestations, notamment Voice TV, Prachatai, les Reporters et The Standard. Leur tentative s'est retournée contre les autorités, les manifestants ayant poursuivi le mouvement et exigeant désormais la liberté de la presse. Le tribunal a ordonné [8] la levée des restrictions pesant sur la presse, le 21 octobre.

L'image montre les noms et logos de plusieurs medias. Au centre de l'image, on lit le mot " open " (" libres "), en vert, sous la forme d'un tampon sur les images des différents medias, signifiant que ceux-ci ont recouvré leur liberté d'expression. [8]

Le tribunal a ordonné la levée des restrictions relatives aux médias, le 21 octobre. Photographie de Prachatai, reproduite avec autorisation.

Dans leur ultime tentative pour provoquer la violence, des manifestants pro-monarchie, en chemise jaune, se sont regroupés à l'université Ramkhamhaeng pour interpeller les manifestants pro-démocratie. Un affrontement sans gravité, déclenché par les chemises jaunes pro-monarchie, a opposé les manifestants pro-monarchie et pro-démocratie.

Une fuite de documents confidentiels atteste [9] [th] que le gouvernement a commandité les rassemblements pro-monarchie en “encourageant” les gens à y participer. Certains volontaires réticents ont fait fi des ordres en arborant le symbole des trois doigts tout en portant une chemise jaune.

À ce jour, la plupart des revendications formulées par les manifestants sont restées lettre morte, les principaux partis politiques refusant d'inscrire la réforme de la monarchie dans leurs programmes, et le gouvernement procédant à l'arrestation de toute personne identifiée comme chef de file de la contestation.